L’incroyable défi des chronomètres de Marine Hamilton
Disposer d’une heure précise et fiable est un besoin fondamental à bord d’un navire. Cela permet de calculer sa position et en particulier la longitude. Malgré des appareils radio sophistiqués, cette référence dans les années 1940, est encore sécurisée par un instrument mécanique, le Chronomètre de marine, comme c’est le cas depuis la fin du 18ème siècle. Cet instrument est également un moyen de coordonner les actions militaires grâce à une heure de référence commune sur tout le navire.
Avant la seconde guerre mondiale, aucune firme américaine n’avait jamais produit en série des chronomètres de marine. Les manufactures d’horlogerie d’outre Atlantique concentraient leur production sur les montres avec beaucoup de succès tant par les volumes fabriqués, que la qualité des pièces, reconnues comme très précises et d’une excellente finition.
L’engagement de l’armée américaine dans le conflit mondial crée dès 1939, un besoin conséquent de chronomètres de marine destinés à être embarqués à bord des navires de l’US Navy. Les militaires américains s’étaient jusqu’alors contentés des chronomètres fabriqués en Europe, essentiellement en Suisse, en particulier par Ulysse Nardin qui était reconnu comme détenant une immense expertise dans ce type de pièces. Cette manufacture accumulait d’ailleurs avec un quasi monopole, les premiers prix des concours de chronométrie notamment de l’Observatoire de Neuchâtel dans la catégorie des chronomètres de marine.
A partir du juin 1939 et jusqu’en juin 1940, l’USNO (United States Naval Observatory) qui était aux Etats-Unis l’autorité de référence en matière de chronométrie et d’instruments de navigation, s’adressa par courrier à huit compagnies américaines afin de les inviter à produire des chronomètres de marine pour l’armée. Les firmes horlogères américaines faisaient de la précision leur fer de lance et quasiment chacune disposait de son propre observatoire et d’un centre de recherche très pointu.
La firme
Hamilton, de Lancaster, répondit à l’invitation de l’USNO par courrier le 2 juillet 1940 en sollicitant toutefois, que soit mis à sa disposition un chronomètre de marine du type de celui que l’on souhaitait lui faire fabriquer. Les experts de l’USNO après examen donnèrent un agrément officiel à la manufacture
Hamilton, le 26 février 1941.
Hamilton va alors poursuivre l’objectif de produire un chronomètre de marine dans les mêmes conditions industrielles que ses montres. Pendant plusieurs mois, horlogers, ingénieurs et développeurs de la firme réunis dans la «
Hamilton’s Research and Work laboratories and Product and Equipement Design section », l’équivalent d’un bureau d’études et de développement industriel, travaillent en étudiant plusieurs chronomètres de marine et notamment ceux de l’anglais Thomas Mercer et ceux de la manufacture suisse Ulysse Nardin.
La firme
Hamilton comme à son habitude va tout repenser avec un raisonnement à finalité militaire et industrielle qui induit précision sans faille, fiabilité extrême, solidité et facilité de maintenance. La manufacture va tout fabriquer en interne avec son département mécanique (
Hamilton’s Mecanical Department), y compris les étampes, les outillages et accessoires.
Le 27 février 1942, soit 13 semaines après la bataille de Pearl Harbor et un an après que la firme se soit engagée dans le développement de son propre chronomètre de marine, celle-ci est en mesure de livrer ses 2 premiers prototypes pour examen à l’Observatoire Naval de Washington DC. Les experts de l’USNO sont alors sidérés par le niveau de précision des deux pièces et les innovations technologiques développées.
Hamilton a réussi en outre, à concevoir un mouvement dont la fabrication industrielle et donc en volumes, semble particulièrement aisée ce qui la distingue des fabrications européennes.
