Zenith - Une page d'histoire d'amour cachée
Georges Favre Jacot est né le 12 décembre 1843 dans une famille sans fortune peuplée d'horlogers. Très tôt, à l'âge de 9 ans, on lui fait quitter l'école et affronter la vie par l'apprentissage du métier de tourneur pivoteur. De l'enfant élevé avec dureté naitra un adolescent indépendant au caractère trempé quand, à l'âge de 13 ans, il commande déjà d'autres apprentis et impose ses vues à un patron dont il claque la porte pour cause de désaccord. Sa décision est prise, il travaillera "en indépendant". Sa force de caractère, son tempérament d'entrepreneur et son charisme séduisent une jeune horlogère, fille elle-même d'horloger qu'il épouse à 20 ans en 1863 alors qu'il n'est pas encore majeur. De cette union, naitront 5 filles et un garçon, Adrien, qui disparaitra très jeune en 1916.
Fernande, la seconde fille du couple voit le jour en 1870. Son caractère est tout à l'opposé de celui de son père. Ce dernier a créé en 1865 une fabrique horlogère sur le lieu dit des Billodes. D'abord assembleur de mouvements achetés à des sous-traitants, il conceptualise rapidement ce que sa manufacture doit devenir et met au point des calibres qu'il fabrique de manière autonome.
Le concept même de manufacture, il le tient d'expériences naissantes en Suisse et de l'exemple américain qui occupe les conversations des horlogers suisses qui découvrent des montres très bien finies par des manufactures qui maitrisent l'interchangeabilité des pièces.
Georges Favre Jacot n'est pas un gestionnaire d'entreprise, c'est en fonceur qu'il avance, jouant de son instinct pour orienter son entreprise vers le succès. Le patriarche qu'il est règne sur le canton de Neuchâtel où il accumule les propriétés foncières et aime à réunir toute la famille le dimanche, unique jour de repos de la semaine.
Des enfants qui jouent il ne voit pas grand chose, pas plus qu'il ne s'aperçoit que sa fille adolescente a l'œil qui s'illumine quand elle retrouve son cousin germain James Favre, à l'occasion des rencontres familiales. Les deux adolescents s'ouvrent en même temps à la vie et du tendre sentiment qui les unit naît un amour profond qui en fait fusionner les âmes.
Georges Favre Jacot embauche en 1882 son jeune neveu au sein de la manufacture. Il est à l'époque d'usage de faire travailler toute la famille auprès de soi. Georges Favre Jacot ignore tout de ce qui relie James et Fernande et quand il l'apprend de la bouche même de sa fille, c'est la fureur qui l'envahit. Il n'est pas question que sa propre fille, celle qu'il chérit par dessus tout, épouse son cousin. On est dans les dernières années du siècle et les mariages entre cousins sont déjà des choses que la société tend à refuser. On ne sait pas grand chose des échanges entre James et Georges, sinon que la colère a dominé leurs rapports et que James a contenu beaucoup de sa personnalité, elle aussi trempée, pour éviter la rupture avec son oncle dont il craignait qu'elle ne l'éloigne de Fernande.
Le couple se voit en secret et échange de tendres lettres dans lesquelles Fernande déclare inlassablement sa flamme à James qui supporte de plus en plus difficilement l'autoritarisme de son oncle.
« Mon attachement devient si grand pour vous que la séparation sera toujours plus pénible, ma seule consolation est de penser qu’un jour je vous appartiendrai…./ …Vous connaissez maintenant mes sentiments, que mon seul but est de vous rendre heureux, je serai pour vous la femme aimante et dévouée, je supporterai toutes les peines et me sacrifierai entièrement pour vous, ayez confiance en l’avenir, toute votre affection vous sera rendue. Je suis à vous pour la vie et vous donne ma parole la plus sacrée !! »C’est Fernande qui souligne elle-même ses propos. Le 6 février soit 5 jours plus tard, elle laisse sur un carton ces quelques mots :
«N’abandonnez jamais celle qui vous aime et qui n’attend plus le moment de pouvoir créer une nouvelle vie à son bien aimé ! Votre fidèle Fernande ».Georges Favre Jacot refuse de partager un quelconque pouvoir sur la manufacture avec son neveu. Malgré tout, il se préoccupe davantage de la production et délègue à son neveu la charge de développer la diffusion commerciale des montres de la manufacture.
