Après avoir abordé les montres classiques à cadran en émail cloisonné (
https://forumamontres.forumactif.com/t155671-montres-patek-philippe-a-cadran-en-email-cloisonne-partie-1#2710901) et avant de découvrir les World Time dotées de tels cadrans, il me semble opportun de développer davantage le sujet des World Time. En effet, ces montres occupent une place particulière dans l’histoire de Patek Philippe et certaines références sont des véritables mythes horlogers. Ce sont justement ces mêmes références qui ont été dotées de cadrans en émail cloisonné.
Aperçu généralLa World Time est une montre équipée d’un mécanisme élaboré par Louis Cottier qui était un horloger genevois indépendant. Ce dernier a collaboré de manière très étroite avec Patek Philippe à qui il a réservé une très grande partie de sa production. Les calibres de base étaient des ébauches fournies par Patek Philippe sur lesquelles Louis Cottier greffait le mécanisme des heures universelles.
Les calibres des Word Time se distinguent par deux caractéristiques propres :
- Un disque synchronisé des 24 heures qui permet d’afficher l’heure dans les différents fuseaux horaires par rapport à une ville de référence ;
- Les fuseaux horaires sont identifiés par des villes ou régions figurant sur une lunette ou un disque périphérique.
Outres sa collaboration avec Patek Philippe, Louis Cottier a également livré des calibres World Time à d’autres marques horlogères : Agassiz (Longines), Rolex et Vacheron Constantin. Dans mes recherches, j’ai également identifié des Cartier et au moins une Hermès de poche équipées de ce mécanisme mais je n’ai pas approfondi mes investigations pour savoir si les calibres avaient été livrés directement par Louis Cottier ou s’ils avaient été fournis par une des manufactures avec lesquelles il collaborait. Il s’agit toutefois d’une production très confidentielle. A titre d’exemple, il n’y a que 12 montres World Time chez Rolex (Source : F. Chicha, The World Time Watch, Vox Magazine, pp 34-39). Pour l’anecdote, on retiendra que la ville de Genève a offert une montre de poche Agassiz World Time à cadran en émail cloisonné au Général de Gaulle (Churchill, Eisenhower et Staline ont également été honorés).
Louis Cottier a aussi développé pour Patek Philippe des montres de type « Travel Time » avec réglage indépendant de la deuxième aiguille des heures ainsi que des montres à double affichage indépendant mais dotées d’un seul calibre.
Crédit photo : Antiquorum
Crédit photo : Patrizzi
Enfin, Louis Cottier est le géniteur d’une montre à affichage linéaire. Cette montre, qui a inspiré la Cobra de Urwerk, est demeurée à l’état de prototype et n’a pas été produite en série. Elle est visible au Musée Patek Philippe.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
Les références « vintage » (1937-1965)Les World Time « vintage » ont été produites de manière continue mais en une relative petite quantité sur une période de quasi trente ans jusqu’à la mort de Louis Cottier. Les références connues sont les suivantes :
515 HU - Il s’agit de la seule montre de forme parmi les World Time.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
542 HU - Avec un diamètre contenu de 28 mm, c’est la plus petite des World Time.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
96 HU - La première « Calatrava » a également eu l’honneur d’exister en World Time. Cette montre n’existe qu’en deux exemplaires. Il s’agit vraisemblablement de prototypes car les cadrans ne sont pas signés. Un premier exemplaire fut proposé à la vente par Christie’s en novembre 2011. A cette date, les spécialistes étaient convaincus qu’il s’agissait d’un modèle unique. Quelques semaines plus tard, et au grand étonnement des experts, Sotheby’s proposait un deuxième exemplaire doté d’un cadran sensiblement différent.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
1415 HU – La World Time « vintage » par excellence, elle se caractérise par des cornes en forme de gouttes. Plusieurs variations de cadran ont été disponibles (argenté, guilloché et émail cloisonné). C’est la « vintage » qui a connu la plus grande production. Certaines sources estiment que la production se situe entre 100 et 150 exemplaires, d’autres sources limitent la production à environ 115 exemplaires.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
1416 HU – Il s’agit de la sœur de la 1415 hormis qu’elle est dotée de cornes droites.
Crédit photo : Huber & Banbery
1415-1 HU – Le seul chronographe à poussoirs rectangles et échelle pulsométrique équipé du mécanisme des heures universelles. Un exemplaire unique fut fabriqué en 1940 pour le Docteur Schmidt. Cette montre fut acquise en 1994 pour la bagatelle de CHF 1.110.500 et est visible au Musée Patek Philippe.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
2523 HU et 2523-1 HU– Certainement la plus belle des « vintage » et la plus désirée de toutes. D’un diamètre appréciable de 35,5 mm pour l’époque, elle a de superbes cornes à facettes et existe avec différents cadrans (argenté, guilloché, émail translucide et émail cloisonné). Sa sœur jumelle, la 2523-1 HU, se distingue par quelques différences très subtiles au niveau des cornes. Au moins deux exemplaires ont été livrés avec des bracelets intégrés.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
Le Musée Patek Philippe propose une vitrine comprenant une impressionnante collection de World Time. Lors de ma dernière visite, j’ai toutefois été étonné de constater que le chronographe 1415-1 HU figurait dans une autre vitrine et n’était pas vraiment mis en valeur.
