L'heure exacte, du cadran solaire à l'horloge atomique !

"Rien ne sert d'avoir une montre précise qu'on n'a pas mise à l'heure" (proverbe suisse).

Sur la page "La conquête de l'heure juste" du site HourConquest, Zen nous raconte longuement l'histoire des montres, mais sans répondre à toutes les interrogations qu'on peut se poser à ce sujet et en particulier quand, comment et pourquoi on est passé de l'heure solaire au Temps Universel Compensé.
N'ayant trouvé nulle part une réponse complète à ces questions, j'ai entrepris de réunir ici pour les curieux, tels les pièces d'un puzzle, les éléments épars que j'ai pu glaner sur la toile et en dehors, afin de retracer l'histoire de ce que j'appelle "l'heure exacte", c'est à dire l'heure indiquée par une horloge de référence, qu'elle soit cadran solaire, horloge de gare ou atomique.

L'heure solaire

Pour des raisons évidentes, c'est le jour solaire, et en particulier le passage du soleil au méridien à midi "précises", qui a servi de référence, pendant des millénaires, pour toutes les mesures de temps.
Le jour solaire fut divisé par les Égyptiens en 12 heures de nuit et 12 heures de jour. En Europe occidentale, les heures diurnes d'été étaient alors 2 fois plus longues que celles d'hiver, mais c'est seulement à la fin du Moyen Âge que sera adoptée la division en 24 heures égales. C'est une première révolution, qui fait désormais se lever et se coucher le soleil à des heures chaque jour différentes !
Cette horloge universelle a le grand mérite d'être disponible en tout lieu, mais le cadran solaire ayant ses limites, il a fallu inventer des mécanismes capables de diviser le jour en heures, minutes, secondes et d'indiquer l'heure même en absence de soleil.
La mesure du temps repose sur un postulat : il existe des phénomènes physiques répétitifs dont la durée est constante et qui peuvent ainsi servir à mesurer le temps, simplement en les comptant. Le dispositif d'échappement puis le pendule de Galilée et le balancier spiral de Huygens permettent de fabriquer des horloges et des montres de plus en plus stables, à tel point que la mesure continue du temps amène à conclure que le sacro-saint jour solaire a en fait une durée variable.

Le temps solaire moyen

Si l'heure "solaire vraie" convient malgré tout parfaitement aux activités d'une société essentiellement rurale, surtout rythmées par les angélus du matin du midi et du soir, ce n'est guère le cas pour les astronomes et les marins, qui ont besoin d'une valeur "mesurable".
Pour les astronomes, la rotation des étoiles dans le ciel se fait de manière uniforme, en parfait accord avec leurs horloges, qu'elle permet de vérifier avec précision.
Ils en déduisent un temps solaire moyen sur lequel l'heure solaire vraie est toujours un peu en avance ou en retard, la différence pouvant atteindre 1/4 d'heure. Ce jour solaire moyen vaut, par définition, 24 heures alors que le jour stellaire (le tour complet d'une étoile dans le ciel) dure 23 h 56 mn 04 s.
Pour les marins, qui parcourent maintenant les océans en tous sens, il importe de se situer en longitude par rapport à une référence terrestre connue (contrairement à la latitude définie entre équateur et pôle, la longitude n'a aucun repère préétabli), et cette longitude résulte nécessairement d'un calcul, dont le temps est une variable.
L'heure solaire vraie étant trop imprécise pour être utile, c'est le temps solaire moyen de l'observatoire de Paris (ou de Greenwich ou d'ailleurs) qu'ils emportent avec eux, précieusement "enfermé" dans leur chronomètre de marine !
En 1816, le Préfet de la Seine décide d'épargner désormais aux horloges publiques les incessants tripotages dont elles font l'objet pour ne pas trop s'éloigner de l'heure solaire et adopte de ce fait le "temps moyen" de Paris (méridien de l'Observatoire) qui divise l'année en 365,25 jours de durées égales. Cependant, "Craignant que ce changement n'amenât un mouvement insurrectionnel dans la population ouvrière ; que celle-ci ne refusât d'accepter un midi qui, par une contradiction dans les termes, ne correspondait pas au milieu du jour, un midi qui partagerait en deux portions inégales le temps compris entre le lever et le coucher du soleil", il demande un rapport au Bureau des Longitudes, mais "ces sinistres appréhensions ne se réalisèrent point : le changement passa inaperçu" (Arago).
J'ignore ce qu'il en fut ailleurs, mais les horloges et les montres devenant de plus en plus nombreuses et précises, on imagine mal que leurs propriétaires, conseillés par leurs horlogers, aient eu des difficultés pour adopter, à leur tour, le temps moyen de leur lieu de résidence.

