Bonjour à tous,
C’est au Brassus, en 1875, que l’histoire commence. Jules Audemars est alors repasseur et effectue l’assemblage, l’achevage et le réglage des mécanismes, lorsqu’il décide de débuter la fabrication de mouvements compliqués. Les commandes s’accumulent rapidement et son ancien camarade Edward Piguet est appelé en renfort pour une collaboration qui deviendra l’une des plus belles de l’histoire de l’horlogerie.
Source APSix années de collaboration leur permettront de comprendre que les bénéfices de leurs travaux sont réalisés par les sociétés qu’ils fournissent et qui vendent les montres complètes. Les collaborateurs décident donc le 17 décembre 1881 de signer le contrat de Société qui fera d’eux des associés, et se lancent dans « la montre ».
Source APLes années passent et la petite manufacture se développe, devenant avec 10 employés en 1889 le troisième plus grand employeur du canton de Vaud, et présentant sa collection de montres de poche à complications au public de l’Exposition universelle de Paris qui accueillit plus de 32 millions de visiteurs. Ces 6 mois à Paris permettront plus tard de développer un réseau international, et la société s’étendra dans le monde avec des premiers comptoirs de vente à Berlin, New York, Paris et Buenos Aires.
Source APDès 1892, Audemars Piguet innove avec la première montre-bracelet répétition minute, le succès est lancé et les clients s’appelleront bientôt Cartier, Tiffany et Gübelin. La production sera essentiellement axée sur les montres à complication : répétitions minutes, chronographes, tourbillons, ou quantièmes perpétuels, affichant un record de premières mondiales.
Une Première Guerre Mondiale et le décès des deux fondateurs ne suffiront pas à stopper l’ambition et l’audace de la manufacture comptant maintenant 20 employés, et qui sera reprise en 1919 par les fils Paul Louis Audemars et Paul Edward Piguet. En 1921, les ateliers AP donnent naissances à la première montre-bracelet à heures sautantes.
La crise économique de 1929 suivie de la Seconde Guerre Mondiale ternit la croissance de la société, qui s’était déjà lancée dans l’exploration du squelettage des mouvements en proposant en 1934 la première montre de poche squelette, succédant au premier calibre de poche AP le plus plat du monde en 1925 (1.32mm). La maitrise du squelettage et de la finesse des mouvements trouveront rapidement place dans les gènes de la marque, et en 1946 la montre-bracelet la plus plate du monde (1.64mm) sera une nouvelle fois une Audemars Piguet.
Logo 1922 - Source APL’essor de la société sera marqué par le lancement de la Royal Oak en 1972, animée par son mythique calibre 2120, mouvement à rotor central le plus fin du monde et construit en 1967. Alors même qu’Audemars Piguet ne croyait pas au projet de Genta, le succès de la première montre sportive haut de gamme en acier est immédiat et contribuera éternellement à la tradition d’innovation de la marque.
Avec une production annuelle de 5000 montres début 70, le lancement de la RO permettra notamment à Audemars Piguet de multiplier leur volume de production par six pour arriver à un débit de 30 000 montres par an. L’entreprise familiale est aujourd’hui encore indépendante, détenue par la famille de ses fondateur et présidée par Jasmine Audemars.
En juin 2013, le Cercle Horloger Amateur a pénétré pour vous les ateliers de cette marque exceptionnelle.Bienvenue chez Audemars PiguetA quelques centaines de mètres du siège historique, le nouveau bâtiment de la manufacture a été inauguré en 2009 et accueille l’ensemble des étapes de la production.
Le bâtiment est labellisé MINERGIE-ECO® et l’entrée est gardée par une vache locale.
Nous commençons notre visite par l’atelier de guillochage des cadrans, pour découvrir grandeur nature comment est produit un cadran de Royal Oak.
Cette petite salle de 12 machines est le point de départ de la production du cadran que nous connaissons si bien. Ces machines ont toutes été fabriquées entre 1950 et 1960, sur la base d’un modèle de la fin du XIXe siècle, fonctionnant autrefois manuellement. Chaque machine fonctionne aujourd’hui pendant 8h, et fait un cadran par heure.
