Bonjour à tous,
Les montres Victorinox n’ont pas vraiment la cote sur le forum, dans la mesure où elles apparaissent comme un produit dérivé d’une célèbre marque de couteaux suisses. Ce qu’elles sont indubitablement.
Les posts consacrés à cette marque me semblent néanmoins être un peu plus fréquents depuis quelque temps, et je me suis dit que les éléments qui suivent pourraient en intéresser quelques-uns.
Il se trouve que j’ai acheté l’an dernier une Victorinox, la Base Camp Mechanical :

Sans doute l’une des dernières automatiques de cette série, puisque le modèle avait été retiré du catalogue un an auparavant. Ce fut un achat non prémédité, et parfaitement compulsif, mais qui venait néanmoins combler un manque de longue date : la nécessité de disposer d’une montre mécanique pas chère, qui puisse faire office de tool watch.
A partir de ce jour, j’ai commencé à me renseigner sur Victorinox, que je ne connaissais qu’à travers quelques articles de presse (la marque est très présente dans les pages de nos revues horlogères préférées), et à suivre les messages des FAMeurs qui en faisaient état. Peu à peu, je me suis aperçu que, dans ces posts, il y avait souvent quelques approximations ou idées reçues sur Victorinox, et la place qu’occupe l’horlogerie dans les activités du groupe.
Voici donc quelques éléments que j’ai pu glaner, au départ au hasard, ensuite de manière un peu plus organisée, éléments qui dessinent une petite histoire des montres Victorinox. Dans la mesure du possible, j’ai cherché à recouper les informations, mais il peut subsister des erreurs : vos commentaires seront les bienvenus.
Chapitre Un : Les montres « Swiss Army » de Xantia S.A. pour « Swiss Army Brands Inc. »
L’histoire « horlogère » de Victorinox commence à la fin des années 1980. L’initiative n’en revient pas aux Elsener, père et fils, propriétaires de la marque :

mais à Swiss Army Brands Inc., l’importateur des couteaux Victorinox aux Etats-Unis. L’Amérique du Nord représente alors le premier marché du coutelier. Les soldats US avaient découvert ce couteau lors de la Seconde guerre mondiale et l’avaient ramené dans leurs paquetages, ce qui avait permis de le faire connaître, et apprécier, des Américains.
L’importateur cherche à développer son chiffre d’affaires, et à surfer sur le succès des montres à quartz – dont tous les FAMeurs connaissent les effets dévastateurs sur l’industrie horlogère dans les années 70 et 80. Ayant trouvé un accord financier avec Victorinox, il contacte une société spécialisée dans le licensing horloger, Xantia S.A., et la charge de produire des montres à quartz bon marché, inspirées de l’esprit des couteaux suisses.
Les premières montres « Swiss Army », ornées du célèbre logo, sortent en 1989. Le succès est immédiat.
Chapitre Deux : Les montres « Victorinox » de la société Muller pour « Victorinox »
Suite à l’engouement pour les montres « Swiss Army », Carl Elsener fils décide de se lancer également dans l’aventure. Ce choix n’est pas seulement opportuniste : il fait partie d’une politique de diversification des activités de l’entreprise, qui sera amplifiée suite à l’attentat de septembre 2001. En effet, compte tenu des mesures de sécurité prises dans les aéroports, il ne sera plus possible d’emporter son couteau préféré dans son bagage – ce qui aura pour effet de diminuer les ventes. D’où les montres, puis les bagages et les vêtements estampillés Victorinox.
Pour mener à bien son projet, Carl Elsener contacte une autre entreprise elle aussi spécialisée dans le licensing horloger, la société Muller, et c’est donc ainsi que, au milieu des années 90, virent le jour les premières pièces labellisées Victorinox.


Ses montres sont distribuées essentiellement aux Etats-Unis (pour 80% de la production), et, là aussi, le succès est au rendez-vous, à tel point que le fils du dirigeant de la société Muller, Sébastien Muller, va peu à peu se consacrer entièrement aux montres Victorinox.
Chapitre trois : Les montres « Victorinox Swiss Army »
En termes strictement économiques, la conception, la fabrication et la distribution de montres « Swiss Army » et « Victorinox » font double emploi, et génèrent des coûts inutiles. La troisième étape de l’histoire va donc consister en une fusion des deux marques.
En 1998, Victorinox crée une entité autonome, Victorinox Watch, entièrement dédiée à l’horlogerie. La direction en est confiée à Sébastien Muller, et l’entreprise s’installe à Bonfol, dans le Jura suisse. L’objectif est de vendre, à terme, entre 1,5 et 2 millions de montres par an.
Deux ans plus tard, Victorinox et Swiss Army Brands Inc. rachètent Xantia S.A., la société chargée du licensing des montres « Swiss Army », puis, peu après, Victorinox rachète Swiss Army Brands Inc.
Victorinox estime toutefois qu’il ne serait pas opportun de supprimer la marque « Swiss Army », qui a trouvé aux Etats-Unis sa clientèle. Les deux appellations sont donc accolées l’une à l’autre, et c’est ainsi que naissent, au début des années 2000, les montres « Victorinox Swiss Army » que nous connaissons, produites par la société Victorinox Swiss Army Watches S.A..
Chapitre Quatre : Les années 2000
La gamme Airboss, qui sort en 2003, est le premier grand succès commercial de « Victorinox Swiss Army » :

