La radioactivité et les montres … D’un aspect initialement blanc qui noircit à l’air libre, le Radium découvert en 1898 par Marie Curie fut utilisé jusque dans les années 50 pour offrir une luminescence nocturne aux aiguilles et aux chiffres des cadrans des montres. Le matériau fortement radioactif et d’une durée de vie estimée à 1620 ans fut remplacé progressivement à la fin des années 50 par le Tritium nettement moins nocif. La durée de vie estimée du tritium est de l’ordre d’une douzaine d’années mais après une période de 7 ans, on constate une forte décroissance de la luminescence des cadrans et aiguilles traitées au Tritium. Certaines protections permettent d’allonger cette durée de vie estimée jusqu’à théoriquement la doubler. Les caractéristiques radioactives du Tritium utilisé en particulier dans les armes nucléaires, demeurent néanmoins polluantes et si la luminescence des montres équipées de tritium est particulièrement efficace notamment pour les montres de plongée, l’utilisation de cette matière est aujourd’hui très sévèrement réglementée.
Lorsqu’on le rencontre dans des montres modernes, c’est donc sous une forme gazeuse, encapsulée avec des mentions rappelant que l’élimination du produit devra entrainer des précautions. Si le tritium n’a jamais véritablement inquiété, sans doute à tort, les consommateurs, en revanche le radium s’est mis à avoir dans les années 50, une très mauvaise presse car avec le recul, les ouvriers et personnels qui le manipulaient avec parfois de faibles précautions, commencèrent à développer des maladies professionnelles inquiétantes.
Il faut dire que l’industrie horlogère n’avait pas lésiné sur l’exploitation de produits radioactifs luminescents depuis le début du 20ème siècle. Officine Panerai avait ainsi créé des montres de plongée la marine royale italienne qui pouvaient être utilisées dans le noir et avait breveté son système en 1910, Radiomir fut le nom donné d’une part, aux montres créées en faveur des commandos italiens et d’autre part, au matériau luminescent à base de radium déposé sur les cadrans et les aiguilles des montres. Ce matérieu fut d’abord remplacé par le Luminor en 1949, puis par le tritium avant que le Super-LumiNova® non radioactif ne se généralise. Rolex utilisa le tritium jusqu’à la fin des années 80 et on rencontre encore couramment du tritium non encapsulé sur les montres jusqu’à la fin des années 90.
Les années 50, sont des années de peurs collectives qui naissent de la créativité des cinéastes, de l’intégration progressive de la télévision dans les foyers et sans nul doute d’une information plus large du public. Mises en cause par la presse, les compagnies horlogères menèrent alors des études pour tenter de faire la part des choses et surtout essayer de se disculper de toute responsabilité. Les arguments exploités par les marques furent d’abord la présence à l’état naturel de radioactivité dans l’environnement. Puis, la radiologie médicale fut utilisée comme bouclier dans les esprits inquiétés par les campagnes de presse. Au-delà de réponses de circonstances apportées au public via les détaillants, certaines manufactures firent des études assez poussées.
Bien entendu, l’industrie horlogère n’avait pour centre d’intérêt que les montres bracelets et les risques encourus par les consommateurs. Les études ne portèrent donc pas sur des irradiations totales du corps mais sur des irradiations partielles et sur la « perméabilité » du poignet pour laisser ces dernières provoquer d’éventuels dommages. Deux recherches sont menées conjointement en 1959, année particulièrement intéressante. La première porte sur les effets somatiques, c'est-à-dire au plan des dégâts biologique quasi immédiats et l’autre sur les effets génétiques à long terme.
Pour les effets somatiques, c’est donc sur les poignets, l’appareil reproducteur masculin et les yeux que les études se concentrèrent relevant que la dose admissible pour les poignets était trois fois supérieure à celle des yeux et cinq fois supérieure à l’appareil reproducteur. Pourquoi donc s’intéresser à cette partie intime de l’homme ? La question appelle une réponse évidente, par la proximité de la montre lorsque la main gauche est dans la poche du pantalon. La première conclusion fut qu’il sortait davantage de radiations par la glace que par le fond de la boite ou par le bracelet. Toutefois, c’est la radiation orientée vers le fond de boite en contact avec la peau qui est la plus préoccupante.
