Bernard Puthoibaurgne, horloger depuis 40 ans vit dans 2 mètres carrés derrière la boutique tenue par sa femme. Gitane maïs coincée à la commissure des lèvres, loupe sur l’œil grâce à un ressort de réveil et la radio calée sur RTL de 7 heures du matin à 21 heures. Bernard sait tout de l’info, son antre est entourée de piles de cartons qui servent de rangement aux pièces détachées qu’il stocke sans relâche. « Pièces réveil Bayard », « Ressorts HP 40 », Carrures de montres Founette » … Bernard sait où pose chaque pièce, chaque axe , chaque aiguille …
-Bonjour monsieur Puthoibaurgne…
-Bonjour mademoiselle Lise, qu’y a-t-il pour votre service
-Et bien voilà, j’ai mon réveil qui ne sonne plus. Je le remonte et le matin, il ne sonne pas… Rien que ce matin, je suis allée au bureau sans avoir le temps de prendre ma douche. J’ai du travailler toute souillée.
-Ah je vois, c’est le têton qui est trop proéminent, il s’accroche sur la lèvre de réception du système et ça bloque la rondelle. Vous voyez ? Approchez mademoiselle Lise. La mamelle qui est dans cette goulotte n’a plus la place pour faire le mouvement de va et vient et le pêne est trop tendu pour pénétrer dans la rondelle sans que le frottement ne la fasse éclater. Ca fait une vibration mais ça ne va pas jusqu’au bout et du coup le petit vibreur n’est pas excité par la langue du dispositif. Tâtez avec votre doigt. Vous sentez la sonnette ?
-Oh oui, je la sens bien mis elle est toute grasse ?
-Oui, elle a été trop lubrifiée, elle rentre en force dans la goulotte mais c’est beaucoup trop serré.
-J’ai de la chance de vous avoir comme horloger.
-Je vais essayer de la prendre par derrière. On craint toujours d’endommager le système mais si c’est fait doucement, il n’y a aucun dégât. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui gène … Je le sens au bout du doigt. Je vais devoir entrer en force.
-Ca va me le défoncer ?
-Non, mademoiselle Lise, même si ça le déforme un peu, ce n’est pas grave, le matériau a une mémoire de forme et il retrouve vite sa forme initiale.
-La graisse ne risque pas de s’écouler sans que je ne puisse la contrôler.
-Non, je vais aller suffisamment en profondeur pour que ça reste bien au fond.
-Je tiens beaucoup à cet objet que ma mère m’a cédé.
-J’ai bien connu votre maman mademoiselle Lise, je lui avais lubrifié la pendule. Le système frottait et j’avais même dû me faire aider par un autre horloger, un polonais qui lui avait chicané le poussoir. Ca y est , je crois que je suis à fond. Il y a une petite chose qui gène … attendez, je vais l’attraper.. . Oh, c’est un noyau d’Olive. Il est tout entier. Je vais pincer le têton et normalement avec un peu de lubrifiant, ça doit repartir. Passez votre main sous la gorge du sonneur. Vous sentez comme c’est doux ?
-Oh oui, c’est tout doux.
-C’est dû au frottement permanent, c’est comme autolubrifié et vous pouvez prendre une loupe, pas une trace d’usure. Tenez, sentez ! Collez votre nez sur le bout ! Vous sentez cette odeur de mousse ?
-Oh oui, c’est impressionnant !
-Le gland du sonneur est comme neuf. Vous le faites marcher tous les jours ?
-Oui, parfois même plusieurs fois . Il m’arrive même de le mettre en répétition .
-C’est important, il faut que ça fonctionne sinon ça finit par s’oxyder et là, on n’arrive plus à les ravoir. Même l’essence échoue. Attendez deux secondes, je remets le doigt du système dans la rainure et vous allez pouvoir l’enfiler dans votre sac. Mettez-le à votre oreille … Vous sentez comme il vibre ?
-Oui, c’est vrai et il est tout chaud.
-C’est toujours comme ça quand je m’occupe de la mécanique. N’hésitez pas à regarder par en dessous lorsqu’il aura sonné, quand le système retombera, il se peut qu’il perde quelques gouttes. N’allez pas tâcher votre drap.
-Oh, il n’y a pas de danger, je vais le mettre dans la cuisine ou sur le lavabo de la salle de bain. C’est là que je le sens le plus à son aise. Je vous dois quelque chose ?
-Non, je vous offre la réparation .
-Merci monsieur Puthoibaurgne !
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