J'avais déjà raconté l'histoire de cette montre en 2013. C'est peut-être l'histoire qui m'a le plus atteint parmi toutes les montres que je possède. J'ignore si celui qui me l'a vendue est toujours en vie car il m'avait confié être très malade. Je souhaite de tout cœur que tout aille pour le mieux pour ce qui le concerne car il avait été très coopératif et sympathique. C'était le petit-fils du sénateur lui-même qui devait se soigner et que pour payer les soins devait vendre quelques biens. Presque 6 ans après, l'histoire reste pour moi un moment exceptionnel. J'en ai écrit cette version "courte" pour le forum et une autre plus détaillée avec des images très étonnantes pour une version papier que je vais tenter de relancer.
Le Chronographe Omega du sénateur Forsyth Certaines montres ont une histoire forte et intense. C’est souvent l’apanage des plus belles pièces. La montre du Sénateur Américain Charles Floyd Forsyth est riche d’une histoire qu’il a marquée par l’utilisation peu commune qu’il fit de son chronographe et par le fait que son garde temps a traversé le temps sans perdre de ses qualités esthétiques exceptionnelles. Omega : L’une des premières manufactures de chronographesOmega fut l'une des premières manufactures à s'intéresser au chronométrage des temps courts et donc au développement des chronographes. Prisés par les militaires, les ingénieurs, les premiers aviateurs et les automobilistes dont les tableaux de bord des automobiles étaient rudimentaires, le chronographe était une pièce difficile à produire car faisant appel à une main d'œuvre davantage formée que celle qui pouvait être affectée à la fabrication des montres classiques.
Nombreuses furent les manufactures qui ne développèrent pas leurs premiers modèles de chronographes mais préférèrent en sous-traiter la fabrication des mouvements à des maisons spécialisées dont la maison Reymond, fabricant des Valjoux, fut sans doute l'une des plus productives dans les premières années du 20ième siècle.
Les fabricants d’ébauches étaient dans les premières années du siècle, capables de livrer à partir des mêmes bases, des mouvements dont la découpe des ponts était si différente qu’elle faisait oublier que l’architecture des mouvements était la même. Entraient ensuite en scène les termineurs de mouvements ou finisseurs d’ébauches qui doraient, rhodiaient, anglaient voire amélioraient l’empierrement des pièces.
Par essence, le chronographe fut imaginé pour être fonctionnel et fiable et jusqu'aux années 1910, son prix élevé conduisit les acquéreurs à préférer des boites lisses en acier ou métal blanc, plus rarement en argent, et exceptionnellement en or. L'usage de ce type de montre en toutes circonstances fait que les boites meilleur marché sont sans doute préférées.
Depuis la fin du 19ème siècle, Omega produit de superbes chronographes de 19 lignes que la manufacture fait évoluer au gré de ses connaissances et de sa maîtrise dans la conception et la fabrication de ce type de calibres. Les montres sont dotées de totalisateurs à saut semi-instantané et de cadrans en émail et ébauches d'échelles tachymétriques. Les cadrans en plusieurs parties et dont les sous-compteurs sont rapportés, sont souvent les modèles les plus chers. Ces pièces de poche, chronographes monopoussoir ont un totalisateur des minutes à midi et pas encore de totalisateur des heures. Ces derniers viendront bien plus tard. Les montres massives sont rarement dans des boites gravées afin d’en limiter le coût.
Posséder l’un de ces chronographes est un signe de qualité et ce d’autant plus si le garde temps présente une certaine esthétique ou recherche. Au début du siècle, l’Art nouveau domine la mode et le mobilier autant que les montres se parent de gravures, dessins romantiques et voluptueux, et de fleurs qui vont marquer toute la période. Les chronographes Omega peuvent sur commande spéciale être proposés dans des boitiers ainsi travaillés, frappés par des médaillers qui se spécialisent dans la frappe de boites pour les grandes manufactures d’horlogerie.
