La montre des Signal Corps américains.
La Première Guerre mondiale fut un accélérateur dans l'évolution de nombres d'industries. L'horlogerie profita d'un véritable élan consécutif aux besoins des militaires. Au milieu du conflit, le gouvernement américain décida que les Etats-Unis devaient aider les Européens à reconstruire leurs outils de transmissions et de communication qu'ils fussent téléphoniques ou radiophoniques. Les Signal Corps furent ainsi dépêchés en Europe au cours des derniers mois de la guerre pour s'engager auprès des forces alliées à maintenir et reconstruire des réseaux de télécommunication mis à mal par l'armée allemande.Qui sont les Signal CorpsLes Signal corps sont un corps militaire américain chargé de la gestion des communications notamment inter-armées. Créé en 1860 par Albert J Myer, les Signal corps eurent un rôle fondamental pour aider l'Armée Française dès 1917 et établir et rétablir des transmissions. Travaillant dans des conditions difficiles, les Signal corps mirent au point des modes de diffusion des informations parfois complexes pour toujours garantir les interconnexions entre armées. Présents sur terre mais aussi en mer ou dans les airs, les Signal corps se sont appuyés sur la compétence de héros, véritables acrobates des airs. Lorsqu’ils firent construire en 1908 le premier avion militaire, ils firent ainsi appel à des pionniers de l'aviation militaire moderne, les frères Wright. Ceux-ci effectuèrent des vols d'essai du premier avion de l'armée, construit selon les spécifications des Signal Corps. L'aviation militaire américaine est d'ailleurs restée sous le contrôle des Signal Corps jusqu'en 1918 quand elle s'est transformée en Armée de l'air américaine.
Les Signal corps sont omniprésents dans tous les développements technologiques modernes des armées et des communications.
Un besoin immédiat pour des actions cibléesOutre des troupes au sol, les Signal corps américains sont dotés de pilotes qui font office de pionniers qui n'hésitent pas à mettre en danger leurs vies au nom de la liberté. Les pilotes sont héroïques et leur engagement marquera les mémoires des pays d'Europe qui les voient intervenir. De près de 300 000 hommes en mars 1918, les forces américaines approchent les 2 millions à la fin de la guerre, en novembre, au moment de la signature de l'armistice. Plus de 10 000 hommes arrivaient des Etats-Unis chaque jour en Europe, à compter du mois de juillet.
Leur rôle fut déterminant dans la victoire des forces alliées. Evidemment, cette arrivée massive rendit nécessaires un certain nombre d'équipements, dont des montres, à commencer pour les pilotes des avions et évidemment pour tous les officiers. Comme les manufactures américaines ne peuvent répondre à un tel afflux de demandes, c'est naturellement vers les manufactures suisses d'horlogerie que se tourna l'Armée américaine pour les équiper. Une seule manufacture n'aurait pu venir à bout des commandes des milliers de pièces voulues par L’état-major américain qui imposa une livraison rapide de montres précises, qu'elles fussent de poche ou bracelet. Elles étaient destinées aux soldats américains chargés des communications par radio, télégraphe ou téléphone et, en particulier, par des reporters propagandistes du corps expéditionnaire américain qui s’engagea à côté des Alliés dès 1917 et surtout 1918.
Les montres des Signal corps furent ainsi livrées par plusieurs fabricants suisses. Le nombre de fournisseurs s'explique par l'amplitude du volume des besoins. Omega, Zenith, Cyma, Heinrich Moser, Tavanes, Ulysse Nardin, Tissot, Rode sont alors les principales maisons sélectionnées. Les montres sont toutes conformes à un cahier des charges de l'armée américaines et si elles se ressemblent visuellement, elles diffèrent essentiellement par les calibres qui les animent.
