Histoire inédite d'une Zenith El Primero qui n'a jamais vu le jour
La génèse militaire Le Ministère Français de la Défense lança début octobre 1995 un appel d'offres pour la fourniture de 1000 chronographes par an pendant 4 ans. Les délais de procédure sont très courts et les candidats doivent remettre leurs offres fin novembre 1995.
ZENITH est très intéressé par cet appel d'offres mais n'a pas de montre en catalogue répondant aux normes fixées par le cahier des charges du ministère. Il n'y a de boîtier disponible que celui de la Rainbow pour répondre aux prescriptions du cahier des charges. Si le cadran conforme à la demande ne pose pas de réel problème, en revanche l’adaptation du mouvement est confiée au bureau d’étude avec une consigne soulignée en rouge « Très urgent ». Par ailleurs la boite de la version classique de la Rainbow est un mixo de brillant et de brossé ce qui ne cadre pas avec une version militaire. Il faut donc dans l'urgence adapter l'aspect de la boite. L'idée viendra de Stephan Ciejka qui connait bien les besoins des armées et conseille Zenith de manière particulièrement efficace. Stephan Ciejka suggère également d'adapter les poussoirs qui sont vissés sur la version classique, ce qui est incompatible avec les besoins d'un pilote de chasse. Il imagine des poussoirs plats, non vissés et une couronne crantée, le tout facile à manipuler avec des gants. Il reste à revoir l'aspect général et cette fois c'est par microbillage que Zenith va obtenir un aspect satiné caractéristique du modèle. Parallèlement au travail réalisé sur l'aspect esthétique, le bureau d'étude de Zenith travaille sur le mouvement.
Le sujet est plus délicat car pour la première fois depuis sa création, il faut apporter au El Primero des modifications sur le mouvement. En l'occurrence, Le cahier des charges militaire prévoit un calibre de chrono Fly-back. La première impression quant à l'introduction de cette fonction est réservée car personne ne sait si la haute fréquence du mouvement va être compatible avec un retour en vol de l'aiguille de trotteuse du chrono. Pourtant, les ingénieurs du bureau d’étude de ZENITH ne feront « qu’une bouchée » de ce défi technique et réussissent à donner une fonctionnalité nouvelle dite « Fly-back » au calibre, en adaptant quelques pièces, le tout avec une fiabilité qui demeure équivalente au calibre de base.
Cette complication consiste à pouvoir réinitialiser le chrono, c'est-à-dire à le remettre au départ et à le relancer dans le même geste simplement en relâchant la pression sur le poussoir de remise à 0. La fonction évite la double manœuvre successive d’arrêt du chrono puis de pression sur le poussoir de départ pour le relancer. Le calibre 400 El Primero modifié prend la référence 405.
Pourquoi une version Fly-back ? A l'origine, le Fly-back fut mis au point pour permettre aux pilotes de procéder rapidement à un nouveau chronométrage en n’appuyant que sur un seul poussoir. En effet, lors d’un vol à vue, un aviateur qui veut relier un point donné utilise son compas mais il peut aussi avoir recours à sa montre pour évaluer au regard de sa vitesse et de la distance restant à parcourir, de l’imminence de l’approche de ce point dans un laps de temps préalablement établi. A basse altitude, la vitesse est de l’ordre de 150 mètres par seconde et un écart de mesure du temps peut s’avérer extrêmement dangereux. La fonction fly-back réduit le risque d’erreur en accélérant et en simplifiant le processus de mesure. ZENITH exploita cette fonction dès les années 30 dans ses chronographes de bord livrés à l’aviation notamment militaire.
