Mission : retrouver Steve Fossett
Malgré des recherches aériennes acharnées dans l'ouest du Nevada et l'est de la Californie, malgré l'appui logistique de dizaines de milliers d'internautes du monde entier qui scrutent les images satellite, plus de deux semaines après sa disparition, on est toujours sans nouvelles de Steve Fossett, le célèbre milliardaire américain détenteur de multiples records dans les airs et sur les mers - dont un vol en solo autour du globe.
La météo était bonne, la visibilité excellente ce matin du lundi 3 septembre, quand Steve Fossett a décollé, vers 8 h 45, de l'aérodrome privé du Flying M Ranch, propriété du patron de la chaîne d'hôtels Barron Hilton, située au sud de Reno (Nevada). Le pilote, expérimenté, était seul aux commandes de son monomoteur Bellanca Citabria Super Decathlon bleu et blanc, mais il n'a pas atterri comme prévu, alors qu'il était attendu à déjeuner au ranch, à midi pile.
Il disposait d'une autonomie de carburant d'environ quatre heures et n'avait pas de parachute. Son appareil léger est équipé d'une balise de détresse censée se déclencher automatiquement à l'impact, en cas de crash. Mais aucun signal n'a été intercepté. Fossett possède bien une montre Breitling capable d'émettre un signal de détresse, mais l'épouse du pilote, Betty, a précisé dans un communiqué qu'il ne portait pas cette montre ce jour-là.
Aussitôt, l'alerte a été donnée, et des moyens de recherche intensifs déployés pour retrouver l'aviateur de 63 ans. A cause de ses exploits passés - comme skipper, pilote d'avion, de planeur, de montgolfière -, et parce qu'il en a vu d'autres - il s'est sorti d'un plongeon de 9 000 mètres au large de l'Australie, quand une tempête a déchiré son ballon ! -, son entourage s'est dit confiant. Même s'il avait dû faire un atterrissage périlleux, il était de tempérament à s'en sortir. "C'est un dur à cuire", a assuré Richard Branson, le PDG de Virgin Atlantic, lui-même aviateur, ami et partenaire de Fossett, qui a piloté son Virgin Atlantic GlobalFlyer lors de vols en solo et sans halte autour de la Terre.
Une mini-force aérienne d'une quarantaine d'avions et d'hélicoptères, pilotés par la patrouille civile du Nevada, les National Guard, mais aussi les associés et amis de Fossett, ont survolé et passé au peigne fin une superficie d'environ 50 000 km2, poussant jusqu'à l'Utah et le Colorado. Mais, après dix-sept jours de recherches, aucune trace du petit avion ni de son pilote, qui n'avait pas déposé de plan de vol. Pour les sauveteurs qui survolent le désert aride et les reliefs montagneux, c'est comme "chercher une aiguille dans une botte de foin". Le sondage d'un lac n'a rien donné.
Son entourage a d'abord cru que l'aventurier effectuait un vol de reconnaissance, afin de repérer un terrain où il entendait battre un nouveau record de vitesse au sol. Les recherches se sont orientées vers les "dry beds", ces étendues plates du désert du Nevada et de Californie. Mais il s'avère qu'il avait déjà trouvé et réservé un site ailleurs, et aujourd'hui ses collaborateurs, en premier lieu son pilote, Mike Gillis, sont convaincus qu'il a simplement décollé pour "une balade joyeuse" dans les airs.
Son dernier contact radio a eu lieu à 10 h 30 au-dessus de Powell Canyon, au sud-ouest d'Hawthorne. Puisqu'il avait décollé à 8 h 45 pour un vol de 2 à 3 heures, il se trouvait peut-être sur sa trajectoire de retour. Au QG de Steve Fossett Challenges à Chicago, Brian Spaeth, un collègue du pilote disparu, confirme qu'actuellement leurs recherches se concentrent sur la zone située entre Powell Canyon et le Flying M Ranch. Leurs appareils continuent à survoler les environs à très basse altitude, descendant jusqu'à 10 mètres au-dessus de la cime des arbres. "Nous sommes optimistes", dit-il d'une voix sombre.
Les secouristes se sont accrochés à l'exemple récent d'un randonneur de 76 ans qui a survécu trois semaines en pleine nature, dans l'Oregon. "Nous avons quadrillé 98 % de la zone où il a pu disparaître, et le reste est trop accidenté et trop dangereux pour un survol en rase-mottes, même en hélicoptère, surtout en altitude et par temps chaud, explique le major Cynthia Ryan, porte-parole de la patrouille aérienne civile du Nevada. Nous ne pouvons pas faire plus."
Les autorités ont donc interrompu les recherches, et les espoirs diminuent de retrouver le pilote vivant, surtout s'il a été blessé dans le crash de son appareil. "Imaginons qu'il ait eu une avarie de moteur, et qu'il ait pu faire un atterrissage forcé, la carlingue serait intacte, et nous l'aurions retrouvé en deux jours", affirme Ronald R., un pilote de montagne. La patrouille civile maintient encore deux appareils au sol, prêts à décoller si un nouvel indice se présente, et l'armée maintient des appareils prêts à intervenir dans la zone. A noter que, pour décourager les pilotes amateurs qui jouaient à la chasse au trésor et survolaient la région à trop basse altitude, l'aviation fédérale a émis une interdiction de vol aux appareils non autorisés.
La disparition du célèbre pilote a ouvert les opérations de secours aux internautes du monde entier, même "sans aucune compétence", précise le site Web d'Amazon Mechanical Turk (www.mturk.com) : "Steve Fossett Missing : aidez à le trouver en explorant des images satellite." Une armée d'internautes volontaires peut ainsi inspecter les clichés fournis par GeoEye, DigitalGlobe et Sanborn, traités par Google Earth et par le logiciel interactif Amazon Mechanical Turk. L'inscription est gratuite et rapide.
Le site montre l'exemple d'un avion identique à celui de Fossett vu au sol, juxtaposé à une image couvrant un carré de 85 mètres de côté, à la même échelle. A l'internaute de scruter le terrain et de décider si "cette image contient des objets étranges qui doivent être étudiés de près". Des centaines de milliers de clichés ont été inspectés et le site a enregistré des millions de HIT (Human Intelligence Task). Le système Mechanical Turk filtre les images les plus souvent signalées, qui sont alors l'objet d'un examen attentif.
Aucun indice vraiment sérieux n'est venu de l'Internet, jusqu'à présent. "Leur erreur, explique Cynthia Ryan, c'est de chercher un avion en un morceau et qui serait à l'horizontale ! Alors qu'on peut craindre qu'un appareil aussi léger se soit disloqué à l'impact, et ait même pris feu. Cette technologie a un avenir, mais elle n'est pas encore au point pour ce genre de secours."
Pas découragés, les fournisseurs d'images satellite continuent de télécharger des photographies avec une meilleure définition. Ce nouveau procédé de "cyber-secourisme" a été utilisé pour la première fois récemment, afin de tenter de localiser Jim Gray, un ingénieur de Microsoft qui avait quitté la côte californienne, le 28 janvier, seul à bord de son voilier Tenacious. Il n'a jamais été retrouvé.
Claudine Mulard
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3222,36-957453@51-951313,0.html
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