Le mouvement tout plastique de Tissot
L’autolubrification des mouvements relève d’une quête des manufactures depuis plus d’un siècle. Pour y parvenir, il fallait imaginer un palier en matière synthétique capable de remplacer le rubis. C’est en 1951 qu’Edouard-Louis Tissot qui avait repris la direction de Tissot après la disparition de son cousin, lance cette idée qui mettra 20 ans pour aboutir sous la forme d’une montre dont les pont et trains de rouages seront en matière synthétique.
Edouard-Louis Tissot qui déclarait « Sans innovation, pas de survie », fit de cet objectif un grand projet dont le concept en « tout plastique » allait largement dépasser le seul sujet de l’autolubrification. Tandis que le marché horloger se concentre sur les montres à quartz, Tissot développe un projet révolutionnaire que la Swatch reprendra partiellement au début des années 80.
Développée techniquement entre 1964 et 1971, le projet prend la forme d’un calibre de 11 ½ lignes en matière de synthèse présenté à la foire de Bale de 1971. Son nom de baptême est « Astrolon » en évocation à la matière qu’est le Nylon. Le perfectionnement du projet en 1972 lui fera porter plusieurs noms dont Sytal, Idea 2001 et Tissot Research…
Le produit fini coûte peu cher à fabriquer et permet d’envisager des montres en plastique translucide valorisant la micromécanique qu’il renferme et autorisant des couleurs jamais encore osées dans des boitiers de montres bracelets. Totalement moderne et innovante la montre Astrolon est portée par une marque qui y croit et se convainc rapidement de détenir le projet qui va transformer le marché et concurrencer les produits asiatiques qui déferlent sur les marchés. Dès 1952, Tissot crée un département spécifique de recherche dédié aux matières synthétiques.
La montre fait l’objet d’une succession de brevets et dès 1956 un brevet est déposé pour une montre sans huile qui doit par le recours à des matériaux de synthèse s’affranchir des problèmes de lubrification et réduire les prix de revient de manière sensible. En 1964, la manufacture dépose des brevets relatifs à son échappement à ancre puis en 1965 celui d’un palier amortisseur de chocs. Tissot entend par ailleurs conserver l’exclusivité de son invention et ainsi dominer un marché prometteur. Le marché est d’autant plus important que le prix de revient très bas pourrait permettre d’équiper les pays émergents, on parle encore de tiers monde à l’époque. Tissot croit tellement à son invention qu’il est imaginé que grâce au succès attendu de cette nouveauté, la marque pourra financer des ateliers permettant de produire des montres à quartz, marché sur lequel Tissot entend être extrêmement présent.
Si la technologie, en particulier celle liée à la qualité des plastiques restait perfectible, la montre diffusée largement par Tissot rencontra d’abord une certaine indifférence des distributeurs qui voyaient arriver des produits d’Asie, bon marché et très précis à quartz, portés par une large campagne de publicité qui laissait augurer de la fin programmée des montres mécaniques. Ainsi ce sont moins de 15 000 pièces par an qui furent vendues en 1975/76, chiffre infime en comparaison des cent millions de Swatch que Nicolas Hayek livrerait à partir du début des années 80.
Tissot pour fabriquer ses montres à 100% dans ses ateliers, on dirait aujourd’hui « son mouvement de manufacture », investit dans des études poussées sur les polymères et dans des moules spécialement développés.
Tissot se dit prêt à produire sa montre à des millions d’exemplaires. Faite de polycarbonate et de résines acétates polymérisées, les pièces du calibres viennent se greffer sur la platine synthétique grâce à des machines automatisées qui réduisent à minima la main d’œuvre nécessaire à la fabrication des montres. Le quartz en pleine expansion ne permettra pas à la montre en plastique à 99% de percer. En outre, les consommateurs continuent à voir à des coûts comparables des montres en acier à quartz et le fait de voir le mécanisme avec ses roues en plastique ne draine la confiance ni des distributeurs, ni celle des consommateurs. Par ailleurs, les horlogers dénient à cette montre comprise comme jetable toute aptitude à être aussi précise et fiable que les montres classiques. Il est difficile de faire admettre à un réseau de distribution de faire vendre un produit qui consacrera la disparition du métier d’horloger qui porte une part non négligeable de son chiffre d’affaires.
Tissot finira par détruire près de 500 000 pièces faute de trouver acquéreur et parce que le produit finit par laisser une image bas de gamme auprès d’une clientèle qui ne voit pas la richesse technologique qui se dissimule derrière une montre qui est un condensé d’astuces technologique et de recherches scientifiques comme très peu de projets horlogers industriels en renferment.
Evidemment, on peut sans nul doute considérer que la Swatch est l’une des héritières de la montre Tissot et que si les mouvements des Swatch à quartz demeurent très éloignés de ceux de l’Astrolon, le concept de la montre en matière de synthèse translucide est bel et bien né des idées révolutionnaires d’Edouard-Louis Tissot.
Personne n’est vraiment revenu à l’assaut des marchés avec des mouvements mécaniques en plastiques même si des marques comme Seiko ou quelques autres marques Asiatiques ont tenté de mélanger des matériaux de synthèses aux aciers et laitons des mouvements traditionnels. La relance des montres mécaniques au cours des années 90 et leur succès depuis le début des années 2000 laissent imaginer qu’une nouvelle montre à 99% en résine n’est plus pour demain. Par contre, les manufactures ont beaucoup travaillé sur la lubrification des mouvements et ont porté leur attention sur le silicium tout en allégeant les mouvements par le recours à des matériaux légers comme le titane pour la fabrication des platines et des ponts.
La montre au mouvement autolubrifié reste aujourd’hui un objectif des marques et une attente des consommateurs. Il est peu probable que ce concept retrouve une place dans les montres bon marché. Les Astrolon et les Idea Research des années 70 en état de marche sont devenues relativement rares et en trouver une en bon état est devenu une vraie chance pour un amateur qui place les technologies au centre de sa collection. Leur prix varie de 150 à 400 euros selon l’état et parfois plus pour des pièces neuves d’époque.