Les montres sont distribuées en France par la société Ellipse, codirigée par Fabrice Lekston et Olivier More-Chevalier, un distributeur connu pour travailler avec quelques marques prestigieuses.
En 2005, Victorinox absorbe son concurrent Wenger, un coutelier qui s’était lui aussi diversifié dans l’horlogerie, et qui produisait des montres comme celles-ci (je n’ai pas dit que j’étais amateur) :

En 2006, Xantia S.A. fait l’objet d’une opération dite de « management buyout », et retrouve son indépendance. La société poursuit son activité de licensing pour d’autres marques que Victorinox, tandis que Victorinox Swiss Army Watches S.A. récupère la plupart des collaborateurs de Xantia S.A. pour poursuivre son propre développement.
La même année, les ventes de Victorinox Swiss Army atteignent le million d’exemplaires, ce qui fait de l’entreprise le troisième exportateur de montres « Swiss made » dans le monde. Pour assurer son développement, un nouveau site de production est ouvert à Porrentruy, en Suisse. Le directeur de la création en est Jean-Bernard Maeder.

Chapitre Cinq : « Victory Swiss Army » et l’armée suisse
En 2008, la célèbre ligne Infantry Vintage est créée, laquelle souligne plus encore le lien que Victorinox entretient avec l’armée suisse :

Ce qui pose la question de l’authenticité de ce parrainage… Qu’en est-il vraiment ?
Pour répondre à cette question, il nous faut remonter aux tout débuts de l’histoire, à une époque où Victorinox ne s’appelait pas encore Victorinox. Inutile de dire que la réponse va en surprendre plus d’un…
L’histoire des couteaux suisses Victorinox débute en 1884, avec la création d’un premier atelier de coutellerie par Karl Elsener :


Le coutelier a une idée : créer un couteau pour l’armée suisse, ce qui lui permettrait de s’assurer récurrents, et d’asseoir sa notoriété. Mais, en 1891, un premier couteau, destiné au fantassin, est refusé :

Jugé trop lourd, trop encombrant, on lui préfère un couteau de fabrication… allemande !
Karl Elsener se lance alors dans la conception d’un couteau qui serait réservé aux officiers. Tenant compte des critiques adressées à l’encontre du premier prototype, il dessine un modèle plus léger, mais aussi plus complexe, puisqu’il est muni de six outils :

Ce nouveau modèle est breveté en 1897, mais il est également refusé par l’armée suisse. Fort heureusement pour l’artisan, de nombreux officiers sont séduits par cet objet polyvalent, et l’achètent sur leurs propres deniers : il n’en faudra pas plus pour lancer ce qui allait devenir le « couteau suisse » par excellence.
Karl Elsener, qui était menacé de faillite, va non seulement être à même de rembourser ses créanciers, mais, face au succès grandissant remporté par son couteau multi-lames, il va passer en quelques années du stade artisanal ou stade industriel.
L’image de couteaux « de l’armée suisse » s’imposant peu à peu, Elsener décide en 1909 d’appliquer sur le manche déjà rouge de ses couteaux la croix blanche qui figure sur le drapeau fédéral, créant ainsi l’un des logos les plus célèbres du monde :

Mais cet apparentement à l’armée suisse est avant tout une idée relevant du marketing : le couteau multi-lames n’était pas officiellement celui de l’armée helvétique.
Pour terminer, je rappellerai l’origine du terme « Victorinox » qui précède la mention « Swiss Army ».
En 1909, toujours, Victoria Elsener, la mère du coutelier, décède.

En sa mémoire, son fils baptise sa fabrique de couteaux « Victoria ». Puis, en 1921, lorsque l’acier inoxydable est employé pour la fabrication de ses lames, la marque évolue en « Victorinox », suivant le procédé bien connu du mot-valise (Victoria + inox).
Voilà d’où vient le nom de la marque « Victorinox Swiss Army » - et comment l’entreprenant Carl Elsener, quatrième du nom, en a fait une marque horlogère.