Plusieurs fabricants américains et suisses sont ainsi sollicités concomitamment pour doter la "British Royal Flying Corps" et l’"US Signal Corps". Le besoin déjà énorme pour les forces américaines, soit plusieurs dizaines de milliers de pièces, est encore plus conséquent additionné des demandes britanniques. Les utilisations sur le terrain sont très diverses et concernent aussi bien les pilotes des avions de reconnaissance que les officiers et sous-officiers au sol voire les hommes du rang. On ne peut gérer les télécommunications sans comptabiliser le temps de la même manière et avec des instruments précis. Toutes les manufactures sollicitées n'ont pas en stock les pièces qu'il faut livrer en un temps record pour satisfaire la demande militaire et toutes les maisons n'ont pas un outil de production suffisant pour générer 20 ou 30 000 pièces en quelques semaines et, abandonner d'autant, leur production habituelle et leurs clients.
Dès lors, la solidarité entre manufactures va jouer à plein. Celles qui fabriquent des cadrans vont en céder à celles qui ne peuvent dans l'urgence que procéder à des assemblages achetés à l'extérieur. Les grandes maisons qui ont le potentiel de main d'œuvre pour fabriquer, assembler, produire vont intervenir pour autrui en sous-traitantes et toutes les maisons sollicitées pourront ainsi livrer les quotas de commandes qui leur ont été assignées. Certaines maisons comme Henry Moser, dont l'outil de production est conséquent, deviennent à la fois fournisseurs en titre de l'armée américaine et sous-traitantes des autres maisons. Zenith fabrique des cadrans pour les pièces que signe la manufacture et celles assemblées par Ulysse Nardin.
Certaines maisons peaufinent les réglages quand d'autres, faute de temps et de moyens, voient leurs noms apposés sur les cadrans sans même que les pièces ne transitent par leurs ateliers. On voit même des montres porteuses de deux marques qui se font concurrence par ailleurs sur les marchés du monde entier.
Le choix de manufactures déjà réputées aux Etats-Unis.
Les montres bracelet d'un diamètre d'au moins 33 mm et jusqu'à 36 mm devaient être équipées de mouvements d'au moins 12 lignes et d'au moins 15 rubis. Les Américains, au regard des volumes nécessaires, sollicitent une dizaine de maisons suisses. Ulysse Nardin n'avait pas encore développé son propre mouvement de montre bracelet et sous-traitait à la maison Moser la fourniture des composants pour ce type de pièces à l'exception des cadrans fabriqués chez Zenith. Certaines d'entre elles comportent une double signature sur le cadran, celle de Moser et d'Ulysse Nardin par exemple, mais c'est bien la manufacture Ulysse Nardin qui portait les commandes qui lui avait été faites. Les Américains avaient de la manufacture une image des plus positives. La maison Ulysse Nardin était, en effet, déjà bien connue des forces armées américaines. Elle avait fourni officiellement, dès 1905, à l'US Navy des chronomètres de bord pour ses navires de guerre. Le gouvernement américain avait même, sous la pression des manufactures américaines, mis en place un concours par l'intermédiaire de l'Observatoire Naval de Washington afin de sélectionner les meilleures garde temps pour ses navires. Ces Torpedo Boat Watches venaient en substitution des chronomètres de marine pour servir à bord une heure de référence et faciliter le calcul des longitudes.
Quand en 1917, l'armée américaine est engagée dans le conflit, la volonté des autorités américaines est de doter les pilotes d’avions militaires et les officiers de montres fiables pour coordonner les actions militaires avec précision et faciliter les interventions de ses officiers volants qui ont besoin de montres dont l’usage est multiple. Ainsi celles-ci servent-elles autant pour mesurer les temps de chauffe des moteurs avant le décollage que pour contrôler le temps de vol et ainsi estimer les réserves de carburant et donc éviter la panne sèche qui peut rapidement être fatale. En outre, les montres permettent de calculer la vitesse du déplacement des troupes en sol à partir de points de repères fixes simplement en chronométrant le temps écoulé entre le moment où lesdites troupes passent d'un point à l'autre.
