La dynastie des calibres « 50 » d’IWC
Le départ de Suisses pour gagner l’Amérique afin d’y fabriquer des montres ne fut pas exceptionnel au 19ième siècle de la part d’horlogers qui voulaient faire reconnaître leur talent plus vite que ne leur permettait l’industrie horlogère helvétique. Par contre, des horlogers américains qui quittent les Etats-Unis pour venir s’installer en Suisse est un fait beaucoup plus rare sans doute parce que la Suisse ne manquait pas de talents créatifs en ce domaine et que le foisonnement de manufactures horlogères et de marques ouvrait peu de perspectives favorables à la création de firmes nouvelles qui plus est, pilotées par des « étrangers ». Florentine Ariosto Jones – Un pionnier américain à la conquête de la Suisse Le jeune ingénieur et horloger américain Florentine Ariosto Jones n’a que 27 ans lorsqu’il devient directeur adjoint de la firme E. Howard Watch and Clock Co. à Boston dans le Massachusetts. A l’époque, en 1868, Howard est l’une des plus grandes firmes horlogères américaines. Les manufactures d’outre Altlantique rivalisent de créativité et d’inventivité pour atteindre la précision ultime de leurs montres. Howard joue à jeu égal avec l’American Watch C° fondée en 1850 (Waltham) ou encore la NWC National Watch Compagny qui deviendra Elgin.
Alors que les manufactures américaines visent une production exclusive sur le sol américain, c’est vers la Suisse que se tourne le jeune ingénieur pour développer son talent. Florentine Ariosto Jones a remarqué la qualité de la production suisse exportée vers les Etats-Unis et pense que la main d’œuvre helvète meilleur marché que ce qui se pratique en Amérique peut lui apporter une qualité artisanale qu’il veut conjuguer avec une organisation industrielle de la production telle que mise en œuvre sur le territoire Nord-Américain.
Son projet est ambitieux et lorsqu’il le présente à Genève, il se voit opposer une culture du travail qui lui est étrangère. Les Américains travaillent l’horlogerie sur d’immenses sites industriels vers lesquels les ouvriers qui habitent à proximité se déplacent quotidiennement alors qu’en Suisse la tradition du travail à domicile est encore très ancrée dans les modes de fabrication. Les quelques manufactures horlogères suisses existantes peinent à concentrer sur un même lieu toute leur production et Jones va être déçu de cet accueil. Pour autant, il ne renonce nullement à son projet qui vise essentiellement à produire pour le marché américain des montres de « qualité suisse » haut de gamme.
Le rêve de Jones va malgré tout se concrétiser après la rencontre avec un industriel, Heinrich Moser implanté à Schaffhausen et qui est prêt à ses côtés à investir dans la création d’une manufacture moderne à l’image de ce qu’il a déjà vu notamment dans le canton de Neuchâtel. Ainsi va naître la manufacture International Watch Company dont le nom anglophone est avant tout lié au marché auquel les pièces seront destinées. Ce nom de baptême vient en écho à l’American Watch Company qui connaît un énorme succès tant industriel que commercial aux Etats-Unis.
Montres américaines faites en Suisse ou Montres suisses faites par un Américain ? L’architecture des premiers mouvements renferme déjà tout le savoir-faire de Jones et les pièces sont exportées majoritairement dans leurs différentes variantes de qualité vers les Etats-Unis. Peu de pièces sont distribuées en Europe. La production est d’un volume modeste. On estime à environ 26 000 pièces, la fabrication de mouvements dits « Jones » entre 1872 et 1876. En 1880, l’industriel schaffhousois Johannes Rauschenbach-Vogel (1815-1881) fait l’acquisition d’IWC. Son fils Johannes Rauschenbach-Schenk lui succède l’année suivante.
Le calibre IWC 52
Il faut attendre 1888 pour que soit introduit un calibre plus abouti qui va constituer un véritable fer de lance pour la manufacture. Ce mouvement qui évoluera vers le calibre identifié sous la référence 52 à partir de 1893 en version Lépine, puis 53 en version savonnette va connaître une « vie commerciale » qui le portera jusque dans les années 1940 ! Plus de 300 000 pièces seront ainsi fabriquées par IWC, ce qui fera du mouvement 52, le plus répandu dans les montres de poche. D’une redoutable précision, il fut décliné dans des versions de 15 ou 16 rubis essentiellement. Le calibre 52 est à l’origine un mouvement de 19 lignes soit 43,15 mm, haut de 5,2, 6 ou 6,5 mm, doté d’une platine ¾ avec des rubis sur chatons vissés ou plus tardivement des rubis directement enchassés dans les ponts et platines. Sa raquette peut être dotée d’un col de cygne plus ou moins sophistiqués ou se présenter sans col de cygne. Son spiral de type Breguet et son balancier bimétallique à vis de compensation sont des gages de sa précision.
Détails du calibre IWC 52
Le calibre IWC 57
Un an après la présentation de son calibre 52, IWC propose en 1889, un calibre baptisé 56 en version savonnette puis 57 et 58 en versions Lépine à partir de 1890. De même tailles que les 52, ces mouvements sont surnommés les « calibres Américains ». Leur coût de fabrication est inférieur au calibre 52 sans doute grâce à une interchangeabilité des pièces plus poussée. De son aîné, cette nouvelle famille de références de mouvement a conservé le spiral Breguet et les systèmes de réglage. Leur production cessa en 1931 alors que près de 120 000 mouvements 57 furent fabriqués depuis 1890 et un peu plus de 19 000 pièces de la version 58.
C’est avec ces mouvements qu’IWC a abordé le 20ème siècle sous le signe d’une précision chronométrique dans une concurrence acharnée tant avec les autres manufactures suisses que Jones était venu affronter sur leur propre terrain, qu’avec les firmes américaines qui se partageaient le marché d’Amérique du Nord. IWC fut en 1899, l’une des premières manufactures à présenter des montres bracelet. La firme restera une référence en matière d’innovations technologiques.
Bien d’autres familles de mouvements suivront celle des « 50 », toujours avec des qualités fondées sur la précision et la fiabilité mais ces mouvement 52 et 57 sont représentatifs de l’aboutissement du savoir-faire de Florentine Ariosto Jones et du rêve qu’il portait en arrivant d’Amérique de fabriquer en Suisse, des mouvements de très haute qualité, capables de rivaliser avec les meilleurs calibres tant suisses qu’américains.
Le calibre IWC 57 détails
Tant par leur architecture très empreinte des calibres américains du 19ème siècle que par leur finition totalement « suisse » avec des anglages des ponts et platines et une dorure caractéristiques des mouvements helvétiques, ces mouvements IWC allient deux cultures horlogères dans une véritable symbiose qui en fait un cas unique. Il restait à IWC à conquérir des marchés autres que ceux auxquels Jones prédestinait ses montres, ce qui fut fait dès le début du 20ème siècle. On retrouve alors IWC très présent sur les marchés d’Amérique du Sud puis d’Europe. La manufacture est alors réputée dans le monde entier et même si les volumes de sa production sont loin derrière ceux d’autres grandes firmes, la notoriété de la marque n’a rien à envier à ses concurrents.
IWC livrera en héritage aux possesseurs de montres dotées de ