Jules Fourchignon est né quelque part entre Cambrais et Tourcoing le 10 avril 1882. A 16 ans, il devient apprenti auprès de la société Française d'embouteillage du Nord. Il vit alors chez ses parents près de Roubaix.
Jules est un garçon intelligent qui aurait eu la capacité de faire des études si ses parents en avaient eu les moyens.
Son travail à la société d'embouteillage consiste à laver les bouteilles avant leur remplissage. Remarqué par le contremaître Edouard Grattier, il est proposé au rang de chef d'équipe à 21 ans en 1903, ce qui augmente sa paye de 20%. Il s'achète alors une Omega en acier Nickelé car sa monte à échappement à cylindre n'est pas assez précise pour surveiller les cadenses de travail de son équipe.
Jules a 32 ans quand il est réquisitionné pour défendre la patrie. Caporal, il commande ses hommes avec humanité et discernement. Il ne connaîtra que 45% de pertes et sortira légérement blessé au bras gauche de la guerre. Il épouse en 1919 Cunéguonde Farman, une institutrice qu'il avait fréquenté avant la guerre et avec laquelle il a correspondu pendant 4 ans.
Cunégonde est dynamique et charmante, il en aura trois enfants dont le cadet disparaîtra à 6 ans d'une rougeole mal soignée. En 1927, la Société d'embouteillage est rachetée par une firme anglaise la "Bottle International C°" dont le président décide de s'insatller à Roubaix. Jules reconnu pour ses compétence est nommé Chef de fabrication.
Son statut social s'améliore et il emménage dans une maison dotée de l'eau courante, d'une salle de bains et d'un chauffage central. Cunégonde devient directrice d'école.
En 1929, la "Bottle International C°" fait faillite et est reprise par une société américaine qui investit dans un nouveau matériel de production. L'entreprise est directement controlée par une équipe américaine qui vient sur place. Grace à des cours du soir, Jules maîtrise rapidement l'anglais ce qui lui donne une longueur d'avance pour devenir Directeur technique de production en 1932. Jules est alors envoyé 6 mois aux Etats-unis pour se former aux techniques de travail de la maison mère. Il s'achète sur place une montre de poche Hamilton équipée d'un calibre 992B qui en plus de sa précision est en argent. Jules attache sa montre au bout d'une chaine et la porte dans son gilet.
En 1939, les américains repartent de France mais conservent l'entreprise que Jules est chargé de diriger entièrement. Il est nommé directeur général de la "Bottle Swift France" filiale de la maison américaine. Multipliant les déplacements internationaux, Jules s'achète une Patek Philippe en or qu'il porte avec élégance et offre à Cunégonde un modèle similaire de dame.
La seconde guerre ralentit l'activité de l'entreprise qui subit d'important dégats à cause d'une bombe lachée par les américains. Jules fait travailler des femmes dont les maris sont partis au combat. Il fait alors la rencontre de Juliane âgée de 27 ans qui devient sa maîtresse pendant 4 mois. Jules met fin à l'aventure par égard pour Cunégonde qui tombe grièvement malade. Elle meurt 6 mois plus tard emportée par un cancer.
A la fin de la guerre la société américaine propriétaire de l'entreprise décide de la reconstruire et d'en faire le siège Européen de la société. Jules est en nommé vice-président. Il quitte ce poste en 1957 à l'âge de 75 ans. Le président américain de la société vient alors spécialement en France pour remettre à Jules un cadeau de départ, une montre en or de poche très lourde marque sur la cuvette " For Jules Fourchignon vice-pst of the Bottle Swift - A friend, a great man and a brother for us - 1903- 1957".
Jules reconnait la montre que lui offre son président . C'est la même que celle qu'il avait vu lors de son premier voyage aux états-unis et avait hésité à acheté. Il avait raconté cette histoire au président qui l'avait retenu et avait mis un de ses collaborateurs en quète de retrouver cet objet. Il n'y a que les américains pour aller aussi loin dans l'émotion des choses...
Elles n'ont rien de désuet ces montres récompenses et cadeaux qui illustrent parfois de longues amitiés, collaborations ou amours... Elle racontent l'histoire des gens, la notre et celle de nos anciens. C'est autrement mieux que de lire au dos "Waterproof..."
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).