Abraham Louis Breguet aurait-il porté une montre à quartz?

Sous ce titre volontairement un peu ironique se cache une interrogation sur le statut et la portée de certaines innovations techniques horlogères pour les passionnés de montres mécaniques.
Je m’explique.

Nous sommes tous ou presque, ici, essentiellement passionnés par les montres mécaniques, et ce pour diverses raisons:
-La finition sublime de certains mouvements
-Le mouvement fluide de la trotteuse
-Le rapport à une montre mécanique est ressenti comme différent par rapport à celui que l’on entretient montre à quartz (une montre mécanique vit avec son porteur: elle s’anime quand il la remonte ou la met au poignet, elle est directement dépendante du porté)
-Beaucoup sont fascinés par le fonctionnement complexe d’un train de rouage communiquant aux aiguilles les décomptes du temps du balancier.
-D’autres encore sont passionnés par l’histoire de certaines montres ou de certains mouvements.

Evidemment, différentes « raisons » peuvent animer une même personne, chaque argument est souvent complété par d’autres.

Enfin, il y a quelque chose de presque poétique, à l’heure de montres à pile, plus précises, souvent moins chères et plus efficaces, à donner l’heure à l’aide de procédés à la fois très techniques (dans leur exécution) et assez désuet (dans leurs principes). Le fonctionnement d’une montre mécanique est à la fois un sommet de technicité et un non-sens dans le monde moderne, et c’est aussi dans ces procédés à la fois contournés, extrêmement soignés et pourtant archaïques (paradoxalement) que réside la poésie de nos tocantes.

Il y a donc une variété de raisons qui nous poussent à nous intéresser aux montres mécaniques, mais il y a tout de même une constante: nous sommes tous conscients que d’un point de vue fonctionnel, une quartz de qualité correcte fait aussi bien; nous savons tous que notre passion recèle une part d’absurdité. (ce n’est pas une critique, bien au contraire, de mon point de vue)


Ce qui m’amène à la question du quartz, ou plutôt de certains quartz innovants, pensés avec soin et à l’aide de techniques novatrices (je ne parle donc pas des quartz chinois no jewel à deux sous), qu’il s’agisse du Spring Drive de Seiko, de l’Astron (encore Seiko, tiens), ou encore des quartz thermocompensés.

Je remarque qu’un certain nombre de « nouveaux » passionnés (pas tous, évidemment) par l’horlogerie mécanique jette un regard condescendant vis à vis des ces innovations: « peuh, ce n’est qu’un tas de circuit, ce n’est pas de l’horlogerie ».

A contrario, nombre de passionnés de longue date, souvent collectionneurs de montres mécaniques et amateurs d’histoire horlogère, jettent un point de vue certes parfois circonspect mais curieux voire intéressé. (cf l’intérêt manifesté par certains vis à vis de l’Astron, ou récemment par Zen vis à vis de l’Omega X33)

Car n’oublions pas une chose: les montres mécaniques nous fascinent dans ce qu’elles ont à la fois de technique et de désuet (même les nouveaux matériaux high tech sont mis au service d’un mode de fonctionnement dont les principes ne datent pas d’hier)…mais a contrario, à l’époque de leur conception, nombre de mouvements étaient à la pointe de la technique moderne.

Par exemple, un tourbillon est aujourd’hui essentiellement un système complexe, manifestant la maîtrise d’une manufacture, une technique superbe à voir évoluer, mais aussi complètement inutile.
Or, quand le tourbillon a été inventé par Breguet ou que le carrousel l’a été par Bonniksen, ils l’ont été pour des raisons techniques et pragmatiques (lié à la position des montres de gousset dans la poche, et afin de permettre une meilleure lubrification en raison de la qualité médiocre des huiles de l’époque) ➔ le tourbillon ou le carroussel, comme tant d’autres « innovations » horlogères anciennes mettaient « la forme au service de la fonction. »
L’esthétique et la technique étaient au service d’un but précis: donner l’heure plus précisément.

