La RR56 de Zenith - Un garde temps Icône intemporelle d'exception
Une montre taillée sur mesure pour les Chemins de fer canadiensAu milieu des années 50, à la fin de l’année 1955 plus précisément, Peter Kushnir alors représentant de Zenith au Canada qui deviendra en 1964, responsable de la chronométrie pour les chemins de fer canadiens se trouve confronté à une pénurie de mouvements pour l'assemblage des montres réglementaires de la compagnie de transports du pays. Aucun stock n'est suffisant au sein des manufactures américaines dont le devenir commence à laisser perplexe, pour répondre aux besoins de la compagnie des chemins de fer canadiens. Peter Kushnir sollicite donc auprès de la manufacture une transformation du calibre 69 pour s'adapter au cahier des charges de la compagnie de chemins de fer. Il se souvient en effet, que ZENITH a déjà fourni les chemins de fers canadiens avec des calibres de 19 lignes Superior grade de 21 rubis ajustés en 5 positions. Il est alors installé à Hamilton dans la province de l’Ontario et transmet la demande au Locle en vue de l’adaptation du calibre 69.
La manufacture a déjà fourni à des compagnies de chemins de fer des montres avec des calibres de haute qualité. On la retrouve ainsi en 1928 parmi les marques agréées par les compagnies américaines aux côtés de 8 autres manufactures américaines et deux autres suisses, à savoir Omega et Longines. La plupart des mouvements sont des 19 lignes. Les marques américaines les livrent dans des versions de 17 à 23 rubis, Longines propose des pièces de 19 à 23 rubis tandis qu'Omega et ZENITH versent essentiellement des 21 et 23 rubis.
Les calibres fournis par ZENITH dans les années 20 sont des 19 lignes de type dit Superior mais parfois aussi qualifiés de Extra et dotés de 23 rubis. En 1956, ZENITH demeure la seule manufacture suisse agréée par les chemins de fers américains. Elle livre des calibres de qualité Extra en 23 rubis.
Sans doute Peter Kushnir espérait-il pouvoir livrer ce même calibre Extra dans les boites spécifiques imposées par les chemins de fers canadiens. Les horlogers du Locle ont toutefois fait évoluer leurs mouvements depuis les années 20 et ont fabriqué en 1943 des ébauches de calibre 19 lignes dans une version en finition haute d’un mouvement 19 N antérieur. Ce mouvement de 41,30 mm de diamètre pour 6,45 mm de hauteur est référencé 69 dans la manufacture. Il est de qualité Extra avec 21 rubis, un réglage Breguet et un système dit régulateur de raquette. Doté d’une finition de type côtes de Genève, il a subi un réglage dans 6 positions et températures et bat à 18 000 alternances par heure. Si les ébauches datent de la première moitié des années 40, c’est bien en 1956 que les mouvements sont achevés. ZENITH met donc en fabrication ce RR56 et passe commande le 18 février 1956 de cadrans à la société Flickiger et Cie de Saint Imier, de jeux d’aiguilles chez H et M, et des mouvements terminés à ses propres ateliers. Les cadrans seront livrés en juin et les calibres en novembre par boites de 10.
La mise à l’heure se fait en dévissant la lunette, par une targette placée sur le bord et sous le cadran à 2 heures. Le mouvement antimagnetic sans pare-choc, ce qui est surprenant pour une pièce du milieu des années 50, est doté d’une plaque de contre pivot à l’échappement en acier qui dénote un souci du détail particulièrement poussé. Il est difficile d’établir pourquoi la manufacture n’a pas livré ce mouvement en 23 rubis ce dont elle était capable. Toutefois, ZENITH ne poursuivait pas une surenchère à l’empierrement de ses mouvements et il est probable que cette caractéristique ne relève pas d’un choix économique mais davantage d’une option technique. Autre dispositif particulier, la raquette de type classique simple flèche élargie est dotée d’un col de cygne classique.
ZENITH n’a donc pas opté pour sa raquette à disque excentrique brevetée en 1903 et exploitée par la manufacture jusque dans les années 60. Ce 19 lignes est un 21 rubis fabriqué spécialement pour cette commande exceptionnelle. Surnommé
« Le Canadien » dans les ateliers ZENITH, le RR56, qui est son nom de diffusion auprès des chemins de fer canadiens, est considéré comme l’un des plus beaux mouvements de la manufacture au plan esthétique. La qualité de sa finition n’y est certainement pas pour rien.
Le cadran est lui aussi exceptionnel. Conforme au cahier des charges des chemins de fers canadiens, il en existe deux types, celui dit Montgomery, c'est-à-dire avec chaque minute en périphérie marquée en chiffres arabes de 1 à 60 et celui de type classique sans ce marquage.
ZENITH a livré 1000 exemplaires de son mouvement en version RR56 à priori en 2 séries dont l’une de 500 pièces et l’autre de 400 chacune avec un des deux types de cadrans. Les livraisons s'étalent de cette manière :
- 500 mouvements courant 1956,
- 150 fin 1956
- 450 en 1957
- Le solde fut réservé
La manufacture réserva donc une grande partie des mouvements fabriqués soit au SAV, soit sans doute dans le cadre d'une anticipation de commande ultérieure sans doute suite à un accord probable qui prévoyait l’échange pur et simple des calibres en cas de réforme ou de panne.
Le cadran Montgomery tient son nom de son inventeur, Henry S. Montgomery, qui fut inspecteur général du matériel horloger pour la compagnie américaine de chemins de fers Santa Fe Railway de 1896 à 1923. Ce type de cadrans vise à sécuriser la lecture de l’heure à la minute près, sans risque d’erreur sur les minutes. Le cadran identifie par ailleurs la qualité Extra du mouvement et outre le nombre de rubis, ses caractéristiques antimagnétiques. Il mentionne enfin, la référence RR56 qui renvoie expressément à la fabrication spéciale faite par ZENITH de ce calibre. La montre est évidemment un chronomètre capable d’une précision sans faille et faisant preuve d’une fiabilité à l’image de celle portée par ZENITH pour ses montres de poche réputées parmi les plus précises et solides.
Il est difficile d’établir avec précision pourquoi la manufacture fit 500 mouvements de plus que les commandes des chemins de fers canadiens pour son SAV. La destination d’un tel volume, soit près de 30% du total livré, semble surabondante pour un mouvement dont la fiabilité est acquise et qui semble réparable sans difficulté particulière. Il n’est pas connu de défaut qui aurait pu justifier cette sur-fabrication et sans doute la compagnie Canadienne imposa-t-elle des garanties de fourniture de pièces neuves pour assurer la maintenance de son mouvement.
Sans nul doute ce surplus fut-il facturé à la compagnie de chemins de fers. Nul ne sait ce que devinrent ces mouvements dans leur totalité. Habituellement un volume de 15 à 20 de pièces suffit à garantir durablement la capacité de maintenance surtout si la remise en fabrication des pièces reste une voie de solution.
La RR 56 est sans doute la montre la plus emblématique de toute la production de la manufacture. Chargée d'histoire, elle symbolise un savoir faire et une recherche de la précision comme aucun autre modèle. Rare et recherchée, la RR56 est malgré les années, restée fiable et hors norme.