Ah ! Comme j'aime ces communiqués laconiques et ces schémas néo-écoles de commerces pour démontrer que tout va bien dans l'horlogerie. C'est prodigieux comme même au creux de la crise, cette industrie est encore apte à démontrer qu'elle est confiante et que ses chiffres sont bons. D'ailleurs, les courbes attestent de la véracité des analyses et d'histogrammes, en tableaux tout démontre que ça va bien. On ne peut que se réjouir de cette bonne santé affichée qui fleure bon la bonne nouvelle. Et merde ! Oui merde à ces sous-traitants pleurnichards qui inventent une baisse d'activité, ces détaillants toujours à la traine qui affirment ramer avec des collections collées dans leurs vitrines tellement fort qu'elles n'en sortent pas ! Non, tout va pour le mieux et l'industrie horlogère progresse ! Cons se le disent ! Pardon, "Qu'on se le dise" .
Regardons donc ces chiffres de plus près. Comparés aux statistiques les plus mauvaises, il est vrai que ça va mieux et d'ailleurs plus le chiffre de référence est mauvais et mieux ça va. "Nous avons progressé de 40% au Vietnam et de 78% en Indonésie ! Mieux encore, nous sommes à + 250% au Kosovo ! " La progression est exceptionnelle et il faut le dire en pourcentage car pour ce qui est des volumes de ventes, passer de 3 à 5 montres est un tout petit pas de géant alors qu'exprimé sous forme de ratio, c'est un grand pas pour l'humanité.
Evidemment, un CEO pleurnichard qui viendrait chaque matin expliquer son parcours du combattant n'aurait rien de très engageant mais d'un autre coté, le CEO qui doit se farcir une soirée néo-disco avec une bande de Chinois hystérisés par la poudre et l'alcool alors qu'il serait mieux avec ses enfants et sa femme à manger un sorbet au bord du lac Léman, cela relève d'une image au moins aussi pathétique que celle de la litanie de l'échec. C'est qu'il faut avoir le moral pour vendre ces montres ! Expliquer et réexpliquer que c'est de la bonne, de la pure et que ce que l'on fait est vraiment de la montre de qualité tout ça en dansant le nez dans le soutien gorge d'une Chinoise débridée qui remue son séant à tout va. Ecouter cette musique pourrie qui vous arrache les tympans, mouiller la chemise et distiller le Champagne d'appellation d'origine contrôlée qui finit par être le seul truc qui vous rattache à l'Europe.
Sans doute entendrons-nous qu'ils sont bien payés pour faire ça mais reconnaissons que les petits fours à l'heure du film du dimanche soir, le smoking pour passer à table avec 3 journalistes et 5 blogueurs, se farcir le distributeur local qu'on a engueulé la veille à cause de ses mauvais chiffres et avoir à côté de soi sa Directrice de communication pas encore remise du décalage horaire, ça doit finir par fatiguer son homme.
Comme disait un membre du Directoire d'une grande maison "Ils sont bien payés". Oui sans doute mais tout de même ils sont corvéables à merci et même si la plupart ont un caractère de chien et une manière de traiter leurs collaborateurs peu emprunte de compassion, ils restent des pères de famille et qu'on me pardonne mais leur métier est tout de même un peu contraint. Mais, voyons le bon coté des choses un jour Pizza à Rome, le lendemain Sushis à Tokio, le surlendemain Nems à Shenzen chez le sous-traitant caché, puis Foie gras truffé à Paris pour terminer par un Gigot bouilli aux épices à New-York, ils sont à la pointe des cuisines du monde et finalement d'un bout du monde à l'autre avec les mêmes musiques de rap et les mêmes sons wouaf wouaf avec les mêmes boites à rythme et le DJ du coin qui porte la même chemise à fleurs au point que ce n'est même pas certain qu'ils fassent la différence d'un pays à l'autre. Quand ils rentrent en Suisse, ils trouvent qu'on respire bien et tout ça même sans poudre, coqs hardis rentrés au port d'attache retrouvant leurs héroïnes d'épouses qui les supportent et dépensent leur argent ! L'overdose horlogère se respire par les pores de la peau.
Les femmes de CEO méritent elles aussi d'être soutenues et personne n'y pense jamais mais ce sont elles qui les tiennent en équilibre, à bout de bras car le métier de leur conjoint est juste un absorbeur de famille, un réducteur de vie, un destructeur de couples. Difficile d'être un père omniprésent à plusieurs milliers de kilomètres quand il faut absolument vendre de la montre, en parler jusqu'à l'excès et la saturation… On entre en CEO comme on entre en religion et on en sort d'un coup de pieds qui vous renvoie à un projet personnel. Ce n'est plus un métier, c'est un sacrifice plein d'artifice qui du fils fait oublier le père.
Femme de CEO est comme un challenge, il faut autant de patience que de compassion pour tenir. Plus d'une sur deux a divorcé, se sentant lâchée, abandonnée pour des montres qu'elle exècre. Biver a bien raison quand il dit que le soutien de l'épouse est essentiel. Ils n'en parlent jamais mais cela ne veut pas dire que tout va bien …
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).