Bonjour
Comme le marketing ne se lasse pas de nous le rappeler chaque montre a une histoire,
de la plus commune (donc oubliée) à la plus exceptionnelle (la speedmaster d’Apollo 13?),
mais parfois, pour certains le plus intéressant à raconter c’est l’histoire de leurs mouvement,
car derrière chaque mouvement se cache souvent un homme, donc une histoire plus personnelle et une manufacture de mouvement.
L’histoire qui m’a intéressé cette fois ci et qui j’espère vous intéresse aujourd’hui est celle d’un rare calibre chronographe mono-poussoir.
Son créateur, le premier homme dont nous devons parler est François Paul Journe un compatriote (Cocorico)
qui crée sa première montre à tourbillon en 1982, il a 25 ans.
En 1985, il s'installe à son compte et commence à travailler pour les plus grandes marques.
Puis 4 ans plus tard, en 1989 donc il monte avec Denis Flageollet THA pour Techniques Horlogères Appliquées,
basée à Sainte-Croix pour concevoir au départ des montres mais finalement principalement des complications pour de grandes
marques dont Bréguet, Audemars Piguet, Cartier et Jaquet-Droz entre autres.
Se joignent à ces deux la assez rapidement Vianney Halter, Thomas Baumgartner puis d’autres horlogers par la suite.
Ensemble Journe et Flageollet créent le calibre 045MC qu(ils proposent a Cartier afin de rééditer la Cartier Tortue Mono-poussoir de 1928.
Le calibre 045MC possède une complication à poussoir unique qui gère les trois tâches de démarrage, d'arrêt et de réinitialisation du chronographe.
De plus, la 045MC ne dispose pas de poussoir supplémentaire, mais le poussoir est intégré à la couronne,
on voit certains mono-poussoir avec un poussoir a 2h, c’est quand même moins sexy.
Le calibre 045MC présente également la particularité d'être doté d'un système d'embrayage à axe pivotant.
Ce qui signifie en fait que la transmission du mouvement de la roue des secondes du mouvement de base à la roue
centrale du chronographe s'effectue par l'intermédiaire d'un double axe d'articulation.
L’avantage de cet embrayage, c’est qu’il supprime le saut d’aiguille au début d’un mouvement de translation,
que l’on retrouve avec les mécanismes de chronographes à embrayage latéral
Cette nouvelle Tortue fait partie de la ligne Collection Privée Cartier Paris (CPCP) qui a été officiellement lancée
en avril 1999 pour rendre hommage aux montres mécaniques Cartier du passé et a été produite jusqu’en 2008 environ.
Si le numéro de calibre « 045MC » de conception THA est exclusif à Cartier, et je pense qu’ils le produisaient
en sous traitance pour Cartier, la base du mouvement ne l’est pas totalement restée finalement car plusieurs
enfants sont nées à posteriori de cette création.
Le premier est celui de Journe qui après son départ de THA crée en 1996 TIM SA à Genève pour la conception
de calibres exclusifs pour les grandes maisons, reçoit alors la commande de la part d’Ulysse Nardin
et de Franck Muller d’un mouvement chronographe mono-poussoir pour le 175eme anniversaire de la naissance d’Ulysse Nardin.
Extrait d’une interview de Journe de 2003 au magasin Business Time :
TP : Donc c'était un bon début à Sainte-Croix pour vous alors ?
FPJ : D’une certaine manière. J'avais une très bonne équipe et nous avions des projets et des idées intéressantes.
Les produits que j’y développais étaient bons.
J'ai juste eu un mauvais partenaire (Je ne sais pas à qui il fait allusion), mais je pense que dans l'ensemble,
ce fut un bon processus d'apprentissage et pas une si mauvaise expérience.
C'est à Sainte-Croix que j'ai appris le processus de production industrielle.
Après avoir quitté la société St Croix, j'ai continué à développer des mécanismes créatifs comme la Grande
Sonnerie et un nouveau Chrono mono-poussoir pour Ulysse Nardin.
(La pièce unique Sonnerie Souveraine, semblable à celle qu'il a réalisée pour Piaget)
TP : Le chrono mono-poussoir Ulysse Nardin n'a-t-il pas été réalisé par Jaquet ?
FPJ : C'était de moi. Nous sommes de bons amis et j'ai donné à Jaquet les droits sur le mouvement.