En quelques semaines, la manufacture Zenith est ainsi en mesure de répondre à l’appel d’offres de l’Armée Française et de livrer un carton de six pièces à l’appui de son offre. Ces échantillons doivent permettre aux instances chargées d’analyser la valeur technique des offres de contrôler la conformité des montres au cahier des charges et de procéder à quelques essais des pièces déposées. Tandis que chaque marque candidate attend avec impatience de savoir si les produits déposés répondent aux attentes de l’armée, une mauvaise nouvelle vient rompre les espoirs. Comme les autres candidats, l’équipe qui a travaillé au sein de la manufacture sur ce projet est déçue d’apprendre que faute de budget militaire, il est procédé au classement sans suite par l’armée, de la procédure de marché public engagée quelques semaines plus tôt. En effet, la France décide en 1995, année d’élections présidentielles, de supprimer la conscription et les crédits militaires amputés conduisent à un programme drastique de restrictions budgétaires auquel n’échappe pas le chronographe sur lequel l’armée dans le doute, ne s’était engagée sur aucune commande ferme.
Zenith dispose alors d'un chrono qui à la différence de ses concurrents est bâti pour un cahier des charges précis et n'est pas un produit du catalogue se rapprochant du cahier des charges militaires. Avec sa Rainbow Flyback, Zenith ne sait pas encore en 1995, que la manufacture vient de mettre au point l'un des derniers chronographes entièrement pensé et construit sur des bases imposées par un cahier des charges militaire. On est loin, très loin des montres à connotation militaire qu'on valide sous forme d'image en les plaçant au poignet d'un aviateur en uniforme. Zenith avait déjà proposé dans les années 1960 un chronographe militaire qui fut livré aux pilotes de l'armée de l'air italienne par le distributeur italien Cairelli. La Tipo CP 2, nom résultant du cahier des charges italien avait laissé dans le souvenir des pilotes l'image d'une montre de haute qualité.
Un chronographe iconique Le produit reste dans l'esprit de la manufacture un produit qui mérite des développements et un perfectionnement ultime pour pouvoir être incorporé dans le catalogue. Zenith consacre donc l'année 1996 à rechercher des expertises auprès de commandants de bord et auprès de l'Aéroclub de France pour perfectionner son chronographe.
Priorité est donnée à la lisibilité et à faire en sorte que l'oeil ne s'égare pas sur le cadran à la recherche d'information quand une fraction de seconde d'inattention peut rendre potentiellement dangereux le pilotage.
Pour cette raison, la trotteuse est rouge et le totalisateur des minutes est lui aussi rouge, un rouge "anticollision". Ces deux aiguilles essentielles sont les premières dont l'oeil repère les mesures. Des pilotes testent avant la mise en production la montre et donnent un avis favorable. Le compteur du totalisateur des minutes est entrecoupé de couleurs qui évitent de réfléchir par rapport à la position de la montre et évitent les erreurs de lecture. on sait de suite dans quelle tranche de minutage on se situe.
Enfin la zone des 20 premières minutes de la lunette est rouge pour contribuer à la lecture des temps. Tout est pensé sur ce modèle pour l'aviation. Les pilotes sont immédiatement sensibles aux détails dont les poussoirs de chronos et la couronne de remontoir munis d'une tête large pour en faciliter la manipulation avec des gants. La lunette crantée a une résistance "dosée" pour une manipulation aisée. La montre est une réussite. Présentée à Baselworld en mars 1997, elle commence à être livrée en novembre sur bracelet en requin avec une couture rouge.
La demande de la clientèle pousse Zenith à adapter un bracelet en acier et à proposer une version à cadran noir exclusivement sur acier. Le modèle en couleurs fut livré à 900 exemplaires sur cuir, 4850 sur acier et. 4100 en version noire sur acier.
Un rendez-vous manqué En 1999 LVMH rachète Zenith. La Rainbow classique est perçue comme trop proche du design de boite de la Daytona et Zenith décide de cesser la fabrication de la collection. Celle-ci cesse en 2001 pour ce qui est des versions couleur et au tout début de 2002 pour les versions noires. La Flyback Rainbow est retirée du catalogue fin 2002.
