De l'art et la manière de virer un haut collaborateur dans l'horlogerie -Billet

Albert Bensoussan patron du pôle horloger de Kering vient de se faire débarquer avec un communiqué qui annonce qu'il a été mis fin à ses fonctions avec effet immédiat. On parle d'un milliard perdu par Kering et sans entrer dans les détails, quoi que le détail à 10 zéros puisse interpeler la smicarde qui ne devrait pas divorcer avec de si petits revenus, Kering peut être fâché d'avoir perdu une occasion de faire des économies. Bref, notre patron est débarqué d'un communiqué clair, précis et presque chirurgical qui coupe la tête juste derrière la nuque et ne laisse aucune place à l'imprécision. On imagine que celui qui se tient juste à coté et n'a pas pris une éclaboussure doit lui aussi tendre le coup pour une incision sans bavure car ces têtes coupées entrainent toujours des dommages collatéraux. Il faut toujours, à un certain niveau, conserver avec soi deux ou trois cartons vides et surtout limiter les effets personnels si longs à ranger en cas de départ dans l'urgence.

Voilà donc une méthode de séparation qui ne prend aucune forme de précaution à l'égard du débarqué et mis à part le célèbre "Casse-toi" de Nicolas Sarkozy, il est difficile de faire plus clair. Au moins chez Kering, on sait parler aux cadres et le consensus mou n'est pas de mise.

Si on regarde de plus près les départs et leurs modalités, on constate que lorsque la crise n'est pas si grave, le collaborateur évincé peut avoir une porte de sortie " Notre collaborateur et ami quitte le groupe afin de développer un projet personnel et nous saluons sa collaboration pendant ces si longues années". Au passage, un minibus embarque la Directrice de Communication, l'assistante et le bras droit et l'affaire est jouée moyennant une petite prime pour acheter le silence des victimes. On a ainsi vu un ancien patron de Cartier se reconvertir dans le monde viticole, ou d'autres anciens patrons partir dans l'hôtellerie ou dans une société de conseils sans clients.

On connait aussi le communiqué qui en fait des tonnes, pas vraiment les tout derniers du groupe Richemont mais ceux d'avant où une nécrologie donne l'état de la carrière du débarqué et salue sa ténacité et son courage en lui souhaitant bon vent. Certains groupes enfin le jouent sur la promotion honorifique avec des conseillers spéciaux auprès du grand patron ou des missions improbables sur l'élargissement des marchés au Groenland en basse saison. On peut même aller jusqu'à la photo d'adieu et aux embrassades publiques pour signifier la bienséance de ce départ souhaité des deux cotés.

Mais il faut être honnête, un simple "Quitte ses fonctions avec effet immédiat" sonne comme un coup de pied au cul au type qui a tapé dans la gourde. Ceux qui connaissent Albert Bensoussan ont sans doute le décodeur qui me fait défaut mais cet effet immédiat résonne comme la conséquence d'une engueulade et du violent constat de dépenses non justifiées. La prochaine étape en matière de communication ne peut plus être que "Dégage salopard" ou "casse toi minable".

Annoncé de cette manière, on se demande forcément quelle peut-être la cause entre le fric manquant, l'assistante du deuxième étage qui a pris une main aux fesses ou le type qui s'est soulagé un soir de beuveries dans l'ascenseur du patron. Aurons-nous le fin mot de cette éviction ? Oui, sans doute, ce petit milliard pèse-t-il sur la décision. Mieux vaut finalement être haut fonctionnaire car jamais, là, on ne se fait virer si on est mauvais, on est juste déplacé d'un ministère à l'autre et jamais un milliard perdu n'est reproché puisque ceux qui pourraient le faire en ont en général 10 fois plus à leur actif, pardon, à leur passif. Tiens, c'est marrant c'est presque comme chez SwatchGroup !

Enjoy !

Excellent billet Zen, j’ai bien ri!
Un ami travaillant dans la fonction publique régalienne m’avait dit la même chose.
Quand ton supérieur est mauvais ou incompétent, tu fais tout pour qu’il ait une promotion comme ça il est muté. 
Et moi : il y a que des chèvres en haut ?
Lui: pas loin !