L'heure du train

L'heure solaire, vraie ou moyenne, a une autre particularité qui va lui être fatale au cours des décennies suivantes : chaque ville a en effet "son" heure. Ainsi celle de Saint-Brieuc (par exemple) avançe-t-elle de 7 minutes sur celle de Brest et retarde de 21 sur celle de Paris, elle-même en retard de 22 minutes sur celle de Strasbourg. Dans un monde où l'on voyage encore à pied ou en diligence, chacun peut ainsi « voir midi à sa porte » sans grand inconvénient, mais le chemin de fer naissant, lui, ne peut s'en accommoder. Pour les compagnies de chemin de fer, la réponse est simple : une seule et unique heure pour tout le réseau, celle du méridien de Paris. Ce qui fait que l'arrivée de la ligne de chemin de fer dans une ville s'accompagne fatalement de celle de l'heure de Paris, qui s'affiche désormais au fronton de chaque gare, comme le mentionne l'indicateur des Chemins de Fer de l'Ouest de 1868 : "Horloges : les horloges de toutes les gares sont réglées sur l'heure de Paris".
Comme d'autres horloges dans certaines villes, celle de la cathédrale de Saint-Brieuc est alors dotée d'une seconde aiguille des minutes, peinte en rouge et en avance de 20 minutes 23 secondes sur l'autre, pour indiquer, comme celle du fronton de la gare, « l'heure du train ». En réalité, il s'agit d'une heure fictive destinée à donner un petit sursis aux retardataires, car la véritable heure du chemin de fer, celle qui règle la marche des trains, s'affiche sur les horloges situées à l'intérieur des gares et sur les chronomètres des mécaniciens et celle-là retarde de 5 minutes sur la précédente. Les horaires concernant les voyages internationaux en font d'ailleurs état en ces termes : « En France, la marche des trains est réglée sur l'heure du méridien de Paris retardée de 5 minutes », que certains appellent "l'heure de Rouen" !
En 1883 et 1884, des congrès internationaux de savants proposent, pour répondre notamment aux besoins des chemins de fer transcontinentaux, d'uniformiser l'heure dans le monde entier en divisant le globe en 24 fuseaux horaires, le premier étant centré sur le méridien de Greenwich. Le représentant français, qui souhaite que ce méridien d'origine soit situé en dehors de tout pays, et surtout pas en Angleterre, tente de s'y opposer, en vain. Cette proposition, qui n'engage pas les États, est appliquée au fur et à mesure qu'ils se décident à l'adopter. C'est chose faite dès 1887 en Amérique du Nord, mais alors que l'Angleterre vit déjà à l'heure de Londres puis Greenwich depuis 1840, les pays d'Europe se montrent moins pressés. En 1890, pourtant, une menace vient de Belgique, où les Chemins de Fer Belges vont, dit-on, adopter l'heure des trains anglais, ce qui est bien un comble si l'on songe que ces Anglais sont justement les seuls à n'avoir (encore) aucune relation ferroviaire avec quiconque ! II devient donc urgent de mettre toutes les horloges publiques de France et d'Algérie à la même heure, mais une heure bien française, celle de Paris. C'est chose faite le 15 mars 1891. L'aiguille rouge des horloges de la cathédrale n'a donc plus de raison d'être, mais cela n'a pas suffi, car la même année, c'est l'Allemagne qui se met à son tour à l'heure anglaise.

L'heure de Greenwich

En 1897, un député clairvoyant (ou facétieux ?), dépose une proposition de loi stipulant que l'heure légale en France est retardée de 9 minutes 21 secondes. Cela correspond, bien sûr, aux 2° 20' qui séparent les méridiens de Paris et de Greenwich, mais il ne faut surtout pas le dire ! Adoptée un peu à la sauvette en 1898 par les députés, elle est vaillamment repoussée par le Sénat qui, lui, veille ! Et ce n'est qu'en 1911 que la question revient à l'ordre du jour, toujours pour des problèmes d'horaires de chemin de fer avec les voisins européens, mais cette fois avec succès, du moins pour ses partisans. Un sénateur propose pourtant que cette heure étrangère, s'il faut vraiment l'accepter, soit réservée aux trains mais que la vie courante reste basée sur l'heure de Paris, à quoi il est objecté par le ministre que le retard systématique des trains de 5 minutes, évoqué plus haut, passerait alors à 9 ! La loi est finalement adoptée par les sénateurs après un interminable débat, 13 ans seulement après leurs collègues députés, et dans le même Journal Officiel du 10 mars 1911, la Compagnie du Réseau d'État informe le public que le décalage de 5 minutes est définitivement supprimé et qu'ainsi dans la nuit du 10 au 11 mars à minuit, les horloges du fronton des gares seront retardées de 9 minutes tandis que celles de l'intérieur le seront de 4.
Dernière péripétie attribuée au chemin de fer, le décompte des heures de 0 à 23, destiné à faciliter la lecture des horaires, est institué le ler juin 1912. Elles étaient comptées auparavant de midi à 11 h 59 du soir et de minuit à 11 h 59 du matin ; mais parfois de 6 heures à 5 heures 59 du matin ou du soir.