Les « contemporaines » (depuis 2000)5110 – Cette référence fut produite de 2000 à 2007. Elle est dotée du calibre automatique 240 HU à micro-rotor. Son boîtier avec protège-couronne et ses aiguilles très caractéristiques en font une référence intemporelle. Le cadran est guilloché. Son diamètre de 37 mm pourrait toutefois rebuter les amateurs de « poêles à frire ». Des séries limitées célébrant certaines villes de référence ont été produites.
Crédit photo : Patek Philippe
5130 – Tout en gardant le superbe boîtier de la 5110, son diamètre de 39,5 mm est plus en phase avec les dimensions actuelles. Le centre du cadran s’orne d’un nouveau motif guilloché « soleil ». Ses aiguilles reprennent le code de la plupart des 1415 c.-à-d. des aiguilles ciseaux. Depuis peu, la 5130 est aussi disponible avec un bracelet intégré. Tout comme la 5110, la 5130 connaît également des éditions limitées (Shanghai, La Mecque, Jérusalem, Dubaï, Munich etc.). Ces éditions limitées sont parfois dotées d’un disque central d’une couleur spécifique. L’édition limitée la plus convoitée pour l’instant est « La Mecque » qui est équipée d’un disque guilloché vert intense.
Crédit photo : Patek Philippe
5131 - Les versions de la 5130 à cadran en émail cloisonné en or jaune (5131J) et or gris (5131G) sont apparues respectivement en 2008 et 2009. Elles sont rares et très convoitées par les amateurs.
Crédit photo : Patek Philippe
7130 – Introduite en 2013, c’est la version féminine d’un diamètre plus contenu de 36mm. Le boitier ne comprend pas de protège couronne et la lunette est sertie de 62 diamants.
Crédit photo : Patek Philippe
Le disque des villes et régions de la 5130/5131 a connu une récente évolution. Depuis l’année dernière, La Paz remplace Caracas du fait de l’adoption par le Venezuela d’un fuseau horaire décalé d’une demi-heure. Riyad fait son entrée à la place de Moscou qui, suite à la réorganisation des fuseaux horaires en Russie, recule d’une heure et Dubaï passe ainsi à la trappe.
Le nombre de villes et régions figurant sur la lunette varie selon les références : de 24 pour la 5130 jusqu’à 42 pour la 2523.
Les évolutions techniquesL’invention de Louis Cottier a connu les évolutions suivantes:
- Les premières références (515 HU, 96 HU et 542 HU) ont une lunette des villes fixe. La ville figurant à midi est dès lors la référence unique ;
- Les 1415 HU et 1416 HU comprennent une lunette mobile permettant de choisir la ville de référence ;
- La 2523 HU connaît une évolution majeure avec l’introduction d’une double couronne et le remplacement de la lunette tournante par un disque mobile protégé par le verre du cadran. La couronne à 9 heures sert à mouvoir le disque des villes ;
- Le changement de ville de référence sur les 1415 HU et 2523 HU implique toutefois un réglage de l’heure par rapport à cette nouvelle ville. Cette opération manuelle peut dès lors occasionner une erreur de précision dans la mise à l’heure. Avec l’introduction de la référence 5110, la couronne à 9 heures est remplacée par un bouton poussoir à 10 heures. Le mécanisme comprend une synchronisation entre d’une part, les disques des 24 heures et des villes, et d’autre part, l’aiguille des heures. A chaque pression exercée sur le bouton poussoir, la petite aiguille avance d’une heure alors que les disques des 24 heures et des villes opèrent un saut d’une heure dans le sens opposé. Ce système a été breveté par Patek Philippe en 1999.
Crédit photo : Patek Philippe
La production des World Time « vintage »Les World Time « vintage » ont été produites en très petites quantités de manière quasi continue de 1937 à 1965. Durant cette période, toutes les ébauches étaient finies par Louis Cottier, ce qui explique le faible nombre de montres produites. Il fabriquait également les aiguilles très particulières qui caractérisent les World Time. La production actuelle perpétue cette tradition.
Les World Time « vintage » ont été essentiellement produites en or jaune et en or rose. Il n’existe qu’un seul exemplaire connu en platine. Il s’agit d’une référence 1415 qui détient toujours le record en vente publique pour une montre-bracelet « vintage » avec un prix de CHF 6.603.500, du moins si on considère le CHF comme monnaie de référence pour les comparaisons.
Crédit photo : Negretti & De Vecchi
De même, il n’y aurait qu’une seule World Time « vintage » en or gris : une superbe 2523 dotée d’un cadran en émail cloisonné qui appartient au Musée Patek Philippe.
Crédit photo : Huber & Banbery
Il n’existe pas de modèle World Time en acier comme en atteste l’inventaire très complet des montres en acier établi par John Goldberger.
