Il y a des moments dans une vie qui vous font passer dans la quatrième dimension. Des moments qui durent, durent ... En voici un, avec une montre qui a eu chaud et un contexte un peu changeant ...
Tout commence un matin vers 9 heures. Je décide d'appeler un ami passionné de montres lui aussi et le téléphone me donne une ...tonalité, oui une tonalité identique à ce que l'on connaissait dans les années 1980. J'aurais dû me douter que c'était un signe du destin mais bon, mon ami décrocha. Il m'expliqua qu'il avait trouvé un chronographe en or magnifique pour quelques euros seulement sur une brocante "Le truc est neuf et date de 1950, il est gravé au fond en italien "1950 - Souvenir de l'année sainte" Tu verrais le poids d'or ! Moi-même en l'achetant j'ai pensé à du plaqué. Le vendeur était planté devant la maison de ses parents décédés et sortait tout au fur et à mesure. Il râlait contre ses parents qui avaient accumulé trop de choses... J'ai même acheté une paire de vieux couteaux pour 10 balles ! Ca va te faire rire mais il y avait des boites de sardines des années 60 jamais ouvertes et des paquets de lessive neufs de la même époque. Tu te rends compte ? C'était comme une sorte de voyage dans le temps, tout ça étant vendu par un type qui avait la tête de Frankenstein. Et toi, tu fais quoi ? "Moi ? Je pars en Normandie dans un château, j'espère que le soleil va se lever parce qu'ici il tombe des cordes..."
Je reste avec cette image de chrono en or neuf en tête et du coup, je décide d'en porter un de même type pour le week-end. J'aime bien porter des vintage sur une période donnée courte...La voiture chargée sous la pluie et c'est parti pour un super week-end....Enfin j'espère. "Tu sais, chérie, une valise pour deux ça va être juste s'il fait ce temps... " "Mais non, la météo a annoncé du soleil !" On part en début d'après-midi, histoire de trainer un peu.
Deux nuits dans un château aux portes de la Normandie ! Géniale idée ... (cherchez le jeu de mots). Après quelques heures de route sous un temps pourri avec un vent d'enfer et sous une pluie battante, le GPS annonce enfin "Dans un kilomètre, vous êtes arrivé"... Ouf ! Puis "vous êtes arrivé". Sauf qu'il n'y a rien. Nous sommes au milieu des champs sur un chemin de terre près d'un panneau qui annonce un lieu-dit du même nom que le lieu de destination.
Après quelques minutes de doutes, le GPS est reprogrammé et il reste cette fois, 12 kilomètres. La voiture est pleine de boue mais par chance, elle ne s'enlise pas mais est-ce de la chance ou de l'expérience dans la conduite en milieu hostile. Etant un spécialiste des chemins pourris, je me glorifie de croire à la deuxième option.
12 kilomètres plus tard, c'est bien devant un château que nous nous trouvons. La grille est fermée, il fait nuit. On a trois heures de retard et pas encore dîné... Il pleut de plus en plus fort. Lorsque je descends de la voiture, pour aller sonner à l'interphone, j'ai l'impression qu'un type caché au dessus de moi balance des seaux d'eau et qu'une fois le seau d'eau mis, il va en chercher un autre (jeu de mots encore). "Ah c'est vous ? " répond dans un grésillement, une voix dont je n'identifie pas le sexe.
La grille s'ouvre ... Moi qui avais décidé de porter ce chrono en or pas étanche, il va falloir que je regarde ma montre de près. Je suis mouillé des pieds à la tête...On rentre la voiture dans la cour. Un énorme chien dans une niche extérieure aboie agressivement. Quel con, il m'a fait peur.
Je descends la valise ce qui me vaut d'être trempé deux fois plus et nous nous dirigeons vers la porte d'entrée. Une plaque mentionne "Chambre d'hôte 1997", ça fait un bail ... Une dame âgée vêtue d'un châle tricoté main vient ouvrir à petits pas. Elle tient un chat noir qui crache en me voyant. "Vous êtes trempés" me dit la dame. "Bienvenue quand même mais laissez les vêtements humides en bas pour ne pas mouiller l'escalier car ça le rend glissant et dangereux. "Vous aurez le château pour vous tous seuls, les autres clients ont tous annulé à cause du temps. Du coup, je n'ai pas lancé le chauffage mais il y a un chauffage électrique dans la chambre".
Il n'y a pas plus de 7 ou 8 degrés dans les escaliers et le couloir. Nos cheveux dégoulinent de la pluie qui s'y est posée. Nous n'avons plus rien de sec sur nous. L'attente à la porte nous a achevés. Nous n'avons qu'une tenue pour nous changer et dans la chambre, le thermomètre annonce 8 degrés. Je hais les chambres d'hôtes.
On a avec nous un paquet de biscuits et une bouteille d'eau entamée et pas envie de ressortir alors ce sera le repas du soir. Ma montre a pris l'eau je vois des gouttelettes sous le verre. Une douche chaude nous ferait du bien...La douche est sur le palier. Pourtant, le site mentionne des douches individuelles mais la salle de bain est fermée à clé car il y a des problèmes de plomberie. On apprendra plus tard que la propriétaire coupe le courant du ballon d'eau chaude qui dessert les chambres par économie quand il n'y a personne. L'eau de la douche d'étage est glacée puis à peine tiède après avoir coulé 5 minutes. Le chauffage électrique s'est coupé, il n'y a plus de chauffage et il est 22 h 30. La proprio a annoncé qu'elle allait se coucher et nous a dit qu'elle ne pourrait pas rouvrir la grille si on ressortait. Bref, nous sommes prisonniers du château...
