On est en 1959 à Laon dans l'Aisne. Ce 2 octobre, il fait très chaud, presque 27 degrés à l'ombre ce qui est exceptionnel pour un mois d'octobre. Philastre est un jeune homme en parfaite santé. Il est à 19 ans en classe de terminale où il est un élève brillant qui devrait avoir son baccalauréat haut la main. La passion de Philastre, c'est la course à pieds. Il détient sinon des records, au moins des temps moyens qui lui permettent d'envisager la compétition. Son temps libre, il le passe sur une piste de sport près de l'école normale où il aimerait aller après son bac pour devenir instituteur.
Philastre est coaché par l'un de ses camarades, Michel qui, chronographe en main, le stimule pour courir toujours plus vite. Ce 2 octobre, Michel a le chrono dans une main et un compteur de sport dans l'autre. L'objectif est de comparer les performances d'une part en donnant toute la puissance dès le départ et de l'autre en la répartissant sur la durée de l'épreuve. La course est sur 500 mètres.
Il est 14 heures quand Philastre fait son premier tour de piste. "58 secondes !" hurle Michel à la fin de la première épreuve. Philastre à peine essoufflé se dirige vers une gourde pleine d'eau pour se désaltérer. Il marque une pause de 15 minutes avant de se relancer...Il est tranquillement assis quand soudain, il s'effondre au sol. Michel accourt. Il prend le poignet de Philastre mais le pouls est imperceptible. Il se retourne pour appeler au secours mais il n'y a personne. Le stade est vide, totalement vide. Un chien malgré tout est à proximité. Il s'approche comme s'il était un familier de l'un des deux jeunes hommes. Arrivé à proximité de Philastre, il s'arrête net regarde Michel affolé qui tente de pratiquer un massage cardiaque. Philastre est inerte, totalement inerte. Michel arrête le massage et regarde désespérément autour de lui s'il aperçoit quelqu'un qui pourrait appeler des secours. Il ne sait que faire. Continuer le massage ou partir en courant, traverser jusqu'à l'école en face et demander qu'on appelle une ambulance.
Le chien, un gros bâtard croisé d'un Berger allemand et d'un labrador a alors une attitude très étonnante. Il bondit d'un seul coup sur Philastre et appuie ses pattes avant sur son torse. Il lui lèche le visage et se met à gémir. Michel s'avance pour retenir l'animal mais une chose inespérée se produit. Philastre reprend conscience... Le chien remue la queue comme s'il avait gagné. Le temps d'aller chercher les secours et Philastre se retrouve dans une ambulance qui le conduit à l'hôpital. Il lui faudra quelques heures pour reprendre ses esprits de manière intelligible. Son ami est là à ses cotés et ses parents l'ont rejoint. Le médecin explique que Philastre a subi un arrêt cardiaque consécutif à un gros effort et les examens mettront en avant une malformation congénitale. Il aurait pu en mourir. Ce qui fut déterminant pour le sauver fut non pas le massage cardiaque mais le choc provoqué par le chien.
Ce chien n'était pas totalement étranger à Philastre, il le connaissait même très bien. Il appartenait à une épicière dont la boutique est à quelques maisons de celle de ses parents. Il a connu ce chien encore chiot et le voit tous les jours. L'animal vient lui dire bonjour chaque matin quand il part de chez lui et vient chercher une caresse chaque soir au retour et cela depuis 15 ans. Comment l'animal s'est-il retrouvé dans les parages ? L'explication est qu'il faisait souvent des fugues dans la journée. Pourquoi a-t-il sauté sur Philastre ? A-t-il senti qu'il fallait faire cela pour réveiller son "ami" ? L'idée fait sourire. Philastre a le sentiment que l'animal a compris la situation. Il racontera un peu plus tard, qu'il sentait qu'il allait mourir et qu'une sensation de bien être l'a envahi. Il expliquera qu'il entendait Michel et qu'il a eu l'impression d'appeler le chien et de lui demander de lui sauter dessus.
Tout le monde prit cette histoire en se moquant de la superstition du jeune homme. Un an plus tard, face à sa maîtresse le chien se mit à pleurer, cela dura 3 jours à l'issue desquels, elle mourut subitement d'un AVC. Le chien fut adopté par les parents de Philastre. Il vécut encore 4 ans. Le jeune homme arrêta la course. Il avait alors dans un coffret paré de velours, un compteur de sport et un chronographe anciens tous deux de marque Omega. Il s'en servait pour faire courir le chien et le chronométrer. Le chien disparut fin 1965 en plein après-midi. Philastre n'était pas chez lui mais appela moins d'une minute après la disparition de l'animal car il avait l'impression qu'il se passait quelque chose, il avait ressenti une grande angoisse.
La nouvelle le rendit très triste. Il expliqua qu'il avait le sentiment d'avoir échangé avec ce chien par la pensée. Il fut considéré comme un illuminé. Il souffrit beaucoup de s'être confié sur ses impressions. Philastre est décédé il y quelques semaines. Ses enfants ont retrouvé un carnet. Il y expliquait avoir tenté des expériences avec ce chien et notamment de cacher des objets que l'animal retrouvait rien qu'en y pensant et en se concentrant. Il explique comment il brouillait les pistes pour l'animal en trompant son odorat avec d'autres objets cachés au même moment.
Le chien volontairement ou non lui avait sauvé la vie. Cela excuse sans doute pas mal de superstition. Le chronographe et le compteur de sport ont été revendus, Michel resté ami avec Philastre les aurait bien achetés mais on ne les lui a pas proposés. C'est lui qui m'a raconté cette histoire...
Remerciements spéciaux à Michel D .
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