ZEN Rang: Administrateur
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| Sujet: Actu: Mouvement de libération de la forme Mer 2 Avr - 5:35 | |
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- Mouvement de libération de la forme
A l'origine, les montres étaient rondes. Puis elles sont devenues rectangulaires, carrées, en forme de tonneau ou d'écran de télévision. A la fin des années 90, elles ont commencé à arborer des formes jamais utilisées auparavant en horlogerie, qui plurent à une nouvelle génération de collectionneurs. Ces objets, qui flirtent avec le design et la sculpture en trois dimensions sont encore un marché de niche. Mais pour combien de temps...
Alexandre Ghotbi Mercredi 2 avril 2008
Depuis cinq ou six ans, on assiste à un phénomène passionnant: l'émergence de garde-temps qui arborent des formes jamais utilisées auparavant. Des objets qui oscillent entre l'horlogerie, la sculpture et l'art expérimental, qui peuvent ressembler au signe de l'infini, à une fusée spatiale ou au casque de Dark Vador.
On aurait pu penser qu'il ne s'agissait là que d'un courant passager, porté par des espoirs de nouveau millénaire. Or il s'agit de bien plus que cela: ce marché de niche prend de l'ampleur grâce notamment à de nouvelles générations de collectionneurs, passionnés de design, qui ont parfois le même âge que les horlogers et qui ont grandi entourés des mêmes références stylistiques.
Ces montres ne sont pas nées par hasard. En vérité, il n'a pas fallu attendre le nouveau millénaire pour que la montre-bracelet évolue et prenne des contours originaux et novateurs (lire encadré).
La révolution de 1998
Mais la véritable révolution date de 1998, lorsque Vianney Halter, un horloger de génie à l'époque méconnu du grand public, a présenté sa première création à Bâle: l'Antiqua, qui aurait certainement sa place sur le poignet du capitaine Nemo. Il s'agissait d'un quantième perpétuel rond orné de hublots en relief, chacun étant destiné à fournir une indication: heure/minutes, mois, date et jour. A ce titre, l'Antiqua ne constituait plus seulement une nouvelle forme - une montre qui offrait une lecture du temps tridimensionnel -, elle symbolisait la rencontre du design et de la haute horlogerie. Cette pièce si particulière a attiré l'œil de Max Büsser, à l'époque directeur du pôle horloger de la maison Harry Winston et aujourd'hui à la tête de la marque MB & F. Il proposa à Vianney Halter de travailler sur un des modèles Opus qu'Harry Winston Timepieces produisait alors en collaboration avec de jeunes horlogers indépendants. Cette collaboration donna ainsi naissance à l'Opus III, une montre plutôt rectangulaire avec deux rangées de hublots pour une lecture digitale de l'heure et de la date, et qui fut instantanément un immense succès critique. Selon Felix Baumgartner, cofondateur de la marque Urwerk, «c'est en voyant le succès de la OpusIII que nous nous sommes dit qu'il était possible de traiter la haute horlogerie différemment. Cela nous a ouvert beaucoup de portes.»
La jeune marque suisse Urwerk, fondée en 1997, fait elle aussi partie des instigateurs de cette nouvelle tendance. Avant de tenter des formes inédites, Urwerk avait créé deux modèles avec une indication horaire alternative via des disques rotatifs. Dotées de boîtiers ronds, la 101 et la 102 n'avaient pas eu le succès escompté, et la marque a failli mettre la clef sous la porte. Avec leur troisième montre, la 103, Urwerk a joué son va-tout... Ce garde-temps est facilement reconnaissable grâce à sa forme si particulière qui semble directement inspirée de la Guerre des Etoiles. C'est lors de la présentation de cette pièce au salon horloger de Bâle en 2003 que le duo composé d'un horloger, Felix Baumgartner, et d'un designer, Martin Frei, fut approché par le patron de Harry Winston qui leur proposa de travailler sur le modèle Opus V: une montre à mi-chemin entre l'ovale et le tonneau, dont l'heure se lisait via des cubes rotatifs rétrogrades. L'an passé, Urwerk a lancé la 201, dont la forme élaborée fut comparée à un requin-marteau dans les ateliers genevois*. Elle mettait en valeur un mécanisme tournant d'une grande complexité - le carrousel - traité d'une manière totalement nouvelle et subtile. Cette montre est arrivée seconde dans la catégorie du meilleur design au Grand Prix de l'horlogerie de Genève 2007. Une place qui peut être considérée comme une récompense, étant donné le caractère confidentiel de la marque, qui produit aux alentours de 300 pièces par an, même si elle méritait de gagner le concours haut la main.