Un chronographe de luxe qui traverse l’Atllantique La pièce dont l’histoire va s’écrire est vendue en Europe, sans doute en France et il difficile d'expliquer avec certitude comment elle prend le chemin des Etats-Unis, sinon par l'intermédiaire d'un militaire des « Corps of Engineers » ou des « Signal corps » qui aurait pu en faire l'acquisition en 1919 et la ramener avec lui par la suite, lors du retour sur le territoire américain. La trace de la montre s'égare en effet, après la fin des années 1910 jusqu'à ce qu'elle soit remarquée, peut-être dans la vitrine d'un prêteur sur gage, au milieu des années 1950, dans l'Etat du Kansas.
Ce jour là, un jeune avocat né en 1921, Charles Floyd Forsyth, spécialisé dans les affaires criminelles qu’il défend avec aisance et brio, la remarque dans une vitrine. Il faut dire que les montres américaines sont rarement en argent massif mais plutôt en métal plaqué or jaune ou blanc et que de ce fait, les pièces en argent massif sont davantage prisées quand on souhaite une pièce en métal précieux sans aller jusqu’à investir dans une montre en or massif.
Charles Floyd Forsyth fait l'acquisition de ce magnifique chronographe de 55 mm de diamètre superbement décoré avec l’idée de théâtraliser ses plaidoiries. Nombreux sont alors les avocats américains qui pour détourner l'attention des jurés voire de la cour, et l’attirer vers eux, usent d'accessoires qu'ils manipulent pendant leurs plaidoiries et celles de la partie adverse. Pour l'un, l’accessoire choisi sera un fume-cigarette, un briquet dont il claque le couvercle, pour l'autre, un étui à cigarettes, ou un stylo. Ces accessoires donnent du panache, de l'image face aux jurés et jouent parfaitement le rôle d'objets catalyseurs d’attention et finissent par focaliser les regards sur leur manipulateur.
Cet avocat spécialisé dans la défense pénale et les audiences criminelles ouvrit un cabinet à Erie Kansas et travailla pour la ville. Il devint sénateur du Kansas en 1961 et ce jusqu’en 1964 et fut l'avocat de la section locale de « l'American Legion » sorte de confrérie paramilitaire. Par la suite, il est candidat au poste de gouverneur du Kansas, mais essuie une défaite.
Le petit fils de Charles Floyd Forsyth se souvient très bien à quel point son grand-père jouait dans les tribunaux, lors des audiences, avec son chrono qu'il déclenchait et remettait à zéro puis rangeait avec soin dans sa poche. Sans doute l'instrument servait-il aussi à mesurer le temps consacré à un client et à lui facturer au temps passé, le travail réalisé à son profit. Charles Floyd Forsyth ne quittait jamais son chrono en argent Omega. La firme suisse n'était sans doute pas aux Etats-Unis, la plus connue des manufactures helvétiques car à l'époque, Longines très implanté sur le territoire Nord-Américain était représenté par la maison Wittnauer et proposait des montres chronographes particulièrement réussies. La marque était en outre, très bien distribuée et c'est donc plus probablement le hasard qu'une recherche dédiée qui ont mis ce chronographe sur le chemin de Charles Floyd Forsyth.
Aujourd'hui, les tribunaux américains ne tolèrent plus l'usage d'objets susceptibles de détourner l'attention ou de focaliser le regard des jurés et seule la vérité défendue par le talent de l'avocat doit peser sur la décision. A sa manière, ce chronographe témoigne d'une époque où la théâtralisation de la justice atteignait les prétoires et salles d'audience accompagnée d'accessoires sans lesquels les avocats d'aujourd'hui doivent compter. Le Chronographe Omega de Charles Floyd Forsyth a peut-être fait échapper à des jugements plus sévères nombre d'auteurs de délits mais il reste une pièce qui traverse le temps et dont l'histoire peu courante en fait un objet subtil et rare.
Droits Réservés - Forumamontres - Joël Duval - Janvier 2019