Une machine fait donc 8 cadrans par jour, 12 machines en fonction : soit 96 cadrans par jour quand tout va bien, ces machines pouvant être capricieuses c’est généralement un peu moins.
Le besoin est de 150 cadrans produits pour arriver à 100 cadrans réussis.
Contrairement à ce que l’on peut penser, ces cadrans ne sont pas en or mais en laiton. Voici un cadran sur son support avant le guillochage.
Pour comprendre ce choix, il faut se placer dans le contexte de la naissance de la Royal Oak. En 1972, le marché italien a demandé à Genta et AP de faire une montre dont le style était sport, en acier, qu’on porte tous les jours, mais surtout haut de gamme.
Mais il faut se souvenir que le haut de gamme avant 1972, c’était 100% des montres en 18 carats, et pour le marché américain on pouvait descendre au 14, mais c’était toujours en or, ou platine et/ou avec des diamants.
C’était donc la première fois qu’on traitait un matériau sans valeur, l’acier. Alors pourquoi mettre un cadran en or ? Aucune logique.
Pour la montre, ils ont donc utilisé de l’acier, ils ont commencé à polir l’intérieur des mailles du bracelet, alterner le poli brossé, la carrure brossée, polie sur les angles, etc. C’est tout le défi de la RO : l’acier n’a pas de valeur, mais le travail et la valeur ajoutée est très importante.
Le même raisonnement sera suivi pour le cadran : le laiton coute trois fois rien, mais la valeur ajoutée est un guillochage que personne n’est capable de fabriquer aujourd’hui.
Le système fonctionne comme un pantographe, c’est-à-dire qu’il transmet le dessin d’une grande surface (le patron) sur une petite surface (le cadran).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a non pas un mais deux patrons : le patron « mère » qui donne le guillochage responsable de la tapisserie, et le petit patron qui donne les rosettes, c’est-à-dire les losanges responsables des reflets qui vont venir du fond du cadran.
Nous voyons ici le premier patron qui ressemble au cadran agrandi, puis le second patron dont l’axe de rotation est perpendiculaire (à celui du premier) et dont nous apercevons la tranche, et enfin le cadran.
Chacune des dents du second patron génère un tout petit losange, à raison de 242 losanges et demi par tour, qui constitueront le fond de la tapisserie. Ensuite, un système de bascule permet de créer les carrés de la tapisserie, en débrayant la partie de guillochage du fond. Ainsi on retrouve un guillochage en deux parties : la tapisserie que l’on connait tous, et le fond permettant les reflets.
Ici au premier plan le cadran qui se dessine, et au second plan le second patron.
Ces reflets n’existant pas en 1972 et aujourd’hui si caractéristiques de la RO, prennent la lumière et donnent tout le volume. On voit bien en photo que ce sont les parties creusées qui renvoient la lumière, les lignes et les colonnes sont plus lumineuses que les carrés, alors qu’elles se trouvent dessous.
Les explications de Marc, un pilier de la manufacture aussi passionnant que passionné. Le CHA n’a jamais été aussi sage.
Malheureusement, il existe toujours une différence entre la théorie et la pratique, et on ne copie pas à l’identique le patron mère, car il y a un biais du burin. Ce biais cause en fait des carrés qui tirent vers une forme de parallélogramme sur les bords du cadran, et des carrés plutôt arrondis vers le centre du cadran.
Observation de ce dévers au microscope électronique.
Dans la conception du cadran, la véritable information à retenir concerne le copeau, et toute la dimension humaine qu’il vient apporter à la production.
Pour le contrôle de la profondeur, la méthode est de prendre le copeau et de le tourner entre son pouce et son index pour en faire une boule. A partir de là et en fonction du copeau, ils jugent au touché si c’est assez ou pas assez profond, toute l’intervention humaine est ici et viendra corriger la machine pour avoir la profondeur véritablement souhaitée (au centième de millimètre).