J'étais trop occupé pour donner suite à ce projet, alors je l'ai simplement donné.
La grande date de Cartier Pasha, par exemple, est toujours sous mon brevet.
Pour mémoire, Jaquet-Baume SA a été fondée à La Chaux-de-Fonds dans les années 1990 et s'est spécialisée
dans l'assemblage et la finition des ébauches d' ETA ainsi que dans le développement de complications avancées , dont les tourbillons.
Elle est issue de l'activité de revente de montres anciennes et de composants du fondateur Jean-Pierre Jaquet.
L’entreprise a ensuite soutenu des entreprises comme Hublot dans le développement de montres.
Au début des années 2000, Jaquet comptait parmi ses clients Franck Muller , Girard-Perregaux , Sinn ,
Maurice Lacroix , FP Journe , Eberhard et les marques Richemont.
L'entreprise qui portait le nom de son fondateur Jean-Pierre Jaquet , a été rebaptisée La Joux-Perret à la suite
de son arrestation en 2003 pour contrefaçon et faux, communément connue sous le nom d'« affaire Jaquet ».
Jaquet a donc été racheté entre 2003 et 2004 par son PDG Frédéric Wenger avec Eric Loth, Rudolf Bohli
et d'autres investisseurs sous la bannière de Prothor Holdings.
Ensuite la Joux-Perret a fournit également des fabricants de montres comme Armin Strom , Chanel ,
LVMH Moët-Hennessy Louis Vuitton TAG Heuer , le groupe Richemont et Hermès.
Jaquet/LJP a également été crédité du développement de Cal. HUB44 pour Hublot ainsi que le tourbillon
utilisé par Romain Jérôme dans leur Master Tourbillon.
L'ancien mouvement très connu AS 5008 avec fonction alarme a été reproduit par La Joux-Perret sous
le calibre LJP 5800 (5900) et est par exemple utilisé dans la montre alarme du Sinn 6066 ou l’Oris Artelier alarme).
Ensuite Prothor a également acquis Arnold & Son en mai 2010 auprès de The British Masters ,
qui appartenait également en partie à Jean-Pierre Jaquet.
La société avait auparavant produit la plupart des montres Arnold & Son.
Ils ont immédiatement commencé à élargir la gamme de cette marque et à l'utiliser comme vitrine
pour de nouveaux modèles de mouvements que leurs clients OEM n'avaient pas voulu acheter.
Le 5 mars 2012 , il a été annoncé que Citizen Watch, qui fait partie de Citizen Holding,
avait racheté Prothor, dont La Joux-Perret et Arnold & Son.
En 2014 , Citizen a annoncé une nouvelle gamme de montres automatiques de marque Campanola ,
conçues et fabriquées par La Joux-Perret et assemblées au Japon.
En 2015 , La Joux-Perret relance la marque horlogère Angelus , en sommeil depuis plus de 30 ans.
En 2020 La Joux-Perret introduit deux nouveaux mouvements: le calibre automatique trois aiguilles G100
(version améliorée du Citizen 9015 compatible 2824) et le chronographe L100 (version améliorée de l’ETA 7750).
Pour en revenir enfin notre calibre mono-poussoir, aujourd’hui ce calibre se nomme LJP5000 et a été utilisé
récemment dans la Ming chrono 37.04 une fois retravaillé par Schwarz Etienne.
Entre temps on a pu le croiser dans plusieurs montres réalisées en petites séries, comme la Girard Perregaux
Ferrari 375 MM, la Bucherer Manero Monograph, une Baume et Mercier hommage William Baume,
et même une Jean-Mairet & Gillman,
La version suivante après donc celle de Journe est celle de Denis Flageollet qui avait quitté THA en 2001
pour créer avec De Bethune David Zanetta, et réutiliser lui aussi l’expérience du calibre 045MC du chrono
mono-poussoir qu’il connaissait bien pour créer tout d’abord la DB1 avec le calibre THA de Jaquet en 2002
puis il le transformera en compteur minutes 6h fin de créer la DB8.
A ce propos voyons donc ce que nous dit Denis Flageollet sur cette association:
Denis Flageollet : “François‐Paul avait son atelier à Paris, nous nous étions rencontrés plusieurs fois,
et il souhaitait développer une activité de haute horlogerie en Suisse.
Il m'a contacté pour mettre en place les ateliers et le support technique.