En 2006, une nouvelle marque est entrée en scène: «MB & F» pour Max Büsser & Friends, fondée par l'ex-patron de Harry Winston Timepieces. Le premier modèle créé par ce collectif de créateurs, fabricants, horlogers et designers - la Horological Machine 1 - fut présenté en 2006*. Sa forme? Un huit, porté à l'horizontale avec un tourbillon central (le mouvement a été développé par l'horloger Peter Speake-Marin et le design est signé Eric Giroud). La Horological Machine 2, présentée fin 2007, ressemble à une table de mixage avec sa planche rectangulaire portée horizontalement et ses deux hublots pour la lecture de l'heure (heure sautante et minute rétrograde). Le mouvement a été créé par l'horloger Jean-Marc Wiederrecht, lauréat du meilleur horloger-constructeur au Grand Prix de Genève 2007, et le designer Eric Giroud. Dans cette montre, le design a été poussé à l'extrême car même le mouvement possède une forme inédite, ressemblant à s'y méprendre à l'USS Entreprise du capitaine Kirk!...
On ne peut pas passer sous silence un nouveau venu: le Finlandais Stepan Sarpaneva. Ce dernier propose une gamme autrement plus abordable que les précédents mais tout aussi alternative. Ce jeune horloger a travaillé avec les plus grands (Piaget, Parmigiani, Christophe Claret), mais c'est son passage chez Vianney Halter (2000-2001) qui lui ouvre les yeux sur la possible coexistence de l'horlogerie traditionnelle - en termes de construction et de bienfacture - et d'une mise en forme contemporaine. Ses modèles, dont le boîtier ressemble à un composant de moteur de Harley-Davidson, ont un look postindustriel steampunk tout en conservant une finition irréprochable.
Lorsque les marques traditionnelles jouent dans la cour des petits
Dans cette déferlante de montres aux formes inédites, on ne s'attendait pas à voir émerger des noms dont l'image est associée à une horlogerie des plus traditionnelles.
L'exemple le plus surprenant fut sans doute celui de Parmigiani qui, en 2001, présenta sa Bugatti Type 370 en hommage à la Bugatti Veyron. Une pièce absolument exceptionnelle, en rupture complète avec le design habituel de la marque. Le mouvement est construit horizontalement et non plus verticalement et ressemble à un moteur dans un boîtier cylindrique dont le cadran n'est visible qu'en inclinant le poignet. Ce modèle est en effet conçu pour pouvoir lire l'heure tout en maintenant sa main sur le volant de ce bolide de chasse qu'est la Bugatti Veyron!
Enfin, pour l'aficionado qui rechercherait un modèle au design alternatif qui porterait le sceau d'un grand nom de la haute horlogerie suisse, deux maisons se démarquent: Audemars Piguet et Vacheron Constantin, même si ces dernières ne poussent pas aussi loin l'audace et la démesure.
Audemars Piguet avait présenté au milieu des années 90 une collection de montres ovales - la Millenary Starwheel - sans doute trop en avance sur son temps car ce modèle ne remporta pas vraiment l'adhésion des collectionneurs. La marque a alors décidé il y a peu de repenser ces modèles et a présenté en 2006 une nouvelle gamme dont la forme de boîtier, moins ouvertement ovale que la précédente mais néanmoins très agréable à l'œil et au toucher, a le mérite de l'originalité.
La vénérable maison Vacheron Constantin, quant à elle, présentera lors du SIHH 2008 un nouveau modèle fascinant faisant appel à des technologies totalement novatrices pour l'industrie horlogère. Le boîtier notamment, de forme coussin, présente une architecture racée de 7composants dont les différents éléments sont fabriqués dans le métal choisi par le client: or rose, paladium ou titane. Ce boîtier «customisable» est une interprétation contemporaine du style classique Vacheron Constantin. Surprenant!
**http://www.letemps.ch/hors...e
La 103, signée Urwerk, 2003..
Une évolution stylistique Alexandre Ghotbi Les montres ont changé de forme, au fil des décennies: de rondes, elles sont devenues tonneau, rectangulaires et ont pris de contours de plus en plus insolites. Flash-back.
1907 - 1910
Les montres tonneaux ou rectangulaires - considérées aujourd'hui comme des classiques - n'étaient autres que le résultat d'un mouvement de libération de la montre-bracelet. Lorsque celles-ci naquirent, aux alentours des années 1907-1910, il s'agissait en fait de montres de poche (rondes) auxquelles des anses avaient été soudées. Destinées à un public masculin, elles étaient considérées à l'époque comme efféminées et furent vouées à l'échec. Dans un premier temps.