Quelques copeaux encore chauds:
Notons qu’ici on parle de la profondeur, mais absolument tous les ajustements de la machine sont faits ainsi, notamment l’ajustement de centrage du burin. Par exemple s’il y a un défaut de centrage, le seul moyen est de lire ce défaut une fois le cadran guilloché pour savoir s’il faut alors décaler vers la gauche, en haut, à droite etc.
En 1971, quand Genta se rendit à Genève pour demander au cadranier Roland Tille de faire le cadran de la Royal Oak, ce dernier a proposé 14 modèles, dont l’un très simple ne comportant que des carrés avec simplement des lignes et des colonnes. C’est celui qui a été choisi, et le cadran tapisserie était né.
Ce minimalisme explique l’absence de reflet sur le modèle d’origine, qui diffère aussi de quelques petits détails comme la profondeur des lignes qui était bien plus importante, et les carrés beaucoup plus petits et nombreux.
A l’époque du lancement de la production, la jumbo avait exactement les mêmes machines pour ses cadrans et ne possédait pas de reflet, alors qu’aujourd’hui c’est la première chose recherchée. Il faut donc bien comprendre que dans l’optique de la marque, ce n’est pas la machine qui décide, c’est la personne qui doit décider et obtenir le résultat recherché. La maitrise des machines, même centenaires, est fondamentale pour Audemars Piguet.
Le secret des reflets vient du fond de la tapisserie, composé des minuscules losanges dont nous avons parlé plus haut. Ces losanges ont entre 14 et 22 microns de profondeur.
Sur cette magnifique photo macro de Guy67, nous voyons bien les losanges se dessiner et renvoyer des reflets à l’intérieur des lignes et des colonnes, en particulier sur les bords du cadrans.
Au bout d’une heure le guillochage se termine, et 100% des cadrans sont contrôlés visuellement pour les reflets. Il arrive que lorsque le burin essaie de prendre 20 microns, un bloc de laiton plus important se détache et fausse très légèrement le guillochage d’un losange, cela crée alors un point minime au sein d’une ligne, et c’est la raison pour laquelle le cadran sera jeté.
Selon la couleur désirée, le cadran sera ensuite peint ou galvanisé.
Ce qu’il faut retenir de cet atelier, c’est tout le côté humain de la production d’un cadran. D’abord avec le touché du copeau comme nous l’avons vu, mais nous pouvons prendre un autre exemple concret :
Prenez un cadran terminé, copeau parfait, nombre de lignes parfait, nombre de carrés parfait, chacune des lignes avec sa profondeur, c’est parfait. Maintenant, si on cherche des carrés plus grands, en gardant le même nombre de carrés, c’est impossible car nous allons venir empiéter sur les lignes.
Mais ici on peut, car il y a une dernière subtilité dans la tapisserie de la RO. Non seulement le carré peut être en forme de parallélogramme ou de cercle selon le dévers du burin, mais en plus ce ne sont pas des carrés qui se forment, ce sont des pyramides.
L’astuce est donc que la base de la pyramide (le carré de notre tapisserie) ne change pas, mais si on décide d’augmenter la profondeur de guillochage, le burin rentrera plus profondément pour venir « grandir » la pyramide et creuser sous le carré. Ainsi le carré va être plus grand visuellement, alors que la base aura exactement la même valeur. Pour un carré identique on aura l’impression d’avoir quelque chose de plus grand, mission réussie.
Cet exemple de paramétrage se fait entièrement à la main, sans micromètre, c’est l’homme seul qui juge et décide de ce qu’il souhaite obtenir. L’approche manuelle prend tout son sens. Même si l’on ne fait pas tourner une manivelle à la main et que l’alimentation est aujourd’hui électrique, ici on ne parle pas de CNC, tous les réglages restent faits à la main dans la conception de ce cadran mythique.
Nous quittons finalement cette salle après quasiment une heure d’explications, alors que nous y étions entrés pour un petit quart d’heure. Les questions de nos horlogers ont été aussi nombreuses que précises, et les réponses de Marc très enrichissantes. En route pour la suite.
