L'histoire vraie et exceptionnelle d'une LIP que nul n'oubliera...
Préambule Il y a des montres qui piquent. Celle-là m'a immédiatement parlé. Le message sur le cadran fait pour porter bonheur à son propriétaire a pris un tournant cynique quelques jours après que la montre lui ait été offerte. Quelle cruauté ! Cette pièce raconte son histoire et celle de son propriétaire comme aucune autre ne pourrait le faire. On pleure forcément sans pudeur pour cette Loulou dont l'amour a été foudroyé par le destin. Cette montre raconte l'histoire d'un couple simple, un couple normal que la guerre est venue bombarder de sa violence destructrice. Ce destin tragique récapitulé en quelques mots gravés à la pointe faute de moyens, mais gravés quand même pour l'éternité. Pardon à Gontran et à Loulou d'avoir révélé cette intimité qu'ils auraient voulu conserver pour eux.
La Génèse Elle, on l'appelait Loulou et lui, c'était Gontran. Ils s'aimaient comme deux jeunes en pleine force de l'âge peuvent s'aimer en passant de l'adolescence à l'âge adulte. Ils se connaissaient depuis l'enfance et habitaient le même village. C'est en 1912 que leur amitié s'est transformée en amour, un sentiment puissant teinté de complicité et de don de soi. Ils n'avaient que 16 ans quand ils se sont jurés de ne jamais se quitter. Ils se retrouvaient secrètement derrière la grange du père Fournier, un fermier du coin. Là au printemps 1912, pour la première fois, Loulou et Gontran se sont embrassés. Loulou en mourrait d'envie depuis longtemps mais Gontran, bien trop timide, ne savait pas s'il pouvait oser. Il avait tellement peur de perdre le regard profond de Loulou et son petit sourire entendu. C'est qu'elle est jolie Loulou et elle a en plus cette tendresse quasi-maternelle qui fait littéralement fondre Gontran.
Lorsque la guerre éclate en 1914, Loulou est tétanisée à l'idée de voir partir Gontran. C'est impossible qu'on lui arrache son amour de cette manière au moment ou le couple envisage le mariage. Loulou imagine déjà sa robe de mariée, une robe que sa mère lui coudra avec la Singer à pédale qui trône dans la salle de séjour de la maison familiale. Gontran y est déjà reçu comme le futur gendre, on l'apprécie comme un fils. Mais l'ordre de mobilisation tombe en juillet 1916. Gontran va partir dans deux semaines, début août. Il lui lâchera la main et l'embrassera de loin en lui faisant signe tant qu'il l'apercevra depuis la fenêtre du train.
Loulou a un mauvais pressentiment et avec toutes ses économies, elle décide d'offrir à Gontran un objet porte bonheur qui ne le quittera pas, une Lip qu'elle a vue dans la vitrine du bijoutier. C'est l'inscription sur le cadran qui l'a séduite car elle pense qu'avec de tels mots, le mauvais sort sera conjuré.
"Chronomètre Lip avec le souhait qu'il ne marque pour vous que des heures heureuses" Forcément la montre sera un porte bonheur. Gontran ne la quittera jamais !
Loulou l'aurait voulue en or ou en argent mais ses économies suffisent à peine à payer la version en métal blanc. Il y a sur le fond une commémoration et une inscription qui rappelle les fronts de cette salle guerre.
Loulou n'a pas les moyens de faire graver un monogramme sur la montre. Déjà le bijoutier lui a consenti une remise et lui a expliqué que cette montre n'est pas un modèle ordinaire. "C'est un chronomètre ! Vous voyez, il est vendu avec un bulletin de marche, c'est un très beau mouvement !"
Loulou voulait le meilleur pour son Gontran. Lorsqu'elle lui offre la montre, elle ne sait pas cacher son émotion. Gontran en découvrant l'inscription sur le cadran promet qu'il ne la quittera jamais et qu'elle sera son porte chance. Loulou prend la main de Gontran et la pose sur sa poitrine. "Tu sens mon cœur qui bat" Il sourit ... Il s'arrêtera si tu ne reviens pas." Elle fond en larmes. Loulou retient les siennes.
Il pleut ce dernier jour de juillet. "Je ne veux pas que tu partes ! lui dit Loulou sur le quai de la gare". Gontran monte courageusement dans le train avec les autres qui sont appelés en même temps que lui. Il sont tous très jeunes. Certains ont encore des visages d'enfants. Loulou est si triste, le regard embué par les larmes, elle ne peut que deviner que Gontran lui fait signe mais elle ne le voit plus. Sa main s'anime avec son mouchoir et dans un bruit terrible, la locomotive entraine les voitures où les jeunes gens tentent une dernière fois de dire adieu à leurs familles. Les parents de Loulou prennent leur fille par les épaules et l'entrainent vers la maison. "Il reviendra, tu verras, vous serez heureux ensemble et puis la guerre ne va plus durer longtemps."
Pour Gontran, la guerre ne durera effectivement pas longtemps. A Maurepas, le 24 août 1916 lors de la bataille de la Somme, Gontran est tué par un obus. Son corps est ramassé mais comme il a conservé sa plaque et sa montre sur lui, on pourra rendre ses affaires à sa famille. La montre est restituée à Loulou par les parents de Gontran qui ont reçu une lettre du service de la guerre. Loulou s'effondre, sa vie vient de basculer, plus rien ne sera comme avant. Son bonheur ne sera jamais complet.
Elle grave elle-même avec la pointe d'un clou quelques mots à l'intérieur du fond de la montre de Gontran.
Elle accroche une chainette à la montre et ne la quittera plus. Le monogramme sur le fond fut gravé bien plus tard. Loulou a mis des années pour reprendre goût à la vie. C'est difficile de faire partie d'une génération perdue. Dans les années 1925, elle s'est mariée avec un garçon du village, un très bon ami de Gontran qui lui non plus ne l'a pas oublié. Mariage d'amour ou de raison, Loulou est devenue maman deux ans plus tard. Tous les ans jusqu'à son dernier souffle, elle est allée dans la Somme le 24 août sur le cimetière militaire. Gontran y est quelque part. Loulou avait intuitivement désigné une croix où elle venait parler et se recueillir. Elle y racontait tout ce qu'elle faisait comme pour faire approuver par Gontran qu'elle avait eu raison de continuer à vivre. Cette histoire n'est pas une fiction, c'est juste le récit de deux vies brisées par la guerre et qu'une montre LIP à liées pour l'éternité.
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