Un expert de l’Institut Universitaire de Radiologie de Zurich releva dans ses études que les doses mesurées sur les testicules et sur les yeux après exposition coté cadran étaient respectivement de 600 fois et 150 fois inférieures à la norme acceptable cela pour un cadran chargé à 0,35 microcurie (le microcurie ou millicurie a été remplacé par une autre unité de mesure : le becquerel - 1 millicurie = 37 millions de Bq).
Les choses se compliquent malgré tout dans une étude menée en 1959, quand il résulte des mesures opérée que sur un cadran moyennent chargé à 0,20 microcuries, la diffusion par la peau à l’organisme n’est plus que 10 fois inférieure à la dose admissible pour une montre portée sur une période normale de temps dans la journée. Toutefois, l’étude observe que la zone ainsi exposée reste réduite et considère comme négligeable le risque encouru. L’étude souligne que pour les montres de dames, la charge radiocative est deux fois inférieure.
Pour ce qui est des effets génétiques, la presse de l’époque mentionne des « mutations » irréversibles. L’effet de la radioactivité est ici présenté à l’époque comme cumulatif dès lors que l’organisme n’est pas à même d’éliminer les conséquences de l’irradiation. Les lésions se situeraient donc au niveau des gènes et du matériel héréditaire et bien entendu la notion de dose « admissible » n’aurait ici aucun sens. Pour être probantes, les mesures doivent se faire sur un échantillonnage de population et non sur un individu.
L’étude de l’institut universitaire de radiologie de Zurich relève pour un cadran chargé à 0,35 microcurie, une exposition des testicules 10 fois inférieure au rayonnement naturel lié à l’environnement, rayonnement naturel qui varie à la hausse avec l’altitude. L’étude détermine que vivre avec un cadran lumineux au poignet n’est pas plus dangereux que de vivre à 450 mètres d’altitude. L’étude ne dit pas s’il faut en déduire que celui qui vit à 1500 mètres…
En tout état de cause l’étude de 1959 débouche sur un danger qualifié de nul. Les années 60 et surtout les années 70, sont venues bousculer ces certitudes et des études de plus en plus poussées ont ajouté des arguments à la méfiance antérieure.
Il a été plusieurs fois mentionné que certaines montres qui avaient notamment équipé des plongeurs militaires et avaient été rendues lumineuses par du radium furent si nocives que ceux qui les portèrent après guerre directement en contact avec la peau, virent apparaître des brulures sur leur poignet et que l’armée prit la décision d’aller couler les instruments en Méditerranée dans des blocs de béton.
Le tritium des montres : Danger ou non ? A la question de la dangerosité du tritium, une association la « CRIIRAD » (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) se montre beaucoup moins optimiste que les fabricants et leur répond depuis des années que le produit est dangereux. L’association a ouvert un site et y fournit notamment des études précises sur les montres.
Quoi qu’il en soit, les autorités françaises publièrent en 2002, un décret N°2002/460 du 4 avril 2002 relatif à la protection générale des personnes contre les dangers des rayonnements ionisants. Le droit français transposait ainsi la directive européenne 96/29 Euratom du 13 mai 1996 fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants.
Le texte qui interdit la plupart des produits radioactifs dans les biens de consommation accorda une exception notamment pour les montres de plongée. Par contre, il interdit en France l'utilisation du tritium et des autres produits radioluminescents du même type pour les aiguilles et index de cadrans de montres.
Certains parleront d’un principe de précaution, toutefois même si le risque est limité pour les porteurs des montres, l’élimination des déchets (cadrans et montres usagés) demeure un problème environnemental.
Les marques horlogères ont finalement trouvé des peintures luminescentes non polluantes dont les nuances n’ont cessé d’évoluer au point de retrouver les couleurs du tritium ou du radium vieilli ou non, cette fois sans danger.
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