Bonsoir à tous,
Ayant un petit moment devant moi, j'ai décidé de faire de meilleures photos de ma Patek grâce aux deux-trois astuces que m'a donné xzen lors de la dernière rencontre parisienne et que je remercie encore. J'en ai également profité pour jeter un oeil à la revue que j'avais faite il y a un an et demi et, aillant décelé des erreurs dans celle-ci, j'ai décidé d'en faire une nouvelle afin d'apporter quelques compléments que m'ont apporté la restauration de ma montre, riche d'enseignements, la découverte des bases de données des maisons de ventes aux enchères qui m'ont fourni des informations fort utiles et ma documentation personnelle sur l'histoire de la marque. Je vous propose donc une revue en trois parties: tout d'abord, l'émergence de l'Art Déco aboutissant au changement de style de la montre au début du XXème siècle, puis le lien historique qui unit Patek Philippe et la montre de forme pour enfin se focaliser sur ma propre
Gondolo.
A)
De l'émergence de l'Art Déco au renouveau de la montre Aux yeux des amateurs d'art, l'intervalle 1920-1940 soulève un intérêt particulier. C'est en effet au cours de cette période qu'a été lancé un nouveau courant baptisé "Art-Déco", du nom de l'Exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes tenue à Paris en 1925. A partir de cet événement majeur, les codes esthétiques des objets allaient évoluer vers davantage de modernité et d'originalité, les artistes voulant rompre avec le traditionalisme du passé. Le style Art déco allait ainsi tourner le dos à des mouvements tels que le naturalisme et sa lourdeur excessive pour se concentrer sur la pureté et la géométrie des lignes, l'originalité des formes et la créativité des ensembles, tout en préservant une certaine simplicité. Ce courant toucha une grande partie du monde, de la France à la Belgique en passant par les pays anglo-saxons et l'Asie. Tous les domaines artistiques furent concernés, de la mode au mobilier, de l'architecture aux affiches en passant bien sûr par les montres. Cette période marquait en effet le passage historique des montres de poche aux montres-bracelets ainsi qu'un désir de renouveau, d'originalité et d'élégance de la part des clients. C'est ainsi que la société, voulant se démarquer de la rondeur des montres de poches, s'est mise à privilégier la montre de forme (carrée, rectangulaire, tonneau, coussin et autres). Ce choix allait considérablement influencer l'esthétique horlogère de l'époque. Ci-dessous, quelques interprétations diverses de l'Art-Déco:
- Une affiche d'Adolphe Cassandre pour le journal l'Intransigeant
Le fameux Chrysler Building de New York que l'on ne présente plus
-Une chaise "cobra" sculptée par Carlo Bugatti, frère du mythique Ettore
-Une broche signée Cartier
B)
Le lien qui unit Patek Philippe et l'Art déco: la création de la collection GondoloPar son désir d'être à la pointe de l'innovation, l'illustre manufacture genevoise a commencé à travailler la montre de forme quelques années avant l'exposition de Paris. De 1902 à 1927, l'horloger- joaillier brésilien
Gondolo & Labouriau, basé à Rio de Janeiro, s'est mis à commander à Patek des montres de poche et des montres-bracelets qui allaient devenir les célèbres Chronometro
Gondolo. Ci-dessous, trois exemples de Chronometro
Gondolo de poignet dont la fameuse version tonneau rééditée aujourd'hui:
Patek, par ces exemples, voulait que ses montres deviennent non plus seulement séduisantes mais stylistiquement innovantes tout préservant le classicisme et l'élégance de ses productions. Aidée par divers calibres dont le plus célèbre reste le 9-90 de forme, la marque a ainsi développé sa propre vision de la montre de forme des années 30 à 1993 et a exploré de nombreux variations toujours avec la même créativité et le même jeu dans les formes, de l'extrême simplicité d'une 3430 à certaines curiosités rarissimes comme les fameuses Gilbert Albert. Certaines créations sont entrées dans l'histoire de Patek Philippe qui n'hésite pas à les reprendre, comme pour la 2554 "Manta" dont le boîtier a inspiré la 5100 Ten Days.
