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Sujet: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 10:19
En horlogerie comme dans beaucoup de domaines, les premières années du 20 ème siécle sont marquées par la découverte des marchés du monde entier. "Exporter c'est exister pour longtemps". Forts de cette conviction, les marques s'installent directement ou par des agents distributeurs dans des pays jugés stratégiques. Pour ZENITH, Favre Leuba diffuse en Inde, Serkissof en Turquie et Moser en Russie. Omega est installé sur le marché Français grâce à Kirby Beard avenue de l'Opera à Paris.
Les marques sont dépendantes de tiers pour la diffusion de leurs montres et à part quelques marchés, elles ont peu recours avant 1929 à une distribution intégrée. Les paiements de marchandises aux manufactures se font via des avoirs ou des réglements différés et rarement au comptant.
Le marché Russe depuis la révolution de 1905 est en dents de scie, tantôt prospère, tantôt défaillant et toujours variable d'une année sur l'autre. La concurrence des marques américaines qui fait rage en Europe et sur le territoire nord et sud américain n'atteint que très partiellement la Russie qui reste un bastion Suisse.
La plupart des marques sont très confiantes dans le marché Russe mais Moser alerte très tôt Zenith des incertitudes du marché au regard de la situation politique qui se tend à l'approche de 1917. Beaucoup de manufactures grisées par ce marché sont moins attentives et livrent sur place des volumes importants de montres convaincues que l'instabilité politique ne peut faire basculer le régime.
L'histoire démontrera l'ampleur de leur erreur. La révolution annulera de fait les dettes et les stocks expédiés seront perdus avec des chutes de chiffres d'affaires d'autant plus sensibles que le marché Russe aura au sein d'une manufacture, monopolisé la fabrication.
ZENITH qui avait limité ses avoirs sur place est à peine effleuré par la situation nouvelle et se met immédiatement en quète de développer d'autres marchés où la présence de la marque est déjà assurée. Pour la concurrence, Omega et Longines sont davantages atteints.
Il faudra des années parfois pour remonter aux chiffres d'affaires d'avant guerre. La période connaitra des mesures de chômage technique jusque dans les années 20.
A la fin des années 20, la situation de l'horlogerie est à nouveau prospère. Le marché en vogue est le marché Américain si prometteur. Le marché Européen est également très pospère pour les Suisses notamment en France, Italie et Allemagne. Les anglais sont davantage attirés par les montres américaines. Chaque pays se protège d'une trop grande influence des marques Suisses. La France protège Lip en particulier et instaure des taxes douanières dissuasives.
ZENITH contrecarre cette situation en installant en France à Besançon une filiale à forte activité en 1925. Elle couvrira le marché Français. Omega et Longines font emboiter leurs montres en or destinées au marché Français, en France. La situation perdurera jusqu'au début des années 70.
La crise de 29 crée un choc si violent que du jour au lendemain s'installe la panique . Le krach consécutif à une bulle spéculative est la première manifestation moderne de crise économique à effet domino qui touche les pays les uns après les autres. Les montres sont vendues à la sauvette à la sortie des hotels auprès des hommes d'affaires et des rares touristes étrangers. L'horlogerie connait une chute historique des ventes avec des faillites de succursales et de détaillants. Le chômage technique à nouveau atteint les manufactures.
Paradoxalement, la seconde guerre mondiale ne crée pas la même crise. Au contraire, elle stimule l'activité. Il est vrai que les marques se sont fortement diversifiées dans l'armement et la fourniture de montres aux armées. Certaines firmes américaines se mettent même à ne plus fabriquer pour les civils ce qui contribuera à leur perte.
La crise qui va frapper l'horlogerie par la suite est celle des années 70. la profession tente de se structurer en groupements divers d'intérêt commun mais beaucoup de marque disparaissent en raison de l'arrivée du quartz et de l'incapacité des manufactures à s'adapter et à être réactives. Le chômage technique et la fermeture pure et simple ou la survie artificielle vont toucher beaucoup de marques qu'on croyait indestructibles . Ulysse Nardin qui n'emploie plus que 2 personnes, Breitling qui ferme, Universal Genève qui disparait, Omega qui dégraisse, Zenith qui passe en mains américaines, Longines qui s'étouffe... La liste est longue des déconvenues lourdes du monde horloger.
