Bonjour
Il y avait dans cette maison de retraite une odeur âcre mélant urine, transpiration et ce bruit de fond d'une télé qu'on regarde sans l'écouter, qu'on entend sans la voir. Asssise à une table, il y avait Emma, une vieille femme de 94 ans. Coiffée, poudrée et bien habillée, Emma avait l'oeil fixé sur la pendule de la grande salle à manger. C'est que ce troisième dimanche du mois est celui où Jean vient la chercher pour déjeuner et faire un petit tour en voiture.
Emma raffole de ce moment d'évasion où elle retrouve son fils,sa belle fille et leurs enfants qu'elle a tant aimé faire sauter sur ses genoux.
Jean passe toujours vers midi mais parfois il a cinq ou dix minutes de retard mais peu importe, c'est si bon de voir sa famille.
Emma regarde les autres manger leur pitoyable repas fait de viande hachée et de purée liquide. C'est d'autant plus particulier que cette nourriture sent mauvais. elle sent la vieille graisse brûlée alors que le contenu des assiettes n'en comporte pas. Il y a juste cette purée en vrac posée sans amour à coté de cette viande mal cuite presque bouillie qui n'a aucun goût. Jeanne en plaindrait presque les autres pensionnaires, eux que personne ne vient voir, eux qui ne s'évadent jamais et qui n'auront pour dessert qu'un yaourt en date limite de péremption dont ils n'auront pas choisi le parfum mais qu'on les autorise à s'échanger entre eux.
Il est midi quinze quand une infirmière apporte à Emma un plateau avec une assiette contenant 3 cuillères de purée et un steack haché refroidis. "Votre fils ne viendra pas, mangez cela avant que ce soit trop froid". Emma interroge et veut savoir pourquoi son fils est absent. A-t-il eu un accident, lui qui vient toujours le troisième dimanche du mois ... L'infirmière qui recule de trois pas répond à Emma qu'il y a une grande foire commerciale et qu'il passe son tour pour ce dimanche. Il a téléphoné samedi mais l'infirmière avait oublié de le dire à Emma.
Jeanne baisse la tête. Elle vient de passer après la foire commerciale. Elle regarde ses doigts tordus par l'arthrite avec ses bagues, elle tremble et puis les larmes coulent lentement sur son visage. Elle reste silencieuse, incapable d'avaler son repas. Elle tourne la tête vers la gauche et voit le médecin en discussion avec l'infirmier. Elle se lève et avance vers eux péniblement.
Le médecin explique à l'infirmier qu'il es très ennuyé par une petite poussière sur le cadran de sa montre tout près de l'index qui marque 4 heures. Il dit qu'on la voit avec une loupe de 15 en plaçant la montre en plein soleil vers midi. L'infirmier, lui conseille de voir un horloger car c'est inacceptable sur une montre de 25 000 euros.
Emma s'effondre, elle a perdu l'équilibre et ne ressent plus aucune douleur. Le médecin demande à l'infirmier de la relever car il a peur de heurter sa montre. Emma est remmenée dans sa chambre.
Le médecin appelle l'infirmière et lui tend sa loupe afin de savoir si elle voit cette poussière vers 4 heures. L'infirmière s'assoit pour regarder. "Non, je ne vois rien ... Mais ? Ce n'est pas la bonne date ? "
Chacun a son échelle de valeur dans ses tourments.