L'Omega de la Kriegsmarine Austro-Hongroise
Kriegs Erzherzog Franz Ferdinand
Omega est une des manufactures pionnières dans la fabrication en grandes séries des chronographes. La livraison d’une pièce en argent à la marine Austro-hongroise en 1907 démontre l’intérêt porté par les armées à ce type d’instruments dès avant la création d’une aviation militaire qui n’apparaît qu’en 1910, sous une forme embryonnaire et qui ne cessera de grandir. La marine fut sans doute le corps d’armée le plus demandeur de pièces d’horlogeries sophistiquées et l’ancienneté du chronographe 19 "' Chro d’Omega témoigne de la convergence d’intérêt des manufactures et des armées pour la réalisation très tôt, d’instruments de haute qualité. L'évolution du chrono 19"'CHRO - A droite la première version, à gauche son évolution La création du premier chronographe OmegaOmega créa en 1898 son premier calibre de chronographe, un 19 lignes que le client pouvait choisir à saut demi-instantané ou instantané. Baptisé 19"' chro 15 Pou 16 P selon le nombre de rubis, ce mouvement pouvait selon le cas recevoir une trotteuse horaire ou ne pas en être équipé. La montre était livrée en boite en acier noirci, nickel, métal blanc, argent, argent niellé ou or. La finition du mouvement variait avec soit la partie chrono non empierrée, soit avec un empierrement avec ou sans chatons. La raquette était en général munie d’un col de cygne pour un réglage fin très précis.
La production de ce mouvement cessa progressivement en 1906 quand Omega recourut à un calibre 18"' chro de 18 lignes qui remplaça la première version.
L'usage du chronographe par le grand public était assez limité jusqu'en 1900 et la demande de la clientèle fut davantage orientée côté civil sur la réponse à des besoins industriels afin de cadencer la production des usines ainsi que le calcul rétrospectif de la vitesse des premières automobiles et côté militaire sur une attente d’abord assez aléatoire des armées. Le cadran en hérisson (simple repérage des 5èmes de secondes à l'extérieur du chemin de fer marquant les minutes) des premières versions dénote l'absence d'intérêt pour les télémètres ou tachymètres qui apparurent ensuite.
Si la diffusion de chronographes lors de la seconde guerre mondiale fut très importante, celle-ci reste confidentielle au moins au début de la première grande guerre. A fortiori, la vente de chronographes aux armées avant la guerre 14 relève de cas isolés souvent liés à l'aviation balbutiante.
Au regard des années de pleine production, un chronographe Omega équipé d'un 19"' chro date donc l'équipement d'avant 1906. On a une idée non exhaustive des armées qui ont acquis des chronographes avant la guerre 14 et une connaissance très limitée de celles qui se sont équipées ainsi avant 1910. C'est donc le hasard qui nourrit nos informations car peu de manufactures et en tous les cas rarement les armées disposent d'archives fiables sur cette période.
En Suisse, Omega est après Longines, l'une des manufactures les plus rapides à industrialiser un mouvement de chronographe infiniment plus complexe à fabriquer qu'une montre classique et qui demande en outre, un personnel davantage spécialisé. Zenith y viendra en 1913 et si Valjoux est omniprésent en qualité de fournisseur d’ébauches à la plupart des grandes maisons, la demande demeure celle d’une clientèle limitée.
L’intérêt des armées pour les premiers chronographesParmi les armées qui très tôt se penchent sur l'intérêt du chronographe, l'armée Austro-hongroise fait partie des conquérantes. La KUK.K, « kaiserliche und königliche Kriegsmarine » (Marine de guerre impériale et royale) était la marine militaire de l'Empire Austro-hongrois. Cette marine fondée à la création de la double monarchie en 1867 existera jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale. Elle fit suite à la force navale autrichienne qui était celle de l'Empire d'Autriche. Elle fut au commencement de la grande guerre, la plus modeste des armées des belligérants. Elle livra très peu de combats fautes de moyens mais fut assez influente pour bloquer les marines Italienne et Française en Méditerranée pendant toute la durée des conflits. Bloquée faute de charbon, la marine Austro-Hongroise fut sédentarisée également par les mines posées dans l'Adriatique.
