Le Graal est-il magique ?
Le contexte Des années de quêtes horlogères m'avaient fait caresser l'idée d'avoir un jour un chronomètre de poche. Bien sur ce n'était pas si compliqué et j'en avais déjà plusieurs. Non, la montre désirée était différente et ma recherche portait sur une pièce que l'on puisse qualifier de "meilleure". L'idée était de pouvoir entrer en possession d'un chronomètre de concours, mais pas un simple candidat, un chronomètre gagnant, un premier prix.
Ces chronomètres sont en général dans des coffrets vitrés en bois ou en alu et n'ont pas d'intérêt pour le porté quotidien.
Quelques uns, très peu à en croire les registres, furent après les épreuves, emboités soit pour être offerts aux chronomètriers chargés de les régler, soit pour être exposés , soit pour être confiés à des musées, soit plus rarement encore pour être vendus à des amateurs contemporains des concours qui voyaient dans ces pièces des trésors de savoir faire.
Plus généralement, c'est à dire dans 90% des cas ces chronomètres repartaient dans les soutes des manufactures où l'oubli les attendait.
Autant dire que le désir d'avoir une de ces pièces confine à l'utopie et que la probabilité d'en devenir propriétaire si on est particulier est proche du zéro absolu.
Ces montres sont presque toujours différentes des pièces du commerce. Le marquage est différent, la finition est soit plus brute que les pièces vendues soit plus élaborée. Je n'ai pu dégager de régle de mes rencontres avec des pièces de concours. Pour ne prendre que l'exemple des raquettes, elles sont souvent des plus simples et classiques avec une flèche basique.
Par contre, les balanciers, l'empierrement, les olivages, les polissages des pivots et des roues sont poussés à l'extrème jusqu'à une quasi perfection.
Résigné et convaincu qu'une telle pièce me serait inaccessible, j'avais fini par renoncer tant le questionnement des marchands à ce sujets devait me faire paraître candide pour ne pas dire naïf.
Le hasard, la chance appelons cela le destin a mis sur mon chemin il y a un an, une telle montre ...
C'est une pièce confiée par ZENITH à sa filiale Française dans un premier temps pour être exposée lors d'une exposition universelle et qu'ensuite, la filiale a conservé et vendu ou donné...
Les registres de ZENITH mentionnent 3 sorties de pièces faites dans le même temps sur les 6 admises au concours. L'une fut donnée pour un concours de Tir et l'autre expédiée aux Etats-Unis (vendue ou pour exposition). La mienne est probablement différente au moins par sa raquette semble-t-il unitaire.
Les 3 dernières restantes étaient encore au milieu des années 50 dans les réserves de ZENITH.
La rencontre du troisième typeJe sais peu de chose de l'histoire de cette montre entre 1930 et 2006 mais par reconstitution j'ai pu malgré tout établir un cheminement assez évident. Toujours est-il que fin 2006, la montre sort entre les mains d'un "ancien" sur un vide grenier un dimanche matin. L'homme dit l'avoir de longue date et ignore comment ses parent l'ont eue. Il sait simplement que ça ne vaut pas grand chose...
Son acheteur partage cet avis et la met rapidement en vente. Il la trouve plus grosse que celles qu'il voit d'habitude et se demande si elle différe des autres.
Rien mais alors rien de rien ne laisse à penser que la montre a ce fabuleux passé. la raquette est certes atypique mais mis à part la mention de chronomètre rien ne peut laisser supposer une montre de concours. Le cadran semble de qualité, fait en 3 pièces et les aiguilles type pomme Breguet sont caractéristques du milieu des années 20. Le boitier en argent de 900 millièmes ne permet d'établir aucun lien avec une pièce de concours puisque ces pièces ne sont pas en principe emboitées.
Une fois achetée et entre mes mains, la montre m'interpelle davantage. Le hasard veut que je sois au même moment plongé dans la lecture du livre de Charles Thaumann sur les chronomètriers et les concours de chronomètrie. L'imagination, l'envie et la curiosité aidant, je me mets très vite à considérer cette montre comme totalement atypique. Le remontage anormalement doux, la qualité des dorures et des anglages, les polissages parfaits et les signes d'ouvertures fréquentes pour montrer le mouvement me font dire que cette montre a été probablement souvent examinée sous toutes les coutures. Sa précision au deuxième jour de test de fonctionnement à moins d'une seconde achève de me pousser vers l'idée d'une pièce rare.
Sans le secours de ZENITH, la présomption ne peut aller plus loin.
