Bonsoir. J’interviens peu mais cette question quasi-politique sur le fonctionnement de l’ecosysteme horloger me passionne.
Pour avoir discuté de ça avec des insiders dans l’Horlogerie Suisse suite à la main tendue il y a deux semaines de Baselworld envers le SIHH, je confirme que « le sujet n’est pas là » comme l’analyse
@foversta.
Aux Journées du Marketing Horloger qui se sont déroulées à La Chaux de Fonds début décembre, il y a vraiment eu une mise en avant flagrante de l’impasse dans laquelle la filière se trouve: comment toucher le client final, de manière consistante et maîtrisée, comme la profession le fait si bien dans la production de ses gardes temps ?
Alors que les entreprises support (distributeurs, salons et media) maîtrisaient la quasi-totalité des flux entre une marque et ses clients il y a peu, entre autres, les outils de marketing numérique et l’internalisation de la distribution par les marques pour répondre à des besoins internes (retours sur investissements directs optimisés pour ce qui est de la communication, maîtrise des données, maîtrise des offres, voire réduction des coûts pour les points de vente numériques et physiques en propre) mais surtout clients (désormais éduqués au fonctionnement du business, sur-renseignés de bonnes ou mauvaises informations sur les produits grâce aux communautés, et de moins en moins volontaires à financer un intermédiaire sans valeur ajoutée perçue lorsqu’il sent directement qu’il peut avoir le même produit pour moins cher sans différence).
Voici le fond de ma pensée, très vulgarisé, sûrement très contestable (mais je suis ouvert d’esprit, rentrez moi dedans pour corriger ces potentielles approximations !) :
1. Baselworld et le SIHH n’avaient pas besoin l’un de l’autre jusqu’ici, les marques avaient besoins d’eux pour travailler. Bien que militants tous les deux pour le renom de l’Horlogerie Suisse, par intérêts des groupes organisateurs, ils ont imposés à leurs marques et leurs distributeurs de venir deux fois sur le territoire helvète passer leur commande annuelle et goûter aux spécialités culinaires locales. Pas mal pour les activités touristiques de luxe du pays ceci dit.
2. Les marques n’avaient pas vraiment besoin de se préoccuper de l’intérêt ou non de leurs distributeurs, les distributeurs avaient besoin d’elles pour avoir des produits qui se vendent. Beaucoup d’entre elles n’ont pas cherchées plus loin. S’en suivent des surcharges de stocks chez les distributeurs indépendants, des remises à l’appel pour écouler les invendus, et un désintérêt partiel du service client au profit de la quête à la survie du business et de la rotation chez les détaillants.
3. Les distributeurs n’avaient pas à se soucier si les clients étaient satisfaits de leur travail, du service qu’ils apportaient en tant que représentants exclusifs des marques. En effet, ils avaient quasiment le monopole de la distribution. Idem pour les media traditionnels qui étaient les seuls à communiquer sur les produits de luxe.
Sauf que maintenant, les marques n’ont pas besoin fondamentalement des salons, lieux de rencontre avec les distributeurs qui coûtent un bras, elles peuvent gérer par elles même et pour moins cher l’opérationnel avec leur distributeurs avec les nouveaux moyens de communication, de CRM et d’automatisation. D’ailleurs, ont-elles toujours besoin de ces détaillants ? Les marques ont les moyens désormais de toucher les clients finaux à coups d’achats de base de données et de marketing ciblé. Encore mieux, les clients ne veulent que ca: acheter directement à la marque, authenticité et marge de distribution réduite synonyme de prix plus justes. Même constat pour les media, un client convaincu peut partager une photo d’une montre pour beaucoup moins cher et, au nombre de clients, avec une quantité de personnes touchées aussi importante qu’une publicité dans un beau journal papier.
Une fois ça dit, concrètement il faut juste que les marques aient des endroits où leurs clients puissent essayer leurs produits puis les collecter et une armée d’ambassadeurs blogueurs influenceurs qui relaient leur informations vu que leurs clients peuvent aller en boutique essayer une montre et l’acheter en ligne. Merci les détaillants de nous avoir fait prospérer tant d’années, surtout continuez à avoir nos produits en vitrine mais vendez en le moins possible, pourvu que les clients achètent chez nous. Merci les media aussi, mais on n’a plus vraiment besoin de vous.
Ca c’est l’approche quantitative et heureusement, les valeurs de l’horlogerie sont dans la qualité et la relation long-terme. Au final, on ne peut pas planter du jour au lendemain ceux qui nous ont permis d’être si haut. Et je pense que ce rapprochement entre Baselworld et le SIHH est l’annonce de la prise en compte de ce fonctionnement qui n’allait plus et la première pierre d’un nouvel édifice pour tenter de sauver le Swiss Made, le symbole de la prise de conscience de toutes ces années à ignorer les autres pourvu que mon entreprise grossissait.
Je pense que le cap s’oriente vers la qualité, l’humilité et l’expérience au service du client. Les modèles de business des sociétés tierces support doivent évoluer. Les marques qui se sont embourbées dans des habitudes de supériorité par rapport à leurs partenaires doivent se remettre en question et les accompagner dans ces changements nécessaires à tous.
1. Transformer les détaillants en showrooms, en le nec plus ultra des influenceurs physiques, ces experts qui ont pour mission de conseiller, renseigner, raconter les montres, sans intérêt autre que celui de répondre au mieux aux attentes du client. Les commissionner sur les affaires apportées aux marques plutôt qu’à les faire acheter à tout prix des produits qu’ils forceront à leur tour à leurs clientèle qui achètera à contre coeur. Ne plus remiser les produits, partager les expériences et parcours clients entre la marque et le distributeur pour un service optimal. Ne plus être les clients de marques, mais leurs apporteurs d’affaires.
2. Transformer les media en experts, créateurs de contenus originaux et d’expériences inédites, plutôt que de faire appel à eux comme simples relais de communication d’information poussées par les marques. Les rémunérer sur l’influence qualitative qu’ils ont pour elles. Ne plus être de simples diffuseurs, être en plus créateurs, consultants et conseillers dans les productions de contenus mais aussi de produits des marques.
3. Transformer les Salons Horlogers, actuellement foires d’affaires, en événements experienciels stimulants au service de la cause commune qu’est l’Horlogerie. Débrider les journées rythmées par les 4 rendez-vous d’affaires par heure à hauteur de 10 heures par jour et ce durant 3 jours. Rebelote 3 mois plus tard à quelques kilomètres de là. Rencontrer, conseiller, prendre le temps de se présenter, raconter les histoires des montres, former les futurs meilleurs ambassadeurs des produits (media et détaillants) plutôt que de les saigner et les faire signer. Se fédérer et militer pour une cause commune sur le même terrain, ensemble et dans la même équipe, plutôt de se faire la guerre entre coéquipiers. Ensemble on va plus loin, ensemble on est plus crédibles. Une fois en Suisse, la fois suivante à Dubail, puis à Miami, et enfin à Hong Kong. Pour des audiences différentes, des discours différents, mais d’une seule et même voix, celle de l’Horlogerie Suisse. Le rapprochement du SIHH et de Baselworld est un premier pas que je trouve humble et qui va dans le bon sens. Bien que tardif. Et aux allures très politiciennes.
J’ai eu l’occasion d’entendre l’intervention d’un partenaire à ce propos sur la radio nationale Suisse. Je valide et si vous voulez la faire courte plutôt que de vous taper toute ma rédaction: https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/baselworld-ouvert-a-discuter-avec-le-sihh-de-la-coordination-interview-de-thomas-baillot.