Vianney nous a rejoint plus tard, je ne me souviens pas qu'il ait travaillé sur le chrono-monopoussoir,
je crois qu'il avait quitté THA avant.
Mais de toute façon, nous étions jeunes, nous n’avions aucun doute et nous avons créé ensemble
des objets incroyables qui seraient difficiles à réaliser aujourd’hui.
Nous avions effectivement déjà travaillé pour Cartier, nous leur avons donné l'idée de refaire
le chrono-mono-poussoir Tortue.
Le mouvement est relativement simple, il n'a pas posé de problèmes particuliers, il a juste fallu un peu
de temps d'adaptation pour arriver à des calibres qui correspondaient aux standards horlogers de Cartier. “
THA a compté jusqu’à 35 collaborateurs avant de voir ses effectifs diminuer, départ de Journe en 1994,
Vianney Halter en 1995 puis de Flageollet en 2001.
Donc quand Carl F. Bucherer a racheté cette «cellule de création et de développement», on a pu se demander
si la marque lucernoise n’avait pas acheté une coquille vide, et tout le monde s’attendait à un possible déclin fatal du «laboratoire».
Cependant à Baselworld on a pu apprécier une des nouveautés les plus intéressantes de l’édition 2008,
un calibre automatique doté d’une masse oscillante périphérique.
C’est là pour Carl F. Bucherer le premier fruit de son acquisition. Déjà? Évidemment les développement de THA
n’était au point mort et la marque lucernoise était bien placée pour le savoir. Elle n’a pas acheté THA les yeux bandés.
Cela faisait neuf ans qu’elle en était la cliente, ce qui explique sa montée en gamme mécanique,
illustrée par le module Patravi GMT à trois fuseaux et passage de la date dans les deux sens, datant de 2001.
Sur le site, les ambitions sont clairement affichées et la volonté d’investir dans l’outil industriel est manifeste.
Les choses bougent très vite, de nouvelles machines arrivent, une décolleteuse, une tailleuse CNC, un centre d’usinage,
la surface de THA, appelée à devenir la manufacture Carl F. Bucherer, va passer de 1000 à 2000 m2.
Voici en résumé l histoire que j’ai pu reconstruire, j’ai depuis longtemps regardé de loin ces mouvements en cherchant
quelle version/modèle je pourrais ajouter à ma collection, aujourd’hui c’est fait et je vous le présenterai bientôt,
mais voici donc les photos des différentes versions qui existent.
La cartier est sans doute l’une des plus réussies également (mais toujours écartée a cause de sa taille, encore qu’il existe deux tailles
donc au moins une qui doit aller, elle se trouve dans un budget aux alentours des 35/45k.
Vient à peu près au même moment donc l’Ulysse Nardin, parfaite en 37 pour une montre résolument d’inspiration vintage,
même si un ou deux mm plus aurait été fort agréable, pas évidente à trouver, budget environ 12/16k. Une version limitée
et une version de série, aussi rare l’une que l’autre ou presque.
Elles sont suivies de très près par la Franck Muller 1100MP, une des rare ou la forme de boite ne fait pas paraître le mouvement
trop petit, comptez entre 10/15k, boite en or blanc ou platine, plusieurs coloris de cadrans (noir, gris, argent voire rose).
Existe avec un fond transparent ou plein.
Ensuite une des plus belles mais malheureusement hors de prix le DB1 de De Bethune (>100k), en plus il est un poil gros en 42
(Faut bien se trouver des excuses).
Pas très courante enfin, 2 séries de 125 pièces, or jaune ou or blanc, la Girard Perregaux Ferrari 375 MM, de forme rectangulaire également.
Question budget avantage à celle ci qui malgré ses 250 exemplaires vendus le jours même de la présentation du modèle à New-York,
se trouve parfois à des prix inférieurs à 10k.
Une rare Baume et Mercier pour l’anniversaire de M Baume.
Une très réussie Bucherer Manero en 37mm qui existe en version femme avec diamants ou homme.
Une Jean Mairet & Gillman
Et les deux dernières qui rentrent directement dans le top 2 des plus réussies à mes yeux, avec un calibre acheté chez LJP
et terminé par Schwarz Etienne sont celles de Ming.
A toi lecteur qui arrive au bout, vu le temps que m'a pris ce post, un petit commentaire fait toujours plaisir