1920 - 1940
Il y eut certes l'utilisation militaire de la montre-bracelet durant la Première Guerre mondiale, mais ce sont les montres-bracelets de forme qui, pendant la Belle Epoque, surent se faire enfin accepter par les hommes. Sans pour autant détrôner les rondes. A chaque époque sa forme: rectangulaire cambrée ou tonneau dans les années 20, rectangulaire dans les années 30-40 ou carrée dans les années 50.
1950
Les années 1950 ont constitué un tournant important dans l'évolution de la montre de forme. Les modèles tonneaux, tortues ou rectangles ayant perdu de leur caractère contestataire, de nouvelles formes allaient voir le jour, inspirées du design industriel (la Papillon de Vacheron Constantin en 1950), de l'architecture (les créations de Gilbert Albert pour Patek Philippe), de la télévision nouvellement arrivée dans les foyers ou encore des réinterprétations modernes de modèles du passé.
1970
Les années 1970 donnèrent également lieu à une explosion stylistique mais, à la différence de ce qui s'était fait dans le passé, les créateurs ne se sont pas inspirés des objets du quotidien mais de ce qu'ils imaginaient être la montre du XXIe siècle. Des montres au design futuriste et utopique dont certaines ont gardé un charme désuet.
1980 - 1990
Au cours des décennies 1980 et 1990, l'horlogerie suisse mécanique eut vraisemblablement besoin de se remettre de ses émotions et de reprendre son souffle après la crise du quartz qui l'avait menacée d'extinction. C'est pourquoi ces années furent assez sages, hormis sans doute la forme si particulière inventée par Daniel Roth et quelques créations que Gérald Genta réalisa pour sa propre marque. Elles n'entrèrent malheureusement pas dans la postérité, à la différence de ses créations réalisées pour d'autres marques. C'est paradoxalement au cours de cette période de pur classicisme que germèrent, dans l'ombre des ateliers, les idées de formes nouvelles. L'horlogerie a connu là une révolution stylistique autrement plus radicale que les précédentes et qui a marqué une rupture. De nouveaux horlogers décidèrent de partir de la page blanche pour se livrer à des expérimentations créatrices qui ont coïncidé avec l'émergence d'une nouvelle génération de collectionneurs ayant envie de rompre avec la tradition de leurs aînés.
Effet de mode ou futurs classiques? Alexandre Ghotbi La grande question qui peut se poser aujourd'hui est de savoir si toutes ces montres, à l'instar des modèles des années 70, ne se trouveront pas vite dépassées dans les années à venir. Il est toujours difficile de faire ce genre de spéculations, mais ce que nous vivons aujourd'hui se rapproche davantage du mouvement contestataire des années 20 que des créations des années 70. En effet, là où trente ans auparavant, les designers avaient créé des montres qu'ils pensaient être LA montre du XXIe siècle et qui se révèlent aujourd'hui souvent être en complet décalage avec les goûts de notre époque, la production actuelle est parfaitement intégrée dans son temps et puise son inspiration dans l'architecture et les objets contemporains. Prenons pour exemple l'Antiqua de Vianney Halter, qui fête cette année ses 10ans sans les paraître.
Il serait néanmoins utopique de croire et malhonnête de dire que cette effervescence créatrice ne donnera naissance qu'à des icônes de design. Alors que certaines marques proposent une approche totalement novatrice qui oblige, pour comprendre leurs modèles, à une vraie gymnastique intellectuelle, et font appel à la sensibilité émotionnelle de l'amateur qui les découvre, d'autres ne sont que des pièces d'artifice avec surenchère d'excentricité stylistique et à la complexité vaine.
N'oublions pas non plus que les garde-temps conçus par les marques citées plus haut sont des créations de véritables horlogers ou maisons horlogères et que la recherche esthétique n'a pas été faite au détriment de la qualité du mouvement et de sa finition. Pour créer quelque chose de nouveau et de durable, il faut connaître le passé et se l'être approprié pour mieux s'en démarquer et prendre son envol. C'est notamment la démarche opérée par les jeunes horlogers qui ont souvent travaillé pour les plus grandes marques et maîtrisent parfaitement l'horlogerie classique.
Néanmoins, l'exercice risque de devenir difficile dans les années à venir car, avec chaque nouvelle pièce, ces marques vont devoir continuer de surprendre les collectionneurs et les aficionados qui en demandent toujours davantage, tout en restant très attentifs à ce que la frontière - parfois assez mince - entre le design, la créativité et le gadget ne soit pas franchie. http://www.letemps.ch/template/supplement.asp?page=19&article=228467 _________________ Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).
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