Projet personnel d'un côté et remerciements chaleureux de l'autre :

Citation :

"[il] nous a fait part de son souhait de poursuivre un projet personnel à l’extérieur de Kering. Le groupe le remercie chaleureusement pour sa contribution au cours des cinq dernières années à la tête du pôle Montres & Joaillerie", écrit sobrement Kering dans son courrier.

https://www.letemps.ch/economie/albert-bensoussan-quitte-groupe-kering

paul87 a écrit:

...Et moi : il y a que des chèvres en haut ?
Lui: pas loin !

C'est un peu le principe de Peter

Le souci est que Kering n’a que des marques en déshérence dans son portefeuille: GP et UN sont assez discrètes et sur UN, la marque à été payée au prix fort si je me souviens bien. Quand on parle de €1Mds de perte, il est question de dépréciation d’actifs, c’est reconnaître que les résultats actuels ne reflètent pas l’espérance à l’achat (et donc le prix payé).
Si on compare avec le pôle horloger de LVMH, il y a pas photo mais ils ont la chance d’avoir Gucci qui explose depuis 3 ans dans la partie maroquinerie/mode.

GP et jeanrichard en 2011 , UN en 2014, des supers Winners !
Le milliard est aussi là : 
source Wikipedia :

Amende en Italie[modifier | modifier le code]

Selon Mediapart et Cash Investigation, l'organisation fiscale du groupe autour de sa filiale LGI en Suisse lui aurait permis d'économiser environ 2,5 milliards d’euros en impôts depuis 200289,90. Par exemple, sa filiale Yves Saint Laurent aurait délocalisé 550 millions d'euros de ses ventes en Suisse, un manque à gagner pour le fisc français que Mediapart estime à 180 millions d'euros 91. Le groupe affirme que ce modèle d’exploitation est déjà connu des autorités fiscales92 mais l'aurait redéfinit fin 2017 quand le dossier est ouvert par le parquet de Milan93 qui confirme ses suspicions d'irrégularités fiscales en janvier 201994 et inflige au groupe une amende de 1,25 milliards d'euros en mai 2019, un montant record pour le fisc italien95,96.

Les méthodes du secteur privé n'ont jamais été particulièrement douces , mais c'est la contrepartie des très hautes rémunérations des dirigeants , des stock options et autres intéressements , des retraites bien calibrées , des copieuses indemnités de départ ...

Rien ne me choque .

Je ne sais pas ce qu'on reproche à ce Mr Bensoussan , mais comment s'émouvoir ?

La responsabilité est aussi à  chercher du côté de ceux qui l'ont recruté , non ?

C'est toujours un plaisir de vous lire Zen, l'érudution horlogère et la culture générale se mariant parfaitement avec un talent de plume certain (qui a crié "Fayot !" au fond de la salle ?     ).


Mention spéciale pour le petit mot de conclusion, même si l'image que j'ai du groupe Swatch est (toutes choses étant égales par ailleurs) quand même beaucoup "moins pire" que celle d'un grand groupe concurrent.

Citation :

Quand on parle de €1Mds de perte, il est question de dépréciation d’actifs, c’est reconnaître que les résultats actuels ne reflètent pas l’espérance à l’achat (et donc le prix payé).

Heu, désolé du hs mais de quel actif parle t’on exactement ?

La valeur des marques, je suppose ?

ZEN a écrit:

Mais il faut être honnête, un simple "Quitte ses fonctions avec effet immédiat" sonne comme un coup de pied au cul

Il est vrai que dans le milieu feutré de l'horlogerie, c'est plutôt violent. Je ne sais si l'on apprendra un jour le pourquoi de la chose, mais il aura au moins à son crédit - en tout cas la collection est sortie sous sa direction - la renaissance réussie de la gamme Laureato.
Après je ne sais pas si ça se vend bien, mais c'est autre chose.