Nous continuons notre visite pour nous diriger vers le département Complications, traversant une succession de sas de sécurités et de couloirs toujours aussi bien gardés.
Maintenant on ne rigole plus, le costume de cérémonie est de rigueur pour ceux qui veulent continuer l’aventure. Pour les habitués c’est toujours les mêmes gestes. D’abord la blouse,
Ensuite, les surchausses
Mais pour les non habitués l’improvisation ne se fait pas attendre.
Nous entrons enfin dans ce département composé de quatre petits ateliers.
Comme nous l’avons vu dans l’histoire de la manufacture, le squelette est né chez AP et a toujours eu une place particulière, dans le cœur de la marque.
La finition personnalisée des rotors, à la main, est particulière des commandes spéciales, qui restent tout de même assez cadrées, on ne peut pas faire n’importe quoi. Quelques exemples ici :
La squelettisation sur le mécanisme du 3120 est faite à la CNC. Mais pour les finitions, chaque pièce doit être faite individuellement, ce qui représente une série de plusieurs opérations. Un horloger n’est pas responsable de toutes les étapes de la finition d’un mouvement.
Ici nous pouvons découvrir l’anglage manuel des ponts et platines.
Le travail est impressionnant de minutie et de concentration.
La différence entre l’arrivée de la pièce et son départ de l’atelier est saisissante.
Avant :
Après :
Suite à cette étape manuelle d’anglage, le mouvement 3120 va être traité au ruthénium qui permettra un meilleur rendu dans le produit final ainsi qu’une meilleure lisibilité de la montre. Ce traitement permet aussi de mettre en valeur tout le travail de finitions.
Et la platine avec son pont transversal
Le second atelier est celui de l’assemblage et nous continuons avec notre 3120 squeletté. Une nouvelle fois, l’assemblée est à l’écoute pour un petit cours sur le réglage du moment d’inertie du balancier, réglé à la main grâce à une rotation des masselottes opposées deux à deux.
Le mouvement est assemblé, pièce par pièce.
Le montage d’un mouvement 3120 squelette nécessite 8h, pour arriver à ceci
Et l’emboitage nécessite quant à lui 5h supplémentaires
Le produit final peut ensuite partir subir les longs processus de contrôles.
Nous passons au troisième atelier qui regroupe le montage et l’emboitage des mouvements à complications tels que les chronos, les quantièmes perpétuels, ou encore les équations du temps.
Montage d’un chrono
C’est aussi l’occasion pour nous de commencer à palper du lourd…
Equation du temps avec heures de lever et coucher du soleil. Production annuelle de 60 à 70 exemplaires. 18h de montage pour le module d’équation du temps sur le 2120, et 6h d’emboitage. Entièrement à la main.
2120 powered bien sûr, qui sert de base aux complications calendaires AP grâce à sa finesse.
QP Cadran saphir. La production annuelle est d’environ 200 QP par an. La durée de montage du module QP sur le 2120 est de 14h, et l’emboitage de 4h.
Les premiers contrôles débutent directement dans la salle à la fin de l’emboitage.
Petite immortalisation de ce pèlerinage.
Nous entrons enfin dans le dernier atelier, le saint des saints, celui des grandes complications Audemars Piguet.
Chez AP, une grande complication désigne un mouvement contenant les fonctions de chronographe à rattrapante, quantième perpétuel et répétition minute.
Voici la décomposition de cet aboutissement ultime classé par fonctions. Nous reconnaissons une nouvelle fois le calibre 2120 et sa platine évidée pour le barillet flottant.
Ou encore les timbres et les marteaux de la sonnerie.
648 éléments composent la grande complication. L’horloger est le même du début à la fin de la production, et c’est lui qui suivra la montre en SAV s’il est toujours en poste à son retour.
Il faut compter 4 mois à 6 mois pour monter une grande complication traditionnelle, et entre 6 et 7 mois pour monter une squelettisée.
Un horloger va tout gérer de façon autonome, tout le réglage et tous les ajustages. Une fois finis c’est aussi lui qui va faire l’emboitage qui compte une cinquantaine d’éléments supplémentaires (les poussoirs, les joints, le verrou, etc.).