C’est pourquoi, bien ma passion soit essentiellement tournée vers les montres mécaniques, je ne peux m’empêcher d’applaudir face à certaines innovations techniques, même si elles ont lieu dans le domaine du quartz….et je m’interroge.

Le quartz thermocompensé au le système GPS de l’Astron ne sont-ils pas dans la continuité des travaux des pionniers de la grande horlogerie (parce que la technique y sert la fonction), finalement davantage qu’un Gyrotourbillon moderne ou qu’un sublime anglage des ponts à coups d’angles rentrants, (tourbillons et autres qui nous fascinent souvent davantage et qui pour beaucoup incarnent davantage ce que l’on nomme « l’horlogerie »)?
L’Astron, le quartz Thermocompensé et autres ne sont-ils pas les pendants contemporains de l’échappement à ancre ou de l’invention du chronographe, car tous répondent à un « but » précis: donner l’heure juste?
Il ne s’agit pas de dénigrer « l’acte gratuit » en horlogerie (mais facturé très cher, héhé), loin de là, et un travail de finition de haut vol me fascine, par exemple, mais il me semble que certaines innovations techniques dans le domaine électronique sont tout aussi justes, légitimes et historiquement importantes que l’échappement coaxial (Omega) ou que le parachrom de Rolex…voire peut-être...davantage?

Nous sommes tous fascinés par les créations horlogères de Breguet, par exemple… mais je ne peux parfois m’empêcher de penser que si Breguet avait eu dans les mains un quartz thermocompensé ou une Astron, il eut été littéralement fasciné.

Abraham Louis Breguet aurait-il porté une montre à quartz?

- Oui, s'il est un amateur de la technologie.

- Non, s'il est un amateur de produits de luxe.

Sans vraiment répondre...
Je me suis souvent dit que Breguet aurait été admiratif du savoir faire de Seiko avec le springdrive.

Breguet rêvait de placer dans une montre toutes les complications possible. Il aurait eu une T Touch avec la lune...

ftikai: certes....et c'est tout le problème! Entre l'invention de certains procédés de l'horlogerie, et l'usage qui en est fait aujourd'hui, leur statut a fondamentalement changé, d'où ce petit billet interrogatif.   


1660078: Bien évidemment, cette formulation n'a pour but que d'ouvrir le débat, c'est une "question ouverte".
Quant au springdrive, par exemple, c'est ce que j'ai tendance à me dire, parfois: bien sûr, nombre de père de l'horlogerie que nous admirons ont souvent travaillé des mouvements splendides, certes...mais à l'origine, ils étaient souvent, et avant tout, des inventeurs....


Zen: je n'avais pas pensé au T-Touch, bien vu.   

Pour moi, ton post ne porte aucune antinomie.

On peut parfaitement être passionné par quelque chose qui nous est étranger et qui n'a rien de commun avec sa propre pratique de l'art dont il est question. Un exemple : on peut adorer les voitures anciennes et se fasciner pour les performances étonnantes d'une Tesla. Aucun problème pour moi...

Pour autant, se fasciner n'induit pas de substituer une chose à l'autre.

Le quartz a une légitimité technique et technologique, c'est un fait. Pour autant, la méca porte l'histoire de cet art que nous aimons.

La réunion des deux fait l'horlogerie.

A chacun de voir midi à sa porte .

adrien86 a écrit:

Le quartz a une légitimité technique et technologique, c'est un fait. Pour autant, la méca porte l'histoire de cet art que nous aimons.

Pas sûr que les Poljot, Vostok ou autres Raketa attirent les foules ici sur FAM.

adrien86: je suis d'accord avec toi, sur le fond, et mon post initial se faisait un peu "l'avocat du diable", volontairement.   
Le but n'est certes pas de faire une "scission", bien au contraire, et moi-même je porte aussi bien une G-Shock qu'une Cartier, ou que quelques vintage modestes animées par des France Ebauche ou des FEF, selon la situation.