Essayer de connaître le nombre exact de World Time produites sous l’ère de Louis Cottier est une véritable gageure. Les sources varient. J’ai essayé de synthétiser les différentes informations disponibles à ce sujet dans le tableau ci-dessous :
Je me suis particulièrement intéressé aux chiffres de production des références 2523 et 2523-1. Ni Antiquorum ni Christie’s n’osent avancer des chiffres exacts. Christie’s se base sur les chiffres des montres connues c.-à-d. qui sont passées par les maisons de ventes ou qui sont attestées par des documents non contestables.
Crédit photo : Christie’s
Dans le catalogue de la vente du 14 mai 2012, Christie’s affirme qu’il y aurait quinze références 2523/2523-1 connues à ce jour (12 en or jaune, 2 en or rose et 1 en or blanc). Aurel Bacs et ses collègues sont d’excellents commissaires-priseurs mais il est parfois dans leur intérêt de jouer sur la rareté d’une montre. J’en veux pour preuve un récent fil à ce sujet où une simple consultation de Huber & Banbery permettait de remettre les « pendules à l’heure » (
https://forumamontres.forumactif.com/t146674-la-montre-patek-philippe-de-stephen-s-palmer-la-video) ou encore une récente notice de vente erronée où Christie’s affirme que la 5131G ne figure plus au catalogue (http://www.christies.com/lotfinder/watches/patek-philippe-a-fine-and-very-rare-5690805-details.aspx?from=searchresults&intObjectID=5690805&sid=cb431d4c-9e3b-48f2-8b99-1071dc454247).
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
Je me suis piqué au jeu de reconstituer le puzzle. Je suis parti de la base de données d’Antiquorum qui reprend toutes les ventes de la maison ainsi que les numéros de calibre et de boîtier. J’ai ajouté mes propres sources (livres et articles). J’ai également consulté les catalogues de Christie’s. J’ai introduit toutes ces informations dans un tableau et j’arrive à un résultat plus élevé que celui avancé par Christie’s. Alors que Christie’s avance un chiffre de 15 références, j’obtiens un inventaire de dix-neuf références 2523/2523-1 connues dont dix-huit sont formellement identifiées par leur numéro de calibre. De plus, au moins dix-sept de ces montres sont passées par les salles de vente depuis 1989. Je ne parviens franchement pas à croire que Christie’s ne disposerait pas de ces informations que j’ai pu rassemblées en quelques heures.
La seule référence pour laquelle je ne dispose pas des numéros de calibre et de boîtier présente des caractéristiques uniques identifiables sur base des photos publiées dans le magazine Patek Philippe. Il s’agit d’une montre en or rose avec écran en émail translucide bleu vendue chez Sotheby’s en février 2001. D’après Christie’s, il n’existerait que deux exemplaires d’une telle montre et l’un porte la marque distinctive du détaillant Gobbi sur le cadran (à savoir celle vendue par Christie’s en novembre 2010). La montre vendue par Sotheby’s ne porte pas cette marque, il s’agit donc bien du deuxième exemplaire connu.
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
Crédit photo : Magazine Patek Philippe
On constate que les numéros de calibre sont essentiellement concentrés sur deux séries : 722 7XX et 724 3XX (correspondant vraisemblablement aux 2523 et 2523-1). On est tenté de croire que certains numéros de calibre ne figurant pas sur la liste appartiendraient à des World Time et plus particulièrement les calibres 722 701, 722 703 et 724 310.
Si on compare les numéros de boîtier et de calibre, on remarque qu’il y a deux séquences identiques pour les montres dotées des calibres 722 708 à 733 717 et 724 309 à 724 316. On pourrait en conclure que les calibres 722 711 à 722 714 et 724 312 à 724 315 étaient également des World Time.
Sans certitude, on peut supposer qu’il y aurait onze calibres de World Time supplémentaires : 722 701, 722 703, 722 711, 722 712, 722 713, 722 714, 724 310, 724 312, 724 313, 724 314 et 724 315.
On peut dès lors encore espérer quelques très belles surprises qui feront la joie des collectionneurs.
La production des World Time « vintage » s’arrête en 1965 quelques temps avant la mort de Louis Cottier en septembre 1966.
Il faut attendre l’année 2000 et l’introduction de la référence 5110 pour revoir les World Time dans le catalogue de Patek Philippe.
Je ne vais pas m’attarder sur les 5110 et 5130 car il y a quelques sujets assez sympathiques sur le Forum Haute Horlogerie traitant de celles-ci. Je me contenterai d’affirmer que ce sont des montres superbes et intemporelles. Elle reprennent les codes des 1415 et 2523 avec le guillochage du cadran et les aiguilles distinctives tout en ayant une touche de modernité caractérisée par la forme du boîtier et son protège-couronne. Le calibre extra-plat 240 HU est le mouvement idéal pour les World Time contemporaines.
A mes yeux, la référence 5130 et plus particulièrement sa version en platine est la World Time classique par excellence. Elle conjugue simplicité, élégance et modernité. J’aurai l’occasion de revenir sur cette référence dans le prochain volet du présent article où sa version avec cadran en émail cloisonné sera plus amplement détaillée.