Les Gilbert Albert réunies
La 3430 que je citais et que FGB nous a présenté
Crédit: FGB
Les boîtiers "Manta" des 2554 et 5100
D'autres exemples motorisés par le 9-90
Une 2531 mal shootée dans la vitrine de Romain Réa
La 2479 que j'espère récupérer un jour et qui a lancé ma passion pour les Patek de forme
La 1593 dite "Tegola"
La 5105
En 1993, l'appellation
Gondolo fut officialisée pour désigner la collection courante de montres de formes réinterprétant l'esprit Art Déco de l'époque. Cependant, suite à l'arrêt du 9-90 en 1967 et si l'on excepte la production récente et éphémère de la 5105 pour laquelle des 9-90 furent retrouvés par hasard, la maison était à court de calibres de forme pour ses montres rectangulaires simples. Si les
Gondolo récentes restaient animées par le 215 PS, le manque d'un calibre de forme fut corrigé récemment avec l'introduction du 25-21 REC, extension de ce même 215 PS, que l'on retrouve dans la 5124 et la 5098, toujours en production. Une nouvelle page est donc en cours d'écriture pour cette collection simple, élaborée autour de plusieurs modèles: la 5098, hommage aux premiers Chronometro
Gondolo, la 5124 et la 5489, montre asymétrique et petit clin d'oeil aux Gilbert Albert d'antan. Ci-dessous, quelques exemples de
Gondolo contemporaines:
La 5109
La 5111
La 5124
La 5098
La 5489
C)
Ma Gondolo ref.2488J, une interprétation parmi tant d'autres de la montre de forme On termine donc avec la re-présentation de ma propre
Gondolo, la référence 2488J. Comme vous le savez, je l'ai acquise après une longue chasse voici un an et demi pour fêter une occasion. Malheureusement, la belle retardait de 30 secondes par jour et je me suis décidé à l'envoyer pour une restauration qui a duré trois mois et demi, ce qui reste malgré tout raisonnable vu que certaines montres restent plus de deux ans à l'atelier des "Historiques". Je remercie par ailleurs Philippe Lepage pour le suivi exceptionnel de ma montre , sa gentillesse pour répondre à mes questions et son geste commercial de m'offrir l'extrait des Archives. La restauration a permis de la remettre dans un état de sortie d'usine. J'ai eu droit à un changement de cadran, un plexi magnifique, de nouveaux index, un remplacement de certains composants du mouvement qui n'étaient pas d'origine, de nouvelles aiguilles, une lubrification, un réglage maison, un remontage, un emboîtage et un contrôle final selon les standards du Poinçon de Genève que ma montre porte. Depuis, je n'ai absolument rien à redire, elle tourne à la perfection et ne dérive pas à condition qu'elle passe la nuit sur la couronne. Cette référence a été produite de 1951 à 1960 dans trois métaux: l'or jaune, l'or rose et l'or blanc, cette dernière version ayant la particularité d'avoir des index en diamant.
Quelques rares versions à cadran noir ont également été mises sur le marché, comme celle-ci:
Elle est animée par le très joli petit calibre 10-200 dont voici un aperçu, ne voulant pas ouvrir la mienne:
C'est un mouvement de 10 lignes, comportant 18 rubis, des Côtes de Genève, un réglage par col de cygne ainsi que le fameux Poinçon de Genève, le tout pour garantir une réserve de marche d'environ 48 heures (je n'ai pas le chiffre exact).
Ma montre date de 1951, c'est donc l'une des premières. Elle a été vendue en 1952. Elle mesure 28x35 mm pour 8mm d'épaisseur. C'est assez petit aujourd'hui mais cela en fait une montre de dandy et contribue à son élégance. Elle est ainsi en rapport avec son temps, où les montres luxueuses étaient en or et de petit diamètre. Néanmoins, l'or jaune poli de son boîtier et son plexi travaillé la rendent très brillante, ce qui fait qu'elle ne passe pas aussi inaperçue que ses dimensions le laisseraient entendre. Ce fameux boîtier est dans les canons de l'Art Déco par sa finesse, ses formes à quatre arêtes biseautées et son caractère très épuré. Il me rappelle un peu celui de la Cioccolatone/Toledo de Vacheron Constantin en un peu moins typé. Le verre plexiglas neuf lui donne un petit cachet supplémentaire. Selon les angles où on regarde ma montre, le verre produit des effets déformants sur le cadran. En vrai, c'est assez marrant ! Les index bâtons sont appliqués, sont doubles à midi et facettés à midi, trois heures et neuf heures. La petite seconde à six heures garantit un bel équilibre du cadran, qui joue dans les registres de l'épure et de la simplicité. La lisibilité est donc très bonne. La couronne est non-gravée et Philippe m'a dit que la croix de Calatrava avait pu disparaître à la suite de plusieurs polissages. Elle n'a pas été remplacée. La montre m'était revenue sur un bracelet de la marque mais un soir après, une couture avait lâché sans que je ne fasse rien. Je l'ai donc remise sur son Atanoff qui reste malgré tout de bonne facture et assez solide. Je lui ai par ailleurs offert une boucle Calatrava que je préférais aux boucles Historiques qui manquaient selon moi d'originalité. Néanmoins, on retrouve cette boucle Calatrava sur les
Gondolo contemporaines, comme quoi ! Je crois en avoir dit assez sur ma montre et fais place aux photos:
Conclusion: j'ai pris du plaisir à faire cette revue. Non pas pour faire de la publicité pour ma montre mais bien pour attirer le regard d'autres passionnés sur un ensemble de montres exceptionnelles et pourtant méconnues, voire oubliées. Si peu de sujets en parlent ! Elles ont pourtant toute leur place dans la collection actuelle Patek Philippe et témoignent d'une créativité hors-normes dans les cornes, les profils, les boîtes... C'est fantastique et bien plus jouissif de mon point de vue que pour une Calatrava ou une Nautilus dont les styles sont superbes mais figés, ou n'évoluant que par petites touches ! Et encore, mentionner toutes ces références non-rondes reviendrait à citer le Bottin ! Alors que tant d'entre elles valent le détour... Hormis la Tank, la Monaco (typée années 70, cela dit) ou la Reverso, ces montres originales sont trop peu présentes. J'espère ainsi que vous aurez pris du plaisir à lire cette revue et je serai fier si je parviens à déclencher des envies pour ces formidables oubliées.
Cordialement,
Breit'