Il est plus que probable que le souci de Georges fut d'éloigner James de Fernande. En envoyant son neveu parcourir le monde à une époque où les voyages sont longs et où les délais d'acheminement du courrier rendent impossibles d'épistolaires échanges romantiques, Georges a la certitude que sa fille oubliera cet amour et que son neveu, à l'autre bout du monde, aura en tête d'autres idées que l'amour de sa cousine.
Le couple a pourtant décidé de se rapprocher et, dans une fronde amoureuse, de s'aimer malgré tout malgré un contexte familial hostile, malgré un environnement sociétal défavorable et un lien de sang réputé propre à rendre cette union insurmontable.
Ni le silence imposé par la séparation organisée par Georges, ni la distance due aux voyages qu'entreprend James ne vont séparer le couple. On croit souvent, à tort, que le silence et la distance éloignent les êtres alors qu'il n'en est rien, bien au contraire ils les rapprochent jusqu'à la fusion des esprits.
En 1904, c'est à Francfort puis aux Etats-Unis que Georges expédie son neveu pour y explorer et développer le marché Allemand puis Américain et y observer les techniques de travail des manufactures d'outre Atlantique. Ce voyage marquera un tournant dans l'histoire de ZENITH car James en ramènera des techniques de fabrication et un agencement des ateliers améliorant sensiblement la rationalisation des tâches et donc la rentabilité de l'outil industriel développé par Georges.
Ces voyages sont durement vécus par le couple que la longue séparation affecte. Fernande écrit à James :
« Billodes 21 mars 1904, Lundi soir
Mon Jämes !! mon seul amour !!
Les heureux moments passés ensemble avant votre départ restent gravés dans mon cœur, le tendre souvenir de votre premier baiser est ineffaçable… Je vis heureuse du doux sentiment de votre amour lequel me soutient et me donne du courage. De plus en plus je sens combien je dois apprécier votre âme noble, votre bon cœur ; vous êtes toute ma joie et mon bonheur ! Je vous dois toute ma reconnaissance de posséder votre amour !
Votre dernière parole en me quittant était : nous nous aimons bien.
Jämes !! Mon cœur, je ne pourrai plus vivre sans vous. La mort seule peut nous séparer, votre vie est la mienne… Je veux vous aimer comme votre tendre mère désirait que son cher fils soit aimé !! Vous pouvez compter sur moi, je vous donne ma parole la plus sacrée.
Je ne puis me faire à l’idée que vous êtes loin de moi ; je sens que j’en souffrirai beaucoup, ma seule consolation est de toujours penser à vous, à vous amour.
Je n’attends plus le moment de pouvoir causer à papa, quel soulagement ce sera pour moi de lui faire connaitre nos sentiments ; Dieu veuille que papa consente à notre union, je veux lui parler très ouvertement ; je veux que papa reconnaisse tous les torts qu’il a eus vis-à-vis de vous ; par moi il entendra tout [sic] l’estime que vous devez mériter, enfin comptez sur moi, je veux tout sacrifier pour vous...
Dans l’espoir que vous recevrez ma lettre à temps et que vous aurez fait bon voyage jusqu’à Francfort, votre pauvre isolée vous envoie le plus doux, le plus tendre baiser.
Votre fidèle Fernande. » L’idée du mariage de James avec sa plus jeune fille Fernande vient très vite après 1904 et provoque la colère de Georges Favre Jacot, non seulement parce qu'il a échoué dans la tentative de séparation des jeunes amoureux, mais encore parce qu'il sait qu'il ne refusera pas à sa fille le bonheur qu'elle trouve avec James qu'il voit prendre du poids dans la gestion de la manufacture face à un conseil d'administration qui entend de plus en plus les recommandations du jeune homme et de moins en moins les colères du fondateur de la maison horlogère.
De refus en tergiversations, Georges finira par accepter cette union pour le bonheur de sa fille sans nul doute et aussi probablement avec la perspective de mieux cerner au sein de la famille les intérêts de la manufacture.
En 1911, James succède à son oncle à la tête de Zenith dans un tonnerre de déchirements d'intérêts divergents et dans une dispute familiale que seule cette belle et exceptionnelle histoire d'amour permet d'effacer.
Cette histoire totalement tirée des faits de l'époque permet de constater que l'amour triomphe de tout et même de la raison des autres, quand le cœur prend les commandes et laisse à leur juste place ce que les sentiments doivent ignorer.