Tremblants de froid on se glisse sous la... couverture car il n'y a pas de couette. Les draps sont si rêches et froids qu'on a l'impression de s'allonger sur de la grève. Comme j'ai oublié de prendre un pyjama, j'ai le corps paralysé. On entend la pluie et une sorte de sifflement dans les tuiles. On va pour éteindre la lumière mais elle se coupe toute seule. Il y a une panne générale. Je m'éclaire avec mon IPhone pour tenter d'aller prévenir la propriétaire mais il n'y a personne. Les toilettes ne sont pas dans la chambre mais au bout du couloir. J'en profite mais ma batterie se décharge. On se couche et on se tient chaud comme on peut. Ca caille. Il y a quelque chose qui tape ... Un volet surement mais non, c'est dans la chambre. On ne l'entend qu'en collant l'oreille sur le matelas. On frappe ? Je lance un "Oui? " mais non , personne. La serrure de l'armoire semble éclairée de l'intérieur. C'est là que ça tape. Je me lève pour ouvrir la porte mais non, rien. Même pas de lumière.
Le parquet grince comme si quelqu'un marchait dans la chambre. La lumière du smartphone ne permet pas de voir quoi que ce soit. Ca recommence et il y a du bruit dans l'armoire comme si quelqu'un était enfermé. J'y retourne mais non, ça ne bouge plus... Ca s'arrête de gratter. Vite, retour sous la couverture. Il est quelle heure ? Ma montre est pleine de buée... Quelle idée de venir ici ... Merde ! Plus de batterie, plus de téléphone et pas possible de recharger ailleurs que dans la voiture. "J'y vais !" "Mais tu es nu !" Tant pis, j'y vais quand même mes vêtements mouillés ne me tiendraient pas chaud et puis la proprio doit dormir. Je vais coincer la porte avec le carton du rouleau de papier hygiénique. Je descends à tâtons et à poil. J'ouvre la porte d'entrée , je pose le carton dans l'entrebâillement. Le chauffage de la voiture me redonne vigueur après 5 bonnes minutes et le téléphone se recharge. Mais qu'est-ce qu'elle vient faire la vieille ? La proprio est levée en chemise de nuit et lunettes d'homme sur le nez, elle semble râler...
La conne, elle vire le carton qui bloque la porte... Je sors de la voiture pour l'en empêcher mais je suis à poil. Je cache la partie la plus active de mon corps d'athlète mais la mémé est déjà en train de repartir. Je tambourine dans la porte et hurle... Elle revient, ouvre la porte reste sans voix et je lui dis que j'étais parti rechanger mon téléphone pour avoir de la lumière. Je remonte à toute vitesse et me niche sous la couverture. "Le bruit n'a pas cessé... C'est flippant". Fort de ma lumière retrouvée, je retourne ouvrir l'armoire. 2 chauves souris sont accrochées en haut, il n'y a pas de toit à cette armoire. Je retourne au lit. Je sens une caresse chaude sur ma cuisse mais la présence d'une queue longue me fait penser à un rat, oui, un rat. J'allume et un loir énorme se demande ce qu'il fait là. La trouille s'installe, l'envie de retourner aux toilettes aussi. La bouteille d'eau va être sacrifiée. Une découpe ergonomique la rend à usage mixte homme et dame. On aurait du prendre un litre et demi ... Pas question de sortir, ni de balancer par la fenêtre avec le vent, le volet serait impossible à refermer. Il reste ... la plante verte . Tant pis pour elle.
On se recouche mais il y a une voix, oui, une voix là juste à côté dans la chambre. Elle répète "Partez, partez, partez , partez ..." Cette fois, on se réfugie sous la couverture et on bloque l'entrée avec les oreillers. J'ai mon couteau avec moi. "Partez, partez, partez...." Jusqu'au matin la voix ne cesse de prononcer ce mot sur un ton monocorde. Enfin, la lumière du jour arrive par une petite fenêtre sans volet.
Le cauchemar va s'arrêter, il fait du soleil. La voix c'est le papier peint qui se décolle au dessus de la porte et bat à cause d'un courant d'air. Les chauves souris ce sont des désodorisants à placard en mousse par contre le loir est passé par là. Ses crottes en témoignent. Le courant, oui il reste le courant. Chaque chambre dispose d'une minuterie qu'il faut désactiver en arrivant et qui ne sert que lorsque les chambres ne sont pas occupées. Il n'y a jamais eu de panne. Il fallait seulement réenclencher un interrupteur.
Au petit déjeuner, la dame me dit qu'elle est désolée mais n'avait pas imaginé que je sois dehors par ce temps. Je m'excuse auprès d'elle. "Vous étiez vraiment tout nu ? " "Euh oui ... " "J'ai cru que vous aviez un tee-shirt et un slip noir" ... C'est un hommage à ma pilosité. "Et vous madame ? Ca va ? "... On n'a pas dormi une seconde et on a hâte de repartir. C'est crevant la Normandie. La montre a séché, sans dommage... C'est l'essentiel. En route, mon ami m'appelle ...
- Alors c'était bien la Normandie en amoureux ?
- Ta gueule !
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).