Edouard Béguelin, génie de la mécanique horlogère.
Préambule Le Locle en Suisse fut le berceau tout au long du 18ème siècle puis du 19ème siècle de nombre d'horlogers inventifs et créatifs. Abraham Louis Breguet lui-même y séjourna lors de son exil hors de France quand la révolution française coupait les têtes avant de réfléchir à la qualité des gens qu'elle perdait. Parmi les esprits habiles et les horlogers les plus avertis, Edouard Béguelin fait figure d'inventeur inlassable au service des complications. Son chronographe à rattapante est-il une pièce d'horlogerie ou bien un automate qui mesure le temps ? Si d'apparence celui-ci est bien composé avec un mouvement horloger, le fonctionnement de ce dernier est fait d'un enchainement mécanique qui le rapproche davantage d'un automate que d'une montre.
Béguelin fait, à ce titre, figure d'exception. La complexité de son mouvement de chronographe à rattapante dénote l'esprit complexe de son inventeur mais voir fonctionner ce calibre dénote un esprit d'une rare capacité de calcul. L'enchainement des engrenages et des trains de rouage tout comme le choix de ne pas user de pince de rattrapante relève de l'exception mécanique. Ce mouvement est aussi intéressant à regarder lorsque l'action du chrono est déclenché que ce que les aiguilles affichent. La composition est exceptionnelle même si au final elle n'est pas plus efficace pour atteindre l'objectif assigné de chronométrer un temps avec une double mesure.
GénèseEdouard Béguelin, horloger suisse implanté au Locle au 19ème siècle a sans nul doute marqué l’histoire de l’horlogerie par son esprit créatif. Concepteur d’un mouvement de chronographe à rattrapante des plus originaux, il n’a laissé que ses montres pour témoigner de son génie. Injustement oublié sans doute parce qu’il a vendu peu de ses créations en Suisse, il reste un horloger brillant que l’approche originale des mécanismes du chronométrage place définitivement à part. La qualité des finitions de ses mouvements nous indique qu’il plaçait très haut la barre de ses exigences. Un mouvement original et complexe. Le nom d'Edouard Béguelin s’est injustement égaré dans l’histoire de l’horlogerie suisse. Pourtant cet horloger installé au Locle développa dans la seconde moitié du 19ème siècle, d'ingénieux mouvements de chronographes à rattrapante dont celui-ci est l'un des tout premiers exemplaires. Daté à tort de 1890 dans les rares ventes publiques où ses pièces ont été vendues et confondues avec un second calibre plus tardif également de chronographe à rattrapante, le calibre de Béguelin dont la complexité est visible, ignore la pince de rattrapante et y substitue un subtil train de rouage qui se superpose au niveau de la roue de centre et en est totalement indépendant.
Le système est d'autant plus ingénieux qu'il se combine avec la commande par la couronne pour la remise à zéro alors que la rattrapante démarre avec un poussoir indépendant. Le démarrage de la rattrapante donne lieu à un ballet de déplacement de roues et de bascules qui se rapproche des mécanismes d'automates. Le système mis au point par Béguelin fit parler de nombreux horlogers. « Pourquoi donc ne pas aller au plus simple et utiliser une pince de rattrapante assortie d’une seconde roue à colonnes pour fabriquer son chronographe ? ». L’accès au ressort de barillet souvent utilisé par les horlogers comme un indicateur de la facilité de révision des mouvements ne joue pas ici en faveur de cet instrument. La finition du mouvement est soignée, les anglages sont réalisés avec précision et le rhodiage se marie parfaitement avec le bouchonnage de la platine. La pièce dénote un gros travail horloger dont l’exécution est irréprochable.
Sans nul doute, le système mécanique mis au point par Béguelin est-il complexe et de fait, le temps d’intervention d’un horloger pour assurer un service sur celui-ci est-il nécessairement plus long que sur un calibre classique. Pourtant, ce mécanisme original relève d’un intérêt tout particulier. Il a en effet fallu à son inventeur le concevoir en visualisant toutes les fonctions de manière globale. On dirait aujourd’hui qu’il a dû réfléchir en 3D. Mais cette réflexion n’aurait même pas été suffisante car pour fonctionner, le mouvement de chronographe à rattrapante de Béguelin doit être pensé dans son entier, en imaginant l’enchainement de tous les embrayages et trains de rouages nécessaires à la mesure du temps que celui qui appuie sur le poussoir veut réaliser.