En filigrane, c'est aussi une façon de souligner que le quartz n'est pas "forcément" la solution de facilité, que certaines innovations électroniques font partie du domaine de l'horlogerie, qu'une Astron relève de l'horlogerie au même titre qu'une Dufour, même si elle en relève d'une manière fondamentalement différente.
Après, il va sans dire, nous sommes d'accords, que l'intérêt de chacun peut être tourné vers un aspect plutôt qu'un autre, bien sûr.


ftikai: hum, les nombreuses reviews et les topics bien alimentés sur les Strela ou les diverses Amphibian (les divers "feu de...", les reviews, les tutos techniques sur les mouvements Vostok) me poussent à être en désaccord, nombre de petites montres russes bénéficient sur FAM d'un certain capital de sympathie voire d'intérêt, je pense, même si elles ne sont pas "au centre" des discussions.

ftikai a écrit:

Pas sûr que les Poljot, Vostok ou autres Raketa attirent les foules ici sur FAM.

Le risque est toujours de tomber dans la pédanterie sur ces questions.

Pour moi, une méca c'est une méca.

Une Lange n'est pas plus mécanique qu'une Poljot.

Perso, j'ai eu un Calibre Royal dont je me suis séparé et aujourd'hui je reviens avec un plaisir immense sur un 7750 que j'ai connu sur une Tissot il y a une dizaine d'années...

Pour moi, c'est le même plaisir .

Black_Wolf a écrit:

En filigrane, c'est aussi une façon de souligner que le quartz n'est pas "forcément" la solution de facilité, que certaines innovations électroniques font partie du domaine de l'horlogerie, qu'une Astron relève de l'horlogerie au même titre qu'une Dufour, même si elle en relève d'une manière fondamentalement différente.

Totalement d'accord avec toi.

Et d'une certaine manière, je pense de plus en plus que les productions suisses devraient s'inspirer de la démarche innovante de Seiko ou de certaines marques allemandes portées sur les aspects techniques (Sinn ou Damasko pour ne citer qu'eux).

La bienfacture peut parfaitement s'accommoder d'une dose d'innovation.

Pour moi, Lange a tenu admirablement ce pari avec la Zeitwerk. Richard Mille tient aussi une ligne intéressante sur ces questions.

On peut faire beau et novateur, loin des conservatismes habituels et des poncifs sur ce que doit être une montre de valeur.

Déjà que ma quartz actuelle (uniquement avec le balais de 4 aiguilles et sans afficheur numérique, PRX-7000YT) fait compas, thermomètre, altimètre, baromètre, radiopilotée heure et date, solaire (autonomie illimitée), réalignement automatique des aiguilles en cas de fort choc, + les fonctions usuelles du quartz (calendrier perpétuel, alarme, chrono, fuseaux horaires, éclairage mini torche), le tout dans un boitier titane anti-rayure étanche 100m + verre saphir. Et qu'en plus (vu les nouveautés Casio à BaselWorld) dans un an ou deux, les nouveaux modèles donneront en plus à la demande, ma position GPS exacte à 10 mètres près ou l'arrivée d'un mail ou d'un appel sur mon téléphone...
... Je pense que ça aurait plu à Breguet de jouer dans ce domaine hautement technique du quartz moderne.

D'autant plus que la finition "haute horlogerie" actuelle ne l'intéressait pas visiblement. La montre Marie Antoinette est très sophistiquée mais digne d'un bas de gamme chinois au niveau finition. Or comme de nos jours seule la finition est synonyme de haute horlogerie, il aurait eu du mal à s'imposer. Et surtout il aurait probablement travaillé dans de vrais domaines "haute technologie" et pas dans l'horlogerie occidentale où l'on s'extasie sur un nouvel alliage de ressort spiral ou un poli de surface sur un engrenage qui tournait très bien sans.

Breguet était un bidouilleur de génie. Il faut se rappeler qu'à l'époque, il partait de lingots de fer et de laiton et se fabriquait ses propres outils avec du bois car il n'y avait même pas de perceuse à manivelle. L'objet le plus technique autour de lui était le fusil à silex. De nos jours, à l'heure de la conception assistée par ordinateur et des machines d'usinage à commande numérique, je le vois mal rêver de faire d'une simple trois aiguilles, l'œuvre de sa vie.

Roland