La première version de mouvement dite « Model 21 » est conçue sur les bases d’un design qui se rapproche de ce que fabriquent les suisses mais avec des innovations tout à fait propres à
Hamilton. C’est le cas par exemple, de l’échappement à détente redessiné pour pouvoir être fabriqué par des machines et du balancier avec son spiral en Elinvar. Tout est pensé pour faciliter la production en série avec des critères esthétiques finaux du même niveau que les pièces anglaises réputées comme étant les mieux finies.
Hamilton outre son Model 21, livre à partir du 22 juin 1942 le Model 22 dont le calibre va équiper outre des chronomètres de marine, des montres de bord pour les sous-marins et les Torpedo boats.
Ainsi, 18 mois après s’être engagé dans la course pour produire son propre chronomètre de marine, le premier fabriqué industriellement sur le sol américain,
Hamilton est capable de fabriquer 300 pièces par mois puis très vite 400 et enfin 500 pièces chaque mois, soit davantage que toutes les manufactures suisses confondues qui ne peuvent livrer qu’un peu moins de 500 pièces par an. En août 1944, au plus haut de sa production,
Hamilton Watch C° réussit la performance extraordinaire de fabriquer 546 chronomètres de marine, tous d’une précision extrême, équivalente aux meilleures pièces suisses et ceci pour des prix de 390 à 625 dollars, soit moins de la moitié des prix suisses. A la fin de la guerre en 1945,
Hamilton a déjà produit pour ses armées 10 902 chronomètres de marine. Le calibre « Model 22 » est en outre intégré à des montres d’observation qui ressemblent à de très grosses montres de poche et dont la manufacture produira au total 9 780 exemplaires.
Ce mouvement avec ses 57 mm de diamètre, dispose de 21 rubis et d’un réglage dit « 6 adjustments » soit 5 positions + température. Il profite d’une réserve de marche de 56 heures au total même si son cadran n’en affiche que 48. La grande innovation de ce mécanisme est le recours à l’Elivar pour le spiral et la serge du balancier dont les bras sont en Invar. Le choix de ces matériaux très peu sensibles aux écarts de températures est original pour un chronomètre de marine. Il garantit une résistance parfaite à la corrosion et une stabilité des réglages. La très faible déformation potentielle en cas d’écart de température, va « ovaliser » très légèrement le balancier sans faire perdre au mouvement sa stabilité isochronique. Le spiral est préformé et traité thermiquement de telle manière qu’il existe peu de variation de l’un à l’autre ce qui assure une continuité de qualité à la fabrication. On évite ainsi les ajustements manuels nécessaires sur les spiraux en acier, ce qui facilite une production en série à la machine.
Les performances chronométriques du mouvement relèvent de l’excellence et ce de manière totalement standardisée. L’écart annoncé par le fabricant était inférieur à 2 secondes par jour sur chaque pièce livrée. Les résultats étaient souvent très en dessous de ce chiffre puisque l’écart moyen relevé restait inférieur à une seconde quotidienne.
En moins de 18 mois et en partant d’une feuille blanche, la manufacture Hamilton a réussi une performance tout a fait exceptionnelle qui démontre le très haut niveau de ses ingénieurs et horlogers. Un délai si faible entre l’engagement du projet et la mise en fabrication industrielle est extrêmement rare dans l’horlogerie. Outre la Navy américaine, La Royale Navy britannique a reçu quelques livraisons des pièces Hamilton qui ont marqué à la fois l’histoire de l’horlogerie militaire et celle de la fabrication en série de pièces mécaniques. L’outil industriel dont disposait Hamilton Watch C° était sans doute en matière d’horlogerie l’un des plus performants de la seconde guerre mondiale. Hamilton offrit au président Roosevelt l’un de ses chronomètres qui fut conservé à la Maison Blanche où il était maintenu en fonctionnement permanent dans le bureau où le président américain prenait le temps d’écrire. Lorsque dans les années 1970, la firme
Hamilton dut tourner une page de son histoire, elle avait produit pas moins de 23 000 chronomètres « Model 22 » qui restent à ce jour parmi les plus performants jamais fabriqués.