Les montres sont un témoignage fort de l'histoire des hommes. Quand on reprend des pièces anciennes du 18ème siècle ou du début du 19ème, des montres à coq en particulier, il est courant de trouver mal gravée, à l'intérieur du cache poussière, une phrase ou quelques mots " A mon fils X, A mon mari pour X...." Les premières montres à l'heure de la diffusion dans les couches sociales moins favorisées des montres personnelles, étaient des cadeaux intimes, liés à une filiation ou un mariage.
Les montres à cylindres qui vont enchaîner l'histoire de l'horlogerie gagnent en espace inscriptible ... Le fond ( couvercle) est souvent gravé du monogramme du propriétaire avec des lettres noblement gravées. On ne grave plus à la va vite le cache poussièere et la montre peut être cadeau familiale ( communion, mariage, fiançaille) , la lecture des message démontre un élargissement du champ des cadeaux. Ils sont encore rarement "professionnels" et hors du milieu familial. Quand l'espace n'est pas occupé par un message personnel, l'horloger assembleur/finisseur/détaillant mentionne son nom "Dutertre Horloger à Versailles" ...
Le milieu du 19ème siècle fait passer l'horlogerie à la production de masse en grandes séries. La montre change de statut. La société évolue. Elle a besoin de coordonner la vie des gens et la montre à ancre, plus précise, va révolutionner la diffusion au fur et à mesure que la société industrielle va avoir besoin de faire fonctionner toute la population de manière synchronisée. La montre devient cadeau évènementiel.... Il y a toujours bien entendu le contexte familial mais à celui-ci s'ajoute le contexte professionnel "Pour les 25 ans de services de monsieur Pignon notre bon chef"
La grande guerre va bousculer les montres en les faisant passer de la poche au poignet. Les montres de poche témoignent de la détresse affective dans laquelle sont plongés les combattants autant que leurs familles. "A mon fils bien aimé... A notre frère..." la montre devient l'emblématique porte bonheur d'un contexte difficile. Les montres de poche sont cette fois gravées de manière courante. Les montres bracelets commencent à l'être plus discrètement mais les hommes peinent à accepter ces montres "trop féminines".
L'entre deux guerre voit les montres gravées de tout et de rien. On félicite pour un mariage, on transmet à la génération future, convaincu que les montres resteront au poignet des décennies. On s'immortalise, croit-on, en faisant graver les montres. Les marques gravent aussi les fonds et on voit apparaitre dans les années 50, des dessins, des médaillons qui ne laissent plus de place à la gravure.
Les fonds pleins deviennent des nids à références, à icones des marques et la montre se grave moins. La fin des années 80 va mettre presque définitivement fin à la pratique quand les fonds deviennent transparents. Il faudra alors attendre les années 2000 pour que les calibres plus étroits que les montres laissent en périphérie des fonds un espace suffisant pour graver un message ... "Série limitée 214/500 manufacturé par .... " La gravure des montres sert comme élément valorisant du produit et l'intimité, la personnalisation ont moins de place . Il faut se reporter vers des marques qui n'ont pas cédé à ces modes pour conserver ce coté personnel des montres vintages. Les montres nous parlent mais on ne parle plus avec nos montres .
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).