Des pièces conformes à un strict cahier des charges Le cahier des charges militaires impose des montres avec des aiguilles de type Mercedes et des cadrans à grands chiffres arabes revêtus de matière luminescente, lisible de nuit, et de petits chiffres rouges pour les heures après midi. Le chiffre "12" inscrit à midi est parfois cerclé de rouge et non de noir comme les autres chiffres pour une lecture intuitive plus rapide. Cela semble relever toutefois de l’initiative de fabricant de cadrans et de Zenith en particulier. La sécurité des pilotes était déjà une préoccupation majeure. On ne connaît à l'époque que le radium pour ses propriétés lumineuses et une efficacité optimale de restitution de luminescence sur une longue durée. Cela permet d'assurer au sol une discrétion absolue car il n'est nul besoin de lumière pour lire l'heure et en vol de nuit, sans cockpit éclairé, le pilote accède facilement à la lecture de sa montre sans perte de temps. On imagine aisément l'éclat du cadran neuf et de ce "12" lumineux et cerclé de rouge !
La couronne proéminente permet le remontage avec les gants. Elle est parfois en forme de boule mais peut aussi être conique. Le risque est grand pour les pilotes de tirer involontairement sur la couronne et de dérégler l’heure. Sur certains modèles, cette potentialité d’incident est écartée puisque le réglage de l'heure induit de presser avec l'ongle sur un mini poussoir protégé et placé sur la carrure à 4 heures. Les attaches soudées rendent aisé le passage d'un bracelet de toile ou de cuir pour cette manière de porter les montres d'un nouveau genre qui renvoie les garde-temps de la poche au poignet. Des montres de poche également dites à gousset, ces nouvelles versions de montres ont conservé l'émail des cadrans et le cache poussière ainsi que le couvercle de fond de boite sur charnières en métal blanc qui protège le calibre de la poussière et renforce l'étanchéité de la boîte.
Un vent de modernité Ces montres semaient un vent de modernité au poignet des militaires et, d'ailleurs, plus d'un siècle après leur production, elles restent d'une saisissante beauté et d'un éclat qui met en avant les qualités de durabilité de l'émail quasiment inaltérable dans le temps. Le verre est en vrai verre et non en plastique mais, à l'époque, c'est ce qui se faisait et une grille métallique amovible peut être ajustée en protection pour en assurer la pérennité.
Les cadrans de ces montres, rendus luminescents par une peinture au radium, permettaient une lecture nocturne de l’heure facilitée également par les aiguilles Mercedes également luminescentes. Les chiffres après 12 heures apparaissent en rouge pour une lecture intuitive. Les militaires ne disent pas qu'il est une heure de l'après-midi mais qu'il est 13 heures ou une heure PM (Post Midday)
La conception des mouvements, leur construction et leur architecture sont très proches de celles des mouvements des montres de poche, dont ils sont la duplication sous diamètre réduit. D’une précision absolue, ces montres disposent d’un balancier Guillaume à vis, coupé et bimétallique, ainsi que d’un spiral Breguet. Près d’un siècle après leur fabrication, les montres des « Signal Corps » passent aisément l’épreuve de contrôle de réglage sur les vibro-comparateurs électroniques modernes.
La plupart de ces pièces sont reparties au poignet des militaires vers les Etats-Unis ou l'Australie car les militaires australiens portaient les mêmes modèles et il n'en reste en Europe que très peu. Sur les pièces reparties aux Etats-Unis, on estime à moins de 2% le nombre de celles qui circulent aujourd'hui et encore faudrait-il faire le tri entre celles accidentées et abimées et celles qui ont traversé le siècle sans dommages. Ces pièces désormais de collection rendent hommage à ceux qui les ont portées et ont contribué, au péril de leur vie dans des pays dont ils ignoraient l'existence la plupart du temps, à faire triompher la liberté sur l'oppression.
Droits réservés - Forumamontres - Joël Duval - Décembre 2019