Dans cet atelier les établis sont donc bien chargés et permettent le montage de la montre à 100%.
L’assemblée est médusée.
Le montage du mouvement se fait en 3 phases:
Phase 1 On part des pièces brutes, pour l’ajustement de toutes les assiettes uniquement, qui mène à limer et créer de la poussière, des copeaux. Ensuite c’est démonté et nettoyé, et les pièces nécessaires sont envoyée en décoration. C’est la seule étape qui n’est pas faite sur place car nécessitant l’emploi de machines.
Phase 2 C’est le second montage en blanc pour tout finir et bien poser, en allant jusqu’à un premier emboitage fonctionnel. Ensuite on redémonte tout, on lave tout, et on peut passer à la dernière phase.
Phase 3Ce qui a pris 5 mois se termine par une phase de 2/3 jours pour tout remonter proprement.
Ça tombe bien, la commande spéciale du CHA est prête !
Un maitre horloger produit donc 2 pièces par an. Ils sont 4, ce qui nous donne une production de 8 pièces par an pour la grande complication.
Concernant le SAV, nous avons vu que c’est l’horloger qui reprend sa pièce, en général c’est simplement pour un nettoyage, souvent un polissage et la pièce repart comme neuve. L’horloger a généralement pris un peu de bouteille entre temps, et revoir les pièces qu’il avait sortie quelques années auparavant est alors un vrai plaisir.
Techniquement, s’il y a eu une amélioration sur une quelconque pièce, celle-ci est changée pour actualiser le mouvement (que cela concerne un simple poussoir ou une pièce du mouvement).
Le plaisir du personnel est palpable et l’ambiance de la visite est vraiment plaisante.
Cette fois encore l’heure tourne plus vite que prévu et nous devons rapidement quitter les lieux pour avoir le temps de rejoindre la dernière étape de notre visite. Tout le monde dehors !
Le temps de prendre une dernière photo avec la gardienne des lieux…
Nous arrivons au musée Audemars Piguet.
Ce bâtiment historique est le point de départ de toute l’histoire de la manufacture. C’est dans les combles de ce même bâtiment qu’Audemars et Piguet ont commencé leurs travaux en 1875.
Ici à gauche :
Le bâtiment à droite abrite aujourd’hui le siège social de la manufacture, c’est celui que nous retrouvons sur l’une des premières photos de la revue, celle de groupe du CHA.
Mais le musée AP n’est pas un simple musée d’horlogerie. Il est bien plus que ça, car il contient dans ses combles l’atelier de restauration de la manufacture, comme un point de départ retrouvé plus d’un siècle plus tard.
Découvrir ce lieu historique encore en activité est une chance extraordinaire, et c’est Angelo qui a reçu notre petit groupe de passionnés.
L’objectif de cet atelier est de faire retrouver à chaque pièce le même aspect qu’à l’époque où elle a été produite. Deux maîtres horlogers travaillent à temps plein sur la restauration, et les montres travaillées sont aussi bien des montres de poche que des montres-bracelets. Toutes ont plus de 30 ans et la grande majorité ont des complications.
Les deux établis et la vue de rêve sur la Vallée de Joux et la forêt du Risoux.
Quelques outils d’époques, dont certains encore utilisés.
Le travail de restauration va de la montre ancienne de clients (et donc SAV), à la restauration des montres du musée.
Environ 80% des montres du musée ne sont pas encore restaurées pour l’instant car c’est bien sur le client qui passe avant. Ils sont aussi menés à remettre en état les expositions itinérantes. Il y a aujourd’hui 9 expositions itinérantes Audemars Piguet autour du monde, contenant chacune entre 10 et 15 pièces, qui reviennent parfois dans cet atelier pour cause de mauvaise manipulation, verre cassé, etc.
Voici quelques exemples de montre terminée ou bien en attente d’acceptation de devis de révision.
Et voici maintenant « La Merveilleuse », montre de poche de 1869 dont le cadran n’a pas pu être pris en photo pour des raisons de propriétés, car il a été personnalisé au nom de son propriétaire.