C'est donc avec beaucoup de conviction mais peu d'indices que je questionne la personne en charge de reconstituer le puzzzle de l'histoire de cette manufacture. Son enquète dans les livres me donne des indications de dates de fabrication et de sortie des ateliers et juste une mention "Chronomètre Spécial". Je vais évidemment phosphorer très longuement sur ce terme de "spécial", puis j'échaffaude une théorie qui me fait penser que ce chronomètre auraient pu figurer dans les montres qui auraient pu participer au concours dans les années 30 ou 50.
A ce moment, je n'imagine même pas que la montre aie pu gagner un concours mais me convainc qu'elle a pu y participer. Dans mon esprit, sa présence entre mes mains rend improbable qu'elle l'ai remporté. Je questionne à nouveau ZENITH et la pauvre archiviste se demande si son interlocuteur n'est pas un doux rêveur. Elle a raison, il l'est...J'en atteste ! Bien que débordée de travail, elle accepte d'aller dans la poussière des archives compléter une recherche improbable mais ma conviction est telle et mon insistance si soutenue qu'une armée douterait de son potentiel.
Il lui faudra quelques heures pour tomber sur "Le document" .... et me donner ma plus grande joie horlogère.
La montre a bien reçu non pas un premier prix de concours mais deux premiers prix . L'un en 1924 dans la catégorie "Chronomètres de Poche" et l'autre en 1925 dans la catégorie "Chronomètres de Bord".
Le chronomètrier en charge chez ZENITH de la préparation des pièces pour le concours en 1924 était Charles Louis Ferdinand Perret. Il sera relayé dès 1925 par un autre chronomètrier : Charles Fleck qui précédera dans ce poste Pierre Gygax.
Le règlement des concours de l'observatoire de Neuchâtel en vigueur depuis 1922 classait les chronomètres d’après la somme de leurs défauts et le chiffre 0 rapprochait ainsi la montre notée de la perfection.
Les montres de poche devaient subir des contrôles dans les 5 positions et à 3 températures durant 45 jours (hors premier jour d’essais) répartis en 10 périodes de 5 fois 4 jours à 18 degrés position verticale pendant en haut, à gauche et à droite, puis position horizontale cadran en haut à 4, 18, 32 et 18 degrés enfin une période dans la position et à la température initiale.
Les quatre principaux critères de sélection pour apprécier la précision des montres présentées reposaient sur les points suivants :
-l’écart moyen de la marche diurne
-l’écart moyen correspondant à un changement de position (sauf pour les chronomètres de marine),
-la compensation au regard du coefficient thermique (variation de la marche correspondant à une augmentation d’un degré de température), l’erreur résiduelle (soustraction aux résultats de la marche dans l’étuve et dans la glacière de ceux relevés à la température ambiante).
-la reprise de marche (différence entre le premier et le dernier relevé de la marche d’une pièce dans la même position et à une température semblable.) Tous ces résultats étaient pondérés par des coefficients avant classement définitif.
La pièce était donc bien exceptionnelle et mes doutes quant à son passé fondés par une juste présomption.
J'ai d'abord parlé de Graal ... cette pièce était plus qu'un désir, une sorte d'objectif ultime qui maintient l'envie au niveau le plus haut et justifie la recherche, la quête permanente... Faute de graal à rechercher, qu'est-ce qui peut pousser plus loin l'envie de rechercher d'autres modèles ?
Une pièce aura-t-elle autant d'intéret à mes yeux si elle n'a pas remporté de concours ? Je me suis répondu à ces questions. Il n'y aura pas d'autres Graal, car le destin met rarement deux fois les mêmes chances de son coté avec autant de force. Pourtant, ma quête n'est pas achevée car ni l'histoire des montres, ni leur intérêt ne s'arrête dans le passé et finalement l'envie reste intacte. C'est juste que le plaisir sera moins long et moins intense mais heureusement, il demeure.
Le graal magique J'en suis sur aujourd'hui un graal est unique . Il découle de mon acquisition de celui-ci une série d'évènements qui vont transformer beaucoup de choses dans les mois qui viennent pour beaucoup de monde. Le Graal renfermait une part de magie, il m'a donné une énergie et semble avoir dopé des aspirations au plus profond de moi-même. J'ai pu partager celle-ci et suis convaincu que sans lui je n'aurai pas avancé sur des idées qui me tenaient à coeur. Ce n'est pas la lampe d'Aladin mais le graal, mon Graal est bien plus qu'une montre. Je ne puis encore vous dire comment mais nous serons nombreux à profiter de son énergie.