Dans la torpeur estivale, l'actualité de l'horlogerie tourne au ralenti. Les marques sont bien entendu dans la logique d'approche des vacances horlogères mais aussi dans une impasse liée à la crise. Développer les marchés chinois et indiens implique des ressources publicitaires et des coûts de communication dont les chiffres énormes nous échappent. Cela suppose de faire des choix et la presse écrite occidentale va en faire les frais. Cela suppose aussi de trouver des axes de communication cohérents dans une logique mondiale.
Il n'est pas certain que l'évocation de l'histoire de l'aviation aux Indiens leur parle vraiment. Les Chinois s'intéresent énormément à l'histoire et veulent trouver dans l'achat d'une montre une valeur patrimoniale et une garantie de transmissibilité aux générations futures. Ils veulent aussi démontrer l'appartenance à une nouvelle caste sociale chinoise, celle des nantis.
Historiquement, les marques lorsqu'elles se sont implantées au début du 20ème siècle en Chine et en Inde, on fait une communication massive avec à l'époque des distributeurs qui étaient déjà implantés, connaissaient le terrain et avaient eux-mêmes une image qu'ils mettaient au service des marques avec lesquelles ils signaient des contrats de distribution.
Aujourd'hui, la distribution verticale fait que les marques doivent implanter des boutiques, se faire distribuer et assurer une présence de terrain permanente avec de la publicité. Un tirage de journal en France représente 10 000 à 50 000 exemplaires au mieux. Là-bas le tirage est de 200 000 à 800 000 exemplaires. Les journaux sont lus sur 10 à 15 jours ... Les marques suisses ne sont pas à égalité. Celui qui fabrique 1 000 000 montres a plus de moyens que celui qui en fait 30 000. Pourtant, le client attend le même niveau de service et de présence. Il faut donc faire des choix d'aller ici plutôt que là et de bien couvrir les secteurs choisis sous peine d'avoir tout fait pour rien.
Le retour, pardon, les indicateurs sont immédiats. On vend ou on ne vend pas. Ca marche ou ça ne marche pas. Si on a mis en place 10 000 pièces soit 1% de la production si on en fait 10 000 ou 33% de la production si on en fait 30 000, la conséquence économique n'est pas la même et pourtant ces marchés chinois et indiens sont devenus une question de survie.
Moralité, le risque est réparti... On vend ses montres plus cher à tous pour mieux les implanter et plus seulement pour les placer dans une gamme, un niveau de produits, une cible, dit-on chez les experts.
Ce qui ne va pas aujourd'hui, c'est la faible réactivité du marché chinois et la difficulté à parler à cette clientèle volatile, qui passe d'une marque à l'autre et fonde son achat sur sa perception de pérénité. Les marques ont immobilisé des volumes de montres pour ces marchés et ont peu de retour. Les plus grandes marques résistent mieux que les petites. Tout le monde va devoir poser les crayons et s'interroger pour savoir s'il faut vraiment parier sur l'expansion à travers des marchés si difficiles ou s'il ne vaudrait mieux pas accroitre son implantation sur des marchés structurellement déjà développés. La question est stratégique et appelle sans doute des réponses différenciées selon sa taille ...
Autrement dit si je produis 30 000 montres, ai-je les moyens de riquer de perdre mes marchés actuels pour conquérir des marchés où je n'ai pas les moyens de m'implanter durablement ou dois-je y aller quand même à défaut de quoi mon expansion est limitée mais mes bases sont sécurisées. Si je fabrique 1 000 000 de pièces, quelle stratégie mener dans le choix des points de ventes et dans la distribution intégrée.
On ne bricole plus, il va falloir des professionnels qui connaissent le terrain pour répondre à ces questions, la passion de l'horlogerie se voit remplacée par le business et les contraintes commerciales car en plus de cette réflexion sur les implantations, il faut faire des produits qui plaisent et ça aussi, c'est essentiel.
Nous sommes à la croisée des chemins, des marques comme Patek Philippe sont à l'abri car elles n'ont pas besoin de produire plus pour marger, d'autres sont plus en danger car l'augmentation des prix pour répondre aux objectifs mondiaux passe mal chez le client européen qui s'en détourne. Pour les très gros (Tag Heuer, Omega, Rolex) la conquête des Chinois a commencé.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).