L’histoire de la South Bend Watch Company :
Une manufacture horlogère oubliée
L’histoire de l’horlogerie renferme des trésors d’inventions techniques, de développements et de recherches au service de la précision et de l’industrialisation maîtrisée des montres et des pièces d’horlogerie. Si aux Etats-Unis de très grandes firmes ont dominé le marché jusqu’à elles-mêmes s’éteindre dans les années 1960 et 1970, de nombreuses manufactures ont émergé et se sont fait une place auprès d’une clientèle pour laquelle la précision était la qualité majeure attendue d’une bonne montre. Pendant près d’un siècle en effet, la communication des marques américaines élèvera la précision des pièces au rang de culte ce qui portera les manufactures à rivaliser d’astuces et d’innovations pour entrainer la fidélité de leur clientèle.L’histoire de l’horlogerie américaine n’est pas riche seulement de l’existence parfois chaotique de quelques grandes manufactures comme Waltham, Elgin ou Hamilton mais se nourrit aussi de l’émergence plus ou moins éphémère de firmes plus petites. Fondées sur des paris audacieux mais aussi souvent une maîtrise technologique industrielle réelle, ces manufactures ont démontré leur fragilité économique face à une concurrence efficace. La crise de 1929 a précipité nombre de ces maisons vers la faillite et une disparition pure et simple du paysage horloger. La South Bend Watch Company fait partie de ces manufactures horlogères américaines dont l’espérance de vie n’a pas dépassé 30 ans mais qui ont démontré un savoir-faire exceptionnel.
Issue de l’association de trois frères, Georges, John et Clement Studebaker, cette firme fut constituée après l’achat par ces derniers en 1902 de la Colombus Watch Compagny en état de faillite. Installés dans l’Indiana à South Bend, les frères Studebaker y construisirent leur manufacture et Clement Jr en devint le président. Clement Studebaker père était un célèbre fabricant de wagons et voitures. Pour lancer leur activité, les Studebaker employèrent près de 150 personnes de la Colombus Watch Company dont l'horloger Walter Croix Shelton de la « Appleton Watch Company » firme horlogère du Wisconsin.
Leur affaire prospéra très vite au point d’employer jusqu’à 600 personnes dans les années 1910/1920 et de produire 60 000 montres par an. Toutefois lors de la première guerre mondiale la production de montres fut interrompue quand l’entreprise fut réquisitionnée par le gouvernement américain afin de construire des viseurs. Ce n’est qu’en 1918 que la manufacture put reprendre ses activités horlogères. L’absence de production pendant trois ans éloigna la marque de son public ce qui ne fut pas sans conséquence pour l’entreprise. En effet, le marché a considérablement changé pendant les années de guerre. La montre bracelet s’impose de plus en plus aux poignets masculins et la concurrence suisse moins touchée par la guerre s’est engouffrée sur ce type de produits. Malgré tout, les montres South Bend jouissent d’une excellente réputation et conservent la confiance de nombreux détaillants qui les recommandent à leurs clients.
Les frères Studebaker constatant que la notoriété d’une marque était essentielle s’inspirèrent de la politique de communication à grande échelle menée par les grandes firmes pour eux-mêmes, mettre en place une communication nationale avec comme support des pleines pages de journaux. La plus célèbre des publicités de South Bend présente une montre dans un bloc de glace avec comme slogan «Frozen in Solid Ice, They Still Keep Perfect Time» - Gelée dans un bloc de glace, elle garde une précision parfaite. La manufacture offrait une garantie à vie pour ses montres à des prix s’échelonnant de moins de vingt dollars à un peu plus de 150 dollars.
Dans le courant des années 1920, la manufacture a décidé de commercialiser ses montres sous une seconde marque, en prenant le nom de ses fondateurs : Studebaker. Fabriquées sur les mêmes lignes de production, ces montres identiques à celles portant la marque South Bend, visaient à accroitre la notoriété des frères par ailleurs associés dans l’industrie automobile. Pour la plupart vendues à crédit par correspondance après que le client n’ait eu à verser qu’un premier dollar, les montres se sont largement diffusées.
Le mode de vente peu apprécié des revendeurs laisse toute la marge bénéficiaire à l’entreprise mais va quelque peu fâcher certains détaillants qui pousseront leurs clients vers d’autres marques qui leur offrent de meilleurs profits et moins de concurrence dans la vente. La crise de 1929 va mettre à genoux les clients et les banques ne seront pas prêtes à consentir le moindre crédit à l’entreprise.
Très compétitive dans ses prix de vente au public, la marque South Bend détenait une place de choix dans le foisonnement des manufactures horlogères « alternatives » aux grandes firmes américaines. Peu développée à l’exportation, c’est quasi exclusivement sur le marché américain que l’entreprise connut ses développements commerciaux. Cette situation la rendit plus fragile aux aléas de l’économie nationale.
La firme se laisse par ailleurs dépasser par l’émergence des montres bracelets dans l’avenir desquels elle ne croit pas. Le 27 novembre 1929, la veille de Thanksgiving, alors qu’il reste encore 300 employés au sein de la société, ceux-ci sont informés de la fermeture de l’entreprise jusqu’au 1er janvier 1930. Les caisses sont vides, la trésorerie inexistante et l’entreprise ne ré-ouvrira jamais ses portes.
La South Bend Watch Company est progressivement liquidée jusqu’en 1933 et ses bâtiments deviennent une usine d’embouteillage et servent également d’entrepôts divers. Alors que, ironie de l’histoire, l’entreprise avait été équipée d'un dispositif anti-feu très sophistiqué, c’est un incendie qui achèvera le 8 juillet 1957 de faire disparaître les traces de la manufacture qui ne laisse en héritage que ses montres.
Lors de sa liquidation, près de 35 000 montres sont encore en cours de production. Walter Croix Shelton, avec deux autres employés, procède à l’assemblage de ces montres et les vend tout en assurant une sorte de service après-vente pour les montres de la marque. Il lui arrive également de réparer des pièces d’autres provenances. Toutefois, détenteurs de pièces détachées pour les montres South Bend, il se fait connaître des revendeurs et en devient le référent soit pour réparer les montres, soit pour fournir des pièces aux horlogers. Il maintiendra ce service jusqu’à l’âge de la retraite en 1954, mettant ainsi un point final aux derniers balbutiements de la marque.
Par un astucieux système de référence, chaque mouvement est doté d’un numéro qui permet d’en établir le type (qualité, taille et caractéristique Lépine ou savonnette). Le 227 présenté ici est un 21 rubis, 16s, de type Lépine. C’est un modèle dit RailRoad. Son numéro de série permet de le dater de 1924.
La manufacture a produit des modèles de 7 à 21 rubis avec des architectures de mouvements assez diverses ainsi qu’une finition rhodiée soignée, alliée à une décoration dans la ligne habituelle des montres américaines. Les montres étaient fiables et précises au point que les modèles dotés de 21 rubis restent un siècle après leur fabrication dans les normes de fonctionnement des meilleurs chronomètres contemporains.
On estime la production globale de South Bend à plus d’un million de montres ce qui est modeste à l’échelle américaine mais doit être ramené au nombre d’années de production qui n’est au final que de vingt-deux exercices pleins.
Droits réservés - Forumamontres - Mars 2016