Les amateurs de montres de pilotes ne comprennent pas immédiatement tout l'intérêt de cette montre et surtout, la manufacture elle-même n'a pas conscience d'avoir créé un modèle qui va rapidement devenir emblématique par sa rareté relative et sa courte carrière commerciale. En effet, en 2002 Zenith ajuste ses tarifs et la Rainbow flyback voit son prix catalogue augmenter de près de 40%. Pendant que les amateurs se focalisent sur les prix, les modèles en stock restés à l'ancien tarif chez les détaillants sont vendus plus facilement.
La Rainbow Flyback devient un produit recherché. Les amateurs de montres ne la perçoivent pas comme un chrono original et surtout une montre outil professionnelle. Si Zenith a communiqué sur le sujet, la manufacture n'a pas vraiment pris le temps d'installer son modèle dans sa collection. C'est paradoxalement au moment où la montre n'est plus en catalogue que son succès augmente un peu comme la De Luca a connu une meilleure carrière après sa commercialisation que pendant celle-ci.
Le modèle à cadran noir plein de charme et très fonctionnel séduit moins que la version couleur toujours recherchée... Zenith en retrouve parfois quelques exemplaires dans les retours de marchés et les livre au compte goutte à de rares privilégiés.
La Rainbow flyback reste un des modèles les plus aboutis car étudié dans le moindre détail de ses fonctionnalités pratiques. rien n'y est le fruit du hasard. Ce que personne ne sait, c'est que cette Rainbow allait devenir en 2001 la montre officielle du GIGN qui s'est entrainé avec pendant plusieurs mois. Ce n'est pas la version que nous connaissons qui allait être proposée mais une version avec un cadran spécial. Tout était prêt et l'histoire s'est écrite autrement…
Cette montre conçue pour le GIGN reprenait le modèle imaginé pour les pilotes de chasse et les gendarmes du GIGN la testèrent à l'entrainement. Par discrétion nous en tairons le lieu. Le test fut réalisé avec la version Flyback que nous connaissons pendant que les designers travaillaient sur la version spéciale du chrono El Primero. Au programme, sauts, manœuvres dans la boue, escalades, sports de combat etc … En outre, l'entrainement eut lieu dans une zone géographique où l'atmosphère humide n'est guère favorable aux montres. La pièce devait à la fois être étanche dans l'eau et pouvoir être visible en toutes circonstances sans être trop visible dans l'hypothèse de missions nécessitant une extrême discrétion.


Les tests secrets étaient connus de la Direction de Zenith mais l'information est restée confidentielle car en 1998, l'époque n'est pas encore à la mode des partenariats promotionnels. Le GIGN recherche une montre de service avant tout, une montre-outil increvable et susceptible de subir des chocs mais qui doit rester opérationnelle dans les pires conditions. Il n'existe de ce projet que très peu d'archives et encore sont-elles demeurées secrètes.
Le rachat de Zenith par LVMH a mis fin au projet, non pas parce qu'il existait une quelconque hostilité du groupe LVMH mais parce que les urgences de Zenith en 1999/2000 étaient ailleurs. Le projet fut d'autant plus facilement abandonné que Thierry Nataf, nouveau CEO de Zenith avait pour mission de faire de la marque une manufacture située dans le haut de gamme et que la Rainbow quel que fut son intérêt semblait datée et ne répondait pas aux critères qualitatifs que la manufacture voulait imposer. Le projet ne fut ainsi même pas examiné par la nouvelle direction et les équipes du GIGN se reportèrent sur d'autres maisons.
Le modèle qui servit de référence à la création des esquisses reproduites ici fut la Rainbow Flyback avec cette fois des poussoirs et couronnes modifiés et un projet de bracelet en Kevlar produit très innovant à l'époque. Il n'existe donc aucun prototype de la montre puisque le projet s'est arrêté au stade de l'esquisse. Personne ne rompit le silence sur ce projet jusqu'en 2015 où le livre sur les 150 ans de Zenith en reproduisit l'image.
Droits réservés - Forumamontres - Joël Duval - Juin 2018