En 1918, l'empereur d'Autriche-Hongrie craignant d'avoir à abandonner sa marine militaire et sa marine marchande aux vainqueurs d'une guerre qui le concernait peu, décida de laisser sa flotte ainsi que les ports, fortifications côtières et arsenaux au Conseil du Peuple de l'Etat nouvellement créé des Slovènes, Croates et Serbes. Malgré des missives diplomatiques aux belligérants pour indiquer leur non engagement dans la guerre et leur prise de contrôle de la marine austro-hongroise. Cette précaution habile n'évita pas un démembrement de la marine Austro-hongroise consécutif aux attaques de la Marine royale italienne, Regia Marina.
Le chrono Omega en argent n'a donc aucune probabilité d'avoir participé au moindre conflit. Il renferme un mouvement qui le situe entre 1898 et 1906/1907. Le numéro de boite qui se rapproche des 4 millions vise les années 1907/1908. Le mouvement était alors encore diffusé et il est probable que la Marine Austro-hongroise en ait alors fait l'acquisition.
Il reste à déterminer pourquoi une armée, assez pauvre au demeurant a fait l’acquisition d’une pièce en argent massif alors qu’elle aurait pu passer commande d’une montre en acier voire en métal blanc si la corrosion de l’air marin était la crainte de son commanditaire.
Les chronographes militaires étaient dans la plupart des armées, plutôt des pièces en acier. Celui-ci est en argent à 900 millièmes, c'est-à-dire à haut titre ce qui le distingue encore des pièces en argent au second titre de 800 millièmes. La réponse la plus logique est que sans doute, cette pièce était destinée à un officier. L'absence de choc et la faible usure de la boite et de la couronne dénotent une utilisation peu intense et la qualité du mouvement doré quasi neuf conforte cette analyse. Il est vrai que pour un chronographe de poche militaire, une période d'activité de moins de 10 ans est très courte.
Une pièce peu communeLa pièce est de taille imposante et atteint 55 mm de diamètre, chiffre élevé pour une montre de poche. Le fond de la montre est guilloché autour d’un espace circulaire destiné à recevoir un monogramme. Le marquage militaire est pourtant discrètement gravé à l’intérieur du couvercle, choix manifestement dicté par un intérêt pour la pièce qui dépasse le cadre militaire. Il n’était pas rare dans les armées du début du 20ème siècle que les officiers de nombreuses armées conservent à titre personnel des pièces que les armées leur consentaient plus ou moins officiellement.
Il est évidemment difficile de déterminer l’usage de ce chronographe autrement que par supposition mais l’hypothèse la plus vraisemblable est celle du calcul de vitesse de déplacement de navires.
Son propriétaire initial, la marine Austro-hongroise et son détenteur, un officier de cette marine, n’ont sans doute pas connu beaucoup d’autres jolies pièces militaires de ce niveau de qualité. Ils étaient déjà en 1907 de grands privilégiés. Les montres en argent en effet sont assez peu répandues dans les armées davantage préoccupées par l’utilisation de leurs crédits pour des achats de matériel plus directement impliqués dans les combats que dans l’achat de pièces d’horlogerie en métal précieux. Pourtant, en 1918, les Corps of Engineers américains seront dotés de montres chronomètres en argent dont le marquage à l’extérieur des boites cette fois, ne laisse aucun doute sur la propriété de la montre à l’Etat Fédéral américain.
Ces chronographes de poche Omega de 19 lignes sont toujours un peu « rondouillards », emprunts d’une qualité de construction digne de cette grande manufacture, l’argent à haut titre est chaud au toucher et doux développant une sensualité qui l’éloigne de la carrière militaire qu’il eut pourtant.
Ce chronographe après la guerre a traversé l’Atlantique sans doute remis ou échangé auprès d’un militaire américain dans des conditions que nous ne pouvons déterminer. Les Américains appréciaient beaucoup les chronographes suisses et même si Waltham proposait à l’époque de très jolis chronographes, les pièces suisses jouissaient d’une réputation excellente.
Peu de montres offrent une traçabilité aussi limpide que cette pièce préservée au mieux des affres du temps. Elle est plus d’un siècle après sa sortie de la manufacture Omega probablement aussi précise qu’au premier jour, comme si le temps n’avait eu sur elle aucune influence.
Droits réservés - Forumamontres - Octobre 2014