On se moque parfois des montres dont le fond est marqué du nom de leur propriétaire, vous savez ces montres offertes en hommages, ces cadeaux pour 25 ou 40 ans de bons et loyaux services...
Ces montres sont porteuses d'histoire, celle de leur propriétaire. Qu'il fut illustre comme John Kennedy ou anonyme comme Jean Bird, la montre demeure un témoignage de leur passage parmi les terriens et les quelques mots gravés sur le fond de la boite sont nécessairement une source d'émotion.
Ce 28 juin 1976, Jean Bird se vit remettre par le directeur des établissements Dubleut une montre pour l'achat de laquelle l'ensemble du personnel s'était cotisé. " A notre notre chef des ventes pour 40 années de collaboration ". La montre était en or. La gravure en lettres bâton démontrait que le personnage bénéficiait de l'estime de ses collègues dont les dons avaient été suffisants pour financer cette montre bracelet en or massif. D'habitude, la montre offerte était en simple plaqué. Jean fut sensible à la valeur du cadeau et à ce qu'elle signifiait de la part de ses collègues.
Le président des établissement Dubleut mentionna dans son discours une
carrière sans faute... Ce beau compliment semblait universellement partagé et pourtant ... Personne évidemment ne se souvenait dans quelles conditions, le jeune Jean Bird fraîchement recruté brisa en 1936 la grève de plusieurs semaines des ouvriers. Jean était si jeiune à l'époque que pour quelques francs, alors contremaître débutant, il se montra si menaçant à l'égard d'une poignet d'ouvrier qu'il résussit à les convaincre de reprendre le travail quand tout le monde quittait les ateliers.
Il n'y avait personne non plus dans l'entreprise pour se souvenir des rapports étroits que Jean entretint lors de l'occupation allemande avec les services de la Komandantur. Non, Jean avait là aussi su passer inaperçu et personne n'aurait pu croire que ses deux collègues envoyés en camp avec leurs familles aient pu être dénoncés par un type aussi sympathique.
Celui que ce 19 juin 1976, on félicitait ne pouvait non plus être le même individu qui un soir de mai 1947 enferma Jeannette, la secrétaire nouvellement recrutée et l'obligea à se déshabiller pour abuser des 22 printemps de la jeune fille. Elle seule qui garda le secret de cette agression aurait pu témoigner de la personnalité que dissimulait ce chef si parfait. Mais elle sombra dans une dépression qui la conduisit dans un asile. Jean ne manqua pas de faire savoir à l'époque qu'il avait tout fait pour elle et lui avait envoyé des fleurs. On parla pendant 10 ans de sa bonté... On oublia les 5 ou 6 employées qu'il séduisit par la force et la menace de la perte de leur emploi. C'est que Jean était insoupçonnable...
Affable, respectueux de la bonne tenue de son bureau et de son vocabulaire, il ne disait par exemple jamais aucune grossierté et souriait à peine aux histoires graveleuses de ses collègues...
Père de trois enfants, il était un chef de famille parfait. Un être perçu comme généreux et jamais à l'écoute des rumeurs. Non, Jean était aussi un mari sans défaut, attentif et aidant aux tâches ménagères.
C'est par son métier qu'il exerçait ses nuisances , un métier qu'il pratiquait de manière exemplaire. Il ne fut même pas suspecté en 1968 quand il sortit des photographies de la déléguée syndicale nue avec le secrétaire du syndicat, photos qui firent basculer la vie de la déléguée en cauchemard quand son mari réceptionnant celles-ci mit fin à ses jours ave le fusil de chasse. Cela anéantit la grève des personnels. A un moment où tout le monde revendiquait et manifestait, on continuait à fabriquer chez Dubleut.
Les salves d'applaudissements retentissaient dans la grande salle de réunion de l'entreprise. Quarante ans, ce n'est pas une tranche de vie, c'est la plus grande part du gateau... La montre est vraiment un excellent témoignage de bon temps passé, mais ce n'est pas toujours un fidèle souvenir.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).