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Puisque Zen me fait l’honneur de reconnaître le rôle que j’ai pu jouer dans le premier « supplément horloger » de
L’Express (« Le meilleur des montres »), je vous propose quelques compléments d’information.
• C’est vrai que, au début des années 2000, j’ai lancé les premiers « suppléments horlogers » de quelques médias français et européens. Je l’ai toujours fait avec une logique de journaliste, pour apporter des informations horlogères cohérentes à des lecteurs pas forcément initiés. le terrain était vierge et cette mission
évangélisatrice plutôt passionnante pour un amateur de montres (c'est de là que viennent la plupart des pages horlogères régulières des magazines français)...
• L’idée était de dépasser le cercle relativement restreint des lecteurs de revues horlogères
[à l’époque, il n’y avait quasiment pas d’Internet, ni de vrais forums horlogers] pour faire émerger et diffuser une nouvelle « culture générale horlogère » dans le grand public.
• Très vite, les rédactions ont perdu le pouvoir face aux publicitaires. La presse est un système économique clos : ou bien vous vendez votre journal à vos lecteurs (c’est le modèle
Canard enchaîné), ou bien vous vendez votre titre à vos annonceurs (c’est le modèle économique de 90 % de magazines et des quotidiens français). C’est ainsi que les suppléments horlogers sont devenus des « pièges à pub » et de purs prétextes à enchaîner les pages publicitaires en y intercalant quelques colonnes de vagues textes repompés dans les dossiers de presse. On n’était même plus dans une logique de « vulgarisation », mais d’auto-promotion satisfaite. Pour les médias, c’était aussi une façon de se requalifier : j’ai des « annonceurs de luxe », donc je suis un « acteur du luxe »...
• Du côté des maisons horlogères, il ne s’agissait évidemment pas d’aider à la propagation d’une quelconque « culture horlogère », mais de
marquer un territoire (face aux concurrents : ils y sont, donc je dois y être moi aussi) et d’élargir la part de marché éditoriale personnelle d’un président ou d’une de ses initiatives (ça pèse lourd dans les CV, chez les chasseurs de tête). Là encore, tout le monde se moquait un peu du lecteur final. Ce qui explique que ces suppléments n’assuraient (et n’assurent) généralement que la promotion de modèles
invendables en France compte tenu leur prix, qui les réserve aux étrangers de passage qui ne lisent pas ces suppléments. Logique de
communication contre logique d’
information...
• Puisqu’il ne s’agissait pas d’intéresser les lecteurs, mais de pommader les égos managériaux tout en garantissant le bonus des commerciaux, ces habillages rédactionnels ont rapidement été sous-traités, tout d’abord à quelques rewriters (toujours les mêmes, de titre en titre), puis à des agences spécialisées qui ont très vite dégradé l’é
ditorial en
advertorial, et les « articles » en simples « contenus ». Ce qui explique la morne uniformisation des textes et des sujets traités. Ce qui explique aussi que je me sois vite lassé de ce petit jeu en tentant d'inventer une forme de journalisme horloger indépendant à travers
Business Montres & Joaillerie, désormais
Médiafacture d'informations horlogères depuis 2004...
• Aujourd’hui, avec la multiplication des médias sociaux, des sites Internet, des forums et des portails horlogers, les marques ont de moins en moins besoin de communiquer dans des médias traditionnels qui n’ont quasiment plus de lecteurs et dont les pages rédactionnelles semblent de plus en plus
distantes (le terme choisi par Zen est très juste) de l’horizon mental de ceux qui lisent encore des supports imprimés. Les « contenus » les plus informatifs sont à chercher ailleurs...
• On peut estimer que ces suppléments horlogers sont, à présent, une forme éditoriale
moribonde, historiquement datée et déjà obsolète, réservée aux marchés émergents, où ils remplissent la fonction
évangélisatrice qui était la leur sur les marchés matures il y a une décennie.
• Avec le départ des annonceurs, on assiste à l’extinction programmée des « suppléments » comme des « hors série » consacrés aux montres : c’est là qu’on découvre quelques fabuleuses arnaques (on a fait payer aux marques des diffusions massives, qui n’ont jamais existé que sur le papier). C'est là qu'on débusque d’incroyables aigrefins (certains vivent « sur la bête » depuis des années). C'est là qu'émerge tout un système parasitaire qui explique, en partie, l’inflation démente des budgets de communication dans le luxe horloger. Il est vrai que les marques (du moins les services de communication) n’ont jamais compris la différence qui peut exister entre un rédacteur et un vendeur de publicités (on mélange les deux dans les événements presse), ni celle qui sépare un journaliste d'un blogueur, ni celle qui différencie un chroniqueur spécialisé d’une styliste de la
fashion...
• Moralité : pour trouver des vraies informations horlogères, inutile de se précipiter sur les suppléments saisonniers de la presse quotidienne ou de la presse magazine grand public (à une ou deux exceptions près). Autant faire confiance à une poignée de magazines spécialisés (il en reste des bons) et autant miser sur l’intelligence collective de la Toile, où on trouve à peu près tout (le meilleur comme le pire) sans trop de dérives
advertoriales.
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