C'est paradoxalement la mode qui va faire renaître l'horlogerie et l'approche du sujet sous l'angle du produit de luxe. Les années 80 surtout vers la fin et les années 90 remettent en scelle des marques qui vivotaient. On sort d'une horlogerie "sociale" qui vise à donner l'heure à tous pour passer à une horlogerie sélective qui par un jeu de prix élevé va jouer la carte du luxe. L'appat prend plus que de raison et Nicolas Hayeck redonne un sens au Swiss made avec la Swatch montre bon marché et Suisse. Il a racheté toutes les entreprises perdues au cours des années antérieures et détient un monopole de fait dans la fabrication des mouvements.
Les groupes du luxe se constituent et viennent naturellement à la fin des années 90 investir le milieu horloger. La course au luxe extrême est engagée. elle repose sur des fondations légéres exclusivement dépendantes d'un marketing efficace. L'horlogerie vend du rêve fondé sur le mythe de la réussite sociale.
L'effondrement des bourses et l'effet domino de 2008 dégrade en chaine les marchés et aucune niche ne peut absorber les déficits. Dès lors, les manufactures en tirent les conséquences sur les emplois. On est au début de cette situation et dans le silence feutré du luxe, les marques pondèrent les annonces. Mieux, parler de crise géne des milieux qui veulent préserver des images luxueuses.
Des crises de 1905, 1917 et 1929 et 1970, les marques sont sorties par la créativité.
Après 1905, la précision des mouvement industriels fabriqués avec des logiques de rationnalistation du travail et des process favorisant l'interchangeabilité des pièces ont permis d'abaisser les coûts et de fonder une offre alléchante pour la clientèle.
Après 1917, il a fallu passer les montres des poches aux poignets. L'équipement des consommateurs était une garantie de développement potentiel. Le succès fut énorme.
Après 1929, l'industrie a dû faire preuve d'innovation. L'étanchéité, la montre automatique, la précision ultime ...ont meublé le discours et la fabrication jusqu'aux années 60.
Après les années 70, l'industrie Suisse dut tenter de s'approprier le quartz mais c'est par la communication de proximité que les marques ont pu s'en sortir. Les années 70 sont très productives en publicités diverses.
En 2009, il va falloir créer, innover, étonner et communiquer avec des produits transitoirement abordables. Les années de bulle du début du millénaire laissent des montres trop chères, des réseaux de distribution affaiblis, une impression d'insécurité qui avait disparu, et des produits de grande qualité.
Sans aucun doute, les groupes du luxe et les actionnaires demanderont des têtes au plus mauvais moment pour changer les hommes de place. Nul ne peut mieux dynamiser sa maison que celui qui la connaît à fond et a l'oeil rivé sur les marchés qu'il connait avec un réseau qu'il maîtrise. Cette crise là, n'est pas une crise imputable aux hommes qui font les marques ...
Les têtes qui tombent sont un savoir faire et une énergie perdus pour les groupes qui les font tomber. Certes, il y a eu de mauvais placements et l'affaire Maddof en fut un exemple, certes le luxe des fiesta il y a quelques mois constraste avec les économies à faire mais les marchés vont se redresser. Il suffit de faire preuve de créativité et de ne pas perdre le contact avec les consommateurs. On peut douter de l'effet positif des restrictions des budgets de communication quand il faudrait au contraire communiquer davantage. Jean-Claude Biver l'explique très bien en ne retirant rien de son budget de communication.
Il y aura d'autres crises. Celle-ci devrait conduire à regarder comment celles d'hier se sont réglées. Les solutions sont dans notre histoire.
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Dernière édition par ZEN le 29/3/2009, 11:22, édité 1 fois
Boogie Membre référent
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Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 10:53
ZEN a écrit:
Sans aucun doute, les groupes du luxe et les actionnaires demanderont des têtes au plus mauvais moment pour changer les hommes de place. Nul ne peut mieux dynamiser sa maison que celui qui la connaît à fond et a l'oeil rivé sur les marchés qu'il connait avec un réseau qu'il maîtrise. Cette crise là, n'est pas une crise imputable aux hommes qui font les marques ...
Les têtes qui tombent sont un savoir faire et une énergie perdus pour les groupes qui les font tomber.