La mise à l'heure par targette (sous la lunette) est classique pour le marché américain mais elle est déroutante pour les Européens habitués à une mise à l'heure en levant la couronne. Le mouvement est efficace et conserve parfaitement l’heure que le chronographe soit ou non enclenché. C’était là l’une des difficultés des concepteurs de calibres dont les mouvements ralentissaient ou s’arrêtaient dès qu’une complication mécanique était activée. Le choix généralisé par la plupart des fabricants, d’un système de fourchette greffée sur le calibre n’est pas indifférent au traitement de ce problème. Il fallait à Béguelin une maîtrise exceptionnelle de son mécanisme pour s’affranchir de tout cela et s’orienter vers une conception originale.
Un automate de mesure du temps Sous des apparences on ne peut plus classiques lorsque l’on le regarde le cadran, son chronographe est en réalité un instrument très inventif, une sorte de petit automate d’affichage du temps. Plus d’un horloger s’est penché sur le système en s’effrayant de la difficulté qui serait la sienne de démonter puis de remonter ce mouvement qui est à l’opposé de la conception modulaire des mouvements. Béguelin fut à tort pour cette raison, perçu davantage comme un concepteur de mouvements que comme un horloger. Ce type de mouvement n’était à l’époque de sa conception pas encore très convoité. La clientèle recherchait plus souvent des mouvements simples de chronographes à des prix abordables pour des utilisations courantes qu’elles fussent à finalité industrielle, militaire, sportive ou automobile. En effet, l’invention du chronographe moderne est à la fin du 19ème siècle encore très récente et la lecture d’un tachymètre ou d’un télémètre n’est pas à la portée de tous.
La concurrence massive sur ce type de montres fit que Béguelin eut quelques difficultés à placer ses produits en Suisse. La concurrence de Longines et d'Heuer, ainsi que de Valjoux, Lecoultre ou Barbezat Baillot (Le Phare) était particulièrement forte et Béguelin n'avait pas leurs moyens pour s'imposer, d'autant que les chronographes à rattrapante relevaient d'une demande marginale de la clientèle. Il dut par conséquent, exporter ses montres et choisit essentiellement le territoire Nord-Américain et surtout la Grande-Bretagne. Connu dans le milieu du chronométrage des courses de chevaux, c'est là qu'il imposa le mieux sa maîtrise des calibres de chronographes à rattrapante. Cela se situe avant l'essor de l'automobile et des compétitions qui l'accompagnèrent. Le sport automobile accrut sensiblement la demande de chronographes performants. Trop techniques pour le simple automobiliste, les chronographes Béguelin étaient souvent emboités dans des carrures en or de 14 carats ou des boites plaquées or ou encore en argent. Le motif de la gravure des fonds identifie souvent leur finalité.
Une rareté Rares en Europe, souvent aujourd’hui très abimés ou en épaves, le faible nombre de pièces qui ont traversé le temps sans subir d’outrages horlogers méritent une attention particulière comme tous les chronographes dotés de calibres originaux qu’évitent les amateurs des rhabillages de mouvements de chronographes plus courants. Les deux roues à colonnes bien visibles attestent de la difficulté d'usinage qui incombe à leur fabrication. Elles sont ici assez simples mais très efficaces.
La marque disparut au tournant du siècle et ce qui fut exploité jusqu'à la première guerre mondiale et après 1880 sous le nom d'Edouard Béguelin avait été créé par cet horloger passionné qui ne produisit ses montres qu'en petites quantités. Béguelin a imprimé son nom dans la mémoire du Locle comme un horloger de grand talent, inventif et créatif. Il fait à ce titre partie du patrimoine horloger historique de la Suisse. Un tour d'horizon rapide des ventes publiques ne laisse pas voir plus de trois ou quatre pièces de ce type sur les dernières années. Il est évidemment difficile d’établir une statistique fiable du nombre de pièces fabriquées mais il ne fait aucun doute que la diffusion fut limitée. Cette pièce fait en tous les cas partie du patrimoine historique de l'horlogerie mécanique suisse.
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