Elle possède 3 aiguilles centrales : seconde morte, chronographe et rattrapante. A 6h nous trouvons une foudroyante. Ajoutez à cela un QP, une grande sonnerie, et un réveil américain, c’est à dire réglable à la minute. Pour rappel, une grande sonnerie sonne les heures et les quarts à chaque quart d’heure passé.
Le devis est de 140h de travail, un petit mois. Mais c’est juste pour un entretien et quelques pivots à redresser, car en 2001 une remise en état complète de cette montre avait été faite, cette fois avec le changement de boite pour du full platine, et le cadran personnalisé.
A cet instant précis, et depuis déjà quelques temps pour certains, nous sommes tous assommés. Même les plus gros trolls du groupe sont terrassés devant la qualité de ces pièces. Les photos ne rendent malheureusement pas aussi bien que la réalité, les sons des sonneries sont merveilleux, et la chaleur envoutante procurée par ces pièces est incroyable. L’expérience est unique.
Mais ce n’est pas fini, car l’atelier restaure aussi des montres qui ne sont pas Audemars Piguet, comme par exemple cette superbe Audemars Frères (qui n’a rien absolument à voir avec AP). Elle possède encore sa boite d’origine, présentoir porte document.
Audemars Piguet veut protéger ce savoir-faire de la région, ce patrimoine horloger cher à la Vallée de Joux, c’est pourquoi toutes les montres de grands horlogers disparus sont possiblement restaurables dans cet atelier. Depuis 1875 que la marque existe, toutes les montres qu’Audemars Piguet a pu produire sont restaurées ici.
Il y a une grande diversité des modèles, des mouvements, des complications. Et toutes ces créations sont refaites à l’identique, traditionnellement, par ces deux horlogers de 15 ans et 34 ans d’expérience chez AP.
Lorsque la montre arrive à l’atelier, un devis est établi : ils démontent complètement la montre et font un devis en nombre d’heure de la restauration, c’est-à-dire de la fabrication des pièces manquantes. Cela peut énormément varier en fonction de l’état, de la complication, etc.
Il faut savoir qu’ils peuvent passer 3 jours rien que pour faire un devis. Le plus grand devis jamais réalisé est de 800h : il manquait le balancier, l’ancre, la roue d’échappement, la boite, le cadran… En clair il restait juste le mouvement, dont une partie rouillée. L’histoire ne dit pas si ce devis a été accepté, le total avoisinant les 100 000€.
Aux côtés de nos deux maitres horlogers, on trouve encore un « archiviste », aujourd’hui sur un ordinateur et qui scanne les documents pour les rendre accessibles à toutes les filiales AP. On retrouve les dates de production, numéro de mouvement, complication, nom des clients ou bien quelques renseignements si le projet a été abandonné. Dans ce cas les pièces sont conservées comme nous le voyons ici.
Les archives physiques accumulées depuis la naissance d’AP existent toujours, même si elles ont failli passer à la trappe à la belle époque des années 80. Ce patrimoine est un véritable trésor, il est d’ailleurs conservé dans un coffre-fort :
Ces maîtres horlogers travaillent aujourd’hui comme ils faisaient à l’époque. Ils prennent la montre et assemblent tous les composants, la démontent pour la décorer. Une fois décoré ils remontent les pièces pour voir si tout fonctionne, ils redémontent, lavent puis remontent.
C’est comme cela que ça fonctionnait à l’époque et c’est toujours pareil aujourd’hui. Les plans sont toujours utilisés pour refaire les pièces anciennes à l’identique.
Par exemple, comment faire un timbre ? Voici le timbre.
Un petit morceau d’acier est coupé, il servira à faire le plot. On prend du fil qu’on arrondit et on coupe pour faire deux anneaux qui sont de la taille du diamètre du mouvement mais qui ne touchent pas la boite. Ces deux fils donneront les tonalités.
