On est le 11 juin 1909 dans l'est des Bouches du Rhône. Depuis plusieurs jours les animaux ont un comportement étrange. Les chiens hurlent à la mort et les oiseaux se mettent à voler à très basse altitude. Les chats se cachent sous les lits et refusent d'en sortir.
Personne n'y prêtent réellement attention mais il fait chaud, lourd même et tout le monde attribue à la température cette lourdeur et ce sentiment inexplicable de mal être.
Le repas du soir est passé depuis plus d'une heure et l'on prend la fraiche sur les bancs installés à l'extérieur des maisons. Il est un peu plus de 21 heures quand Victor ressent comme une vibration. Jeanne n'a rien senti, elle vaque encore à ses occupations et range la vaisselle dans une armoire de la cuisine. Il n'est pas 21 heures 5 quand Victor ressent une seconde fois une secousse et si la première fois, il avait fini par croire que l'alcool de prûnes était la cause de son déséquilibre, cette fois, le vase qui tombe tout seul de la cheminée le conforte dans l'idée que le sol a bien bougé.
Jeanne s'apprête déjà a ramasser les morceaux de porcelaine quand elle voit la pendule s'arrêter toute seule et son balancier se mettre à bouger de manière anarchique. "Victor" La pendule s'est arrêtée. Victor assis sur son banc fait un bond quand le sol se met à 21h15 précises à trembler comme jamais. Les murs se lézardent et dans un brouhaha intense, les meubles se renversent les uns après les autres. Jeanne comme Victor sont paralysés par la peur mais les cris des voisins ramènent rapidement Victor à la réalité. Il empoigne Jeanne, la sort juste avant que la maison ne s'effondre au trois quarts.
Un nuage de poussière envahit la rue et l'air devient irrespirable. Une petite bise dissipe les particules et il ne reste plus que le bruit des pierres qui tombent, les cris des gens ensevelis et ce constat de Jeanne "Regarde, la pendule est toujours debout !" Ici à Salon de Provence, le temps s'est arrêté sur la pendule de Jeanne et Victor et pour plus de 45 personnes qui ne se relèveront pas.
Dans la poche de Victor, sa montre s'est elle aussi arrêtée sous la pression du verre cassé par un éclat de pierre. Le temps n'a alors plus aucune importance... Victor quelques années plus tard dira que finalement il n'a jamais fait réparer ni la pendule , ni sa montre et que dans les moments intenses, le temps n'est plus, que ce soient des instants de vrai bonheur ou ceux de grands malheurs. Il ajoutera que quand la terre se met à vasciller sous ses pieds, l'homme doit garder l'équilbre car c'est encore debout qu'il est le plus fort.
Victor est mort en 1942 et Jeanne en 1961. Ils ont légué par testament à leurs enfants une pendule en panne et une montre hors d'usage en demandant qu'elles ne soient jamais réparées.
_________________
Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).