Elgin : Le chronomètre de bord de la Royal Air Force
La seconde guerre mondiale a généré un énorme besoin de montres militaires et plus particulièrement, d'instruments de mesure du temps capables de fournir une heure de référence indispensable à la synchronisation des opérations militaires notamment aériennes menées par la Royal Air Force. Les manufactures suisses et américaines furent sollicitées pour livrer en peu de temps des volumes très conséquents de chronomètres de bord et parmi elles, Elgin National Watch C° s'est illustrée par la fabrication d'une montre directement héritée des Railroad watches conçues pour les compagnies de chemins de fer Des montres militaires héritées des modèles conçus pour les compagnies de chemins de fer Pendant la seconde guerre mondiale, la Royal Air Force doit faire face à un immense besoin en instruments de mesure du temps qu’il s’agisse de chronomètres de marine, de montres de bord, de montres de poche ou de montres bracelets. Si une grande partie des commandes est faite auprès des plus grandes manufactures horlogères suisses, les firmes américaines qui ont déjà fait la preuve de leur capacité à fabriquer des montres très précises, sont elles aussi sollicitées pour livrer des pièces essentielles et notamment des chronomètres de bord de l'aviation militaire.
Au milieu de la guerre c’est-à-dire après 1942, Hamilton, Waltham et Elgin se consacrent essentiellement à la production de pièces militaires et sont contraintes de laisser en arrière-plan les commandes civiles. La fabrication en série de chronomètres de haute précision est un véritable défi technologique. Les mouvements ne doivent pas seulement être esthétiquement beaux, ils doivent aussi par leur précision assurer la coordination parfaite des actions militaires face à une armée ennemie particulièrement bien équipée.
Les firmes américaines détiennent en matière de précision, une immense expérience héritée des montres fabriquées pour les compagnies de chemins de fer qui depuis 1891, ont établi un cahier des charges drastique pour assurer la synchronisation de la circulation des trains sur des voies uniques.
Les montres des chemins de fers sont en effet encadrées depuis la fin du 19ème siècle par un règlement draconien qui impose des calibres de 19 ou 20 lignes à échappement à ancre, à simple plateau comptant au moins 17 rubis et ayant au moins une précision de 30 secondes par semaine. Une montre de chemins de fer standard dite "Official RR Standard Watch" (RR pour Rail Road) a même été créée sous la responsabilité de Webb C.Ball ajoute "Réglage aux 5 positions et aux températures de 30 à 95 ° fahrenheit (soit -1 à +35°), raquette de réglage fin, double plateau, cadran bien lisible avec heures arabes et fortes aiguilles, remontoir au pendant à 12 heures et donc calibre Lépine. La seconde centrale est pratiquement inexistante dans les montres Railroad, par contre moyennant un pont supplémentaire et une roue de renvoi, la plupart des mouvements sont adaptables à cette caractéristique qui rend la trotteuse plus lisible.
C'est sur cette base que les firmes américaines sont sollicitées par la Royal Air Force. Hamilton, Elgin et Waltham sont les manufactures qui s'avèrent les plus aptes à livrer rapidement des volumes de montres conséquents. Dans un premier temps, au lieu de livrer comme les maisons suisses, des pièces avec des boites classiques ou des boites anglaises reconnaissables à leur couronne en forme de boule, les trois firmes américaines livrent des montres comme elles sont habituées à en faire, c'est à dire avec des boites plaquées or blanc ou chromées identiques en tous points aux montres livrées aux compagnies de chemins de fer.
Un cahier des charges militaire draconien Conformément au cahier des charges militaire, la mise à l'heure se fait en levant la couronne et non par le biais d'une tirette située à deux heures et accessible après avoir dévissé la lunette. Ce système de mise à l'heure a en effet été jugé trop complexe à manipuler et peu pratique pour des militaires souvent gantés et en général pressés de pouvoir synchroniser leurs montres. En outre, il présente le risque d'une maladresse qui peut être fatale aux aiguilles et catastrophique pour la montre. La mise à l'heure par la couronne préserve la montre. Le modèle Elgin est même doté d'un stop seconde qui permet une mise à l'heure fine lors du réglage. Ce dispositif est très rare voire exceptionnel sur les montres de poche. Il est réservé aux chronomètres d’usage particulier pour la marine ou l’aviation lorsque la précision à la seconde est fondamentale.
On retrouve sur le calibre fabriqué par Elgin national Watch C° et baptisé B.W. Raymond, un réglage dans les 5 positions et à température, une décoration dorée à cotes de type « Genève », un balancier de grand diamètre bimétallique avec vis de compensation, un spiral Breguet et 21 rubis. La différence essentielle avec les calibres civils est sans doute la couleur du mouvement ici aussi couleur laiton identique aux mouvements suisses les plus courants.
La boite de cette montre de bord mesure 52 mm et le fond est gravé de la Broad Arrow assorti d'une gravure "6E/50" qui est un marquage militaire des chronomètres de référence qui servent à conserver l'heure sur les navires et sur la base desquelles les militaires ajustent leur montres bracelet. Suit enfin un numéro d'inventaire. La boite est signée à l'intérieur " Elgin National Watch Co. Keystone, Base Metal"- indiquant sa provenance américaine. C'est donc bien une montre 100% américaine qui sert en Europe, à la Royal Air Force alors qu'au même moment, les montres 100% suisses sont interdites de vente sur le territoire Nord-Américain.
Celle-ci a la particularité d'avoir une boite de Railroad qui lui donne un air de montre de service des chemins de fer canadiens. Ces montres ne furent pas livrées dans cette configuration en très grand volume. Elles sont donc assez peu courantes surtout avec la référence gravée sur le fond 6E/50. Ces chronomètres se sont avérés redoutablement précis et parfaitement conformes aux attentes militaires. Il faut souligner qu'Elgin a énormément travaillé sur la précision de ses montres en installant dès 1910, un observatoire au sein de la manufacture. La firme s'est beaucoup investie dans la fabrication d'instruments de mesure lors de la seconde guerre mondiale.
Elle fabriqua notamment des viseurs et divers instruments destinés à l'armement pour le ministère de la défense américain. La production d'Elgin fut considérable et après avoir produit plus de la moitié de toutes les montres fabriquées aux Etats-Unis, la firme va peiner comme toute l'industrie horlogère américaine à se redresser et la manufacture fermera ses portes en 1964.
Des esprits avisés pensent que les marchés militaires ont trop occupé les firmes américaines et les ont détournées des marchés commerciaux civils. La plupart des firmes d'outre Atlantique se sont effondrées dans un laps de temps très court alors que leur potentiel de clientèle était immense. C'est sans doute la preuve de la fragilité de l'industrie horlogère et de la nécessaire diversification des marchés.
Droits réservés - Joël Duval - Avril 2017