L'horloge parlante

A cette époque-là encore, la seule façon de mettre sa montre ou sa pendule à l'heure est de se fier à une autre montre ou pendule, supposée être à l'heure. Le train est alors le moyen le plus sûr pour propager l'heure exacte partout en France, grâce aux chronomètres des mécaniciens qui la transportent de gare en gare, gares dont les horloges de fronton servent de référence locale. Par la suite, le téléphone permet à l'Administration des PTT de jouer aussi ce rôle. Mais c'est en 1933 que l'horloge parlante, diffusée par téléphone et par les stations de radio, détrône à jamais le chemin de fer dans ce domaine, en permettant désormais à chacun, ou presque, de comparer sa montre ou sa pendule à l'horloge de l'Observatoire de Paris elle-même, sans autre intermédiaire.

L'heure atomique

Durant 3 siècles, des mesures de plus en plus précises effectuées dans les observatoires, où des horloges à pendule bimétallique sont installées dans les caves à l'abri de toute perturbation extérieure, permettent d'établir que la rotation de la Terre sur elle-même ralentit. La réflexion que Newton avait faite dans ses Principes en 1686 : "il se peut qu'il n'existe aucun mouvement uniforme par lequel le temps puisse être mesuré avec précision" prend alors tout son sens.
La seconde, d'abord définie comme une fraction (1⁄86400) du jour solaire moyen devient, en 1956, une fraction (1⁄31 556 925,9747) de l’année tropique 1900. Ça n'est toutefois que de courte durée puisque la 13e Conférence générale des poids et mesures lui donne, en 1967, une nouvelle référence liée à l'atome de Césium par la physique quantique.
Ce sont donc désormais des horloges atomiques qui égrènent les secondes, surveillant dans les moindres détails les mouvements de la Terre sur elle-même et autour du soleil. De petites irrégularités, dont certaines imprévisibles, remettent en cause la nature "terrestre" de notre heure, obligeant à faire des corrections un peu analogues, même si celles-ci sont infimes, à ce que fut la réforme grégorienne.
C'est ainsi qu'une seconde est parfois ajoutée au Temps Universel Coordonné (d'où son nom UTC) pour que, tout en restant calé sur le Temps Atomique International (TAI), il ne s'éloigne pas de plus d'une seconde du Temps Universel (UT1) qui reste lié à la rotation terrestre.
Les physiciens projettent de substituer au Césium un atome encore plus stable et d'abandonner à cette occasion l'heure UTC, ce qui résoudrait tous les problèmes posés par les systèmes de télécommunications et informatiques qui supportent de moins en moins les variations discontinues qui viennent d'être évoquées.

L'heure d'hiver et l'heure d'été

Juste pour rappeler que, suite à des considérations sur la consommation d'énergie pour l'éclairage du matin et du soir, l'heure d'été fut instituée six mois par an à partir de 1916. La Seconde Guerre Mondiale nous apporta ensuite l'heure allemande, dont on ne conserva, en 1946, que l'heure d'hiver, l'heure d'été ne faisant son retour que trente ans plus tard. Notons que jusque dans les années 60, bien des horloges dans nos campagnes reculées faisaient résonner les douze coups de midi quand les montres des citadins marquaient une heure, « l'ancienne heure », proche de l'heure solaire, étant plus conforme aux activités paysannes. Les affiches annonçant des événements locaux ne manquaient d'ailleurs pas de préciser : nouvelle heure ou heure légale ! C'est sans doute la télévision qui, en entrant dans les foyers même les plus reculés, donna le coup de grâce à cette pratique. Et puis, qui se soucie aujourd'hui, quand les exploitants agricoles s'activent dans leurs champs à la lumière des phares, de connaître la position du soleil à midi par rapport au méridien ?
En dehors, bien sûr, de ceux qui habitent aux abords du Palais Royal !

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