Un excellent billet, avec lequel je suis d'accord, un texte très instructif, et je cite ci-dessus les passages avec lesquels je suis parfaitement d'accord...que rajouter de plus ? rien !
ZEN Rang: Administrateur
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Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 11:24
Merci Boogie
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kawaman Membre très actif
Nombre de messages : 164 Date d'inscription : 01/10/2008
Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 11:32
Très intéressant bravo.
ZEN Rang: Administrateur
Nombre de messages : 57505 Date d'inscription : 05/05/2005
Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 15:18
Merci !
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NicoSD Membre Hyper actif
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Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 15:34
S'inspirer du passé pour mieux perdurer, voilà qui est sage.
Mais il émane de ton post quelque chose de meilleur : Ne pas refaire les mêmes erreurs, une fois qu'elles sont identifiées et comprises pour mieux créer ; c'est probablement la recette gagnante si les hommes d'expérience restent en place.
Emmanuel H Passionné de référence
Nombre de messages : 3197 Age : 52 Localisation : Bruxelles Date d'inscription : 26/12/2008
Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 16:13
Zen, c'est ton meilleur billet des trois derniers mois !!
Il y a une crise dans l'horlogerie, personne ne peut le nier. Mais effectivement il y en a eu bien d'autres (et selon moi, bien pires) dans les 100 dernières années. Le secteur s'en trouvera modifié, c'est certain, purgé probablement de nombreux de ses excès (et tant mieux d'ailleurs), mais il rebondira, j'en suis également convaincu.
Et vu les investissements consentis par de nombreux acteurs de l'horlogerie dans les deux trois dernières années, le redémarrage sera rapide. Un seul mot d'ordre : tenir le coup jusque là, en espérant qu'on parle de fin 2009 ou du premier semestre 2010.
Je suis revenu de Bâle cette nuit, après deux jours exceptionnels passés à arpenter les allées de ce magnifique salon. J'y ai fait des rencontres passionnantes et j'ai constaté un enthousiasme encore bien présent sur de nombreux stands. L'horlogerie que nous aimons tous n'est pas morte, qu'on se le dise !
Je te remercie d'avoir pris le temps de nous écrire ce billet.
Emmanuel
ZEN Rang: Administrateur
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Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 18:58
L'enthousiasme est là , il reste les flux financiers à trouver entre les clients et les fabricants...
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MORPHEUS Pilier du forum
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Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 19:53
Mais l'Histoire ne re passe pas les plats: et si en 2009 les marques ne réagissaient pas selon des voeux pieux? Et si nous vivions une véritable et profonde crise?
Quetsch Membre Hyper actif
Nombre de messages : 583 Date d'inscription : 13/01/2007
Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 29/3/2009, 21:07
MORPHEUS a écrit:
Mais l'Histoire ne re passe pas les plats: et si en 2009 les marques ne réagissaient pas selon des voeux pieux? Et si nous vivions une véritable et profonde crise?
Ca c'est également la profonde prophétie de Morpheus
Billet intéressant au demeurant, ca mérite une mousse pour en parler.
Boogie Membre référent
Nombre de messages : 6611 Age : 63 Localisation : Suisse Date d'inscription : 17/11/2006
Sujet: Re: 100 ans de crises : Des leçons à tirer... Billet 30/3/2009, 09:59
Emmanuel H a écrit:
Je suis revenu de Bâle cette nuit, après deux jours exceptionnels passés à arpenter les allées de ce magnifique salon. J'y ai fait des rencontres passionnantes et j'ai constaté un enthousiasme encore bien présent sur de nombreux stands. L'horlogerie que nous aimons tous n'est pas morte, qu'on se le dise !
Je plussoie, j'y ai fait la même expérience !! Ce que j'aimerais dire aussi, à propos des patrons de marque qu'on laisse ou pas à leur poste, c'est que je n'ai jamais compris, par exemple, que quand une équipe de foot aligne les défaites, on vire l'entraîneur.
Jusqu'à preuve du contraire, ce sont les joueurs qui sont sur le terrain. On ne peut pas transposer cette dernière ligne à l'économie, parce que cela signifierait qu'il faudrait virer les employés, coupables des mauvais résultats. En revanche, quand il y a une crise comme celle que nous vivons aujourd'hui, elle concerne tout le monde, et virer un patron qui obtenait de bons résultats en période de haute conjoncture ne serait pas la solution