Une fois qu’ils sont faits ils sont soudés au laser au plot, on les chasse. On les recuit aussi par chauffage à une température donnée (illustrée ci-dessous par le tableau et les différentes couleurs que prend la pièce chauffée). La couleur que prend le métal indique de manière empirique le niveau de revenu, et à l'époque les horlogers donnaient même des appélations selon la couleur, comme "recuit au gros bleu" ou encore "recuit gorge de pigeon" pour la couleur bleu-violet, mais ca c'est bien avant que l'ingénierie apparaisse et que l'artisanat soit transformé en industrie.
La dureté et l'élasticité du métal conditionnent le son que va faire le timbre lorsqu'il est heurté par le marteau. Un métal trempé sera trop dur et va faire un bruit très aigu et froid, à la différence d'un métal revenu fortement qui sera moins dur et aura un son chaud et plus grave. On fait donc revenir le métal pour obtenir un joli son, puis on ajuste la longueur du timbre pour obtenir la fréquence de vibration et la note désirée.
Avant le montage, on teste quand même la note : ici elle est un peu courte, il va donc falloir l’allonger, il faut accorder les sons en suivant des règles de calculs pour trouver la bonne tonalité et la cohérence des timbres entre eux.
La production d’un timbre nécessite entre 30 et 40h de travail, quasiment une semaine.
Enfin, une fois la restauration achevée, un dossier de la montre est fait pour le client. Ce dossier contient la description et caractéristiques de la montre, des photos de la reconstruction, avant, après, et même pendant la restauration. Un mode d’emploi est aussi intégré, indiquant ce que le client peut faire et surtout ce qu’il ne doit pas faire avec la pièce. Tous les travaux effectués par l’horloger, et les exemples de décoration sont intégrés au document.
On trouve aussi une liste d’événements scientifiques, politiques et sportifs qui sont arrivés sur la planète à la date précise de construction de la montre pour situer l’époque. La manufacture garde une copie de ce document dans ses archives.
Nous quittons l’atelier de restauration remplis d’émotions, pour passer à l’étape finale de cette journée chargée : la visite du musée AP.
Ici, le règlement intérieur de la manufacture en 1918. Plus de 58h de travail par semaine pour les horlogers !
Le premier calibre de poche le plus plat du monde (1,32mm), 1925 !
Publicité mouvement baguette, vers les années 30.
La famille… la RO de poche est une découverte pour moi !
L’origine.
Décomposition grandeur nature de RO…
Et vous, plutôt tourbillon chronographe ou sonnerie ?
Et pour finir, un peu de carbone forgé.
Je tiens particulièrement à remercier Carole Riaute, Michel Golay, notre guide Denis, ainsi que l’ensemble du personnel Audemars Piguet pour leur accueil, leur gentillesse, les explications fournies tout au long de la visite, et surtout l’énergie déployée pour rendre cette visite possible. Cette journée a été une expérience inoubliable pour le Cercle Horloger Amateur. Pour continuer la visite de la manufacture Audemars Piguet et découvrir les départements CNC, contrôle qualité et contrôle d’étanchéité, je vous conseille très vivement
l’excellente revue de la visite AP par Zen en 2009.
Cette visite s’est déroulée dans le cadre d’un séjour (très chargé) du CHA en Suisse dont vous trouverez bientôt le compte-rendu complet dans la rubrique "Fameuses Rencontres". Attention les yeux, car cela continue très fort toujours dans la haute horlogerie, mais aussi avec des indépendants...
Pour les provençaux et amis de passage dans le sud, sachez que vous êtes les bienvenus à nos rendez-vous mensuels, qui se déroulent chaque fin de mois à Marseille. Pour nous rejoindre, contactez Dommars ou moi-même par MP. Vous pouvez aussi rejoindre notre groupe facebook pour suivre les actualités du CHA.
Enfin, il reste encore quelques places pour notre weekend Montres & Plongée 2013 du 14/15 Septembre, où nous accueillerons cette année Blancpain pour fêter les 60 ans de la Fifty Fathoms, c'est l’événement annuel incontournable du CHA, ca se passe à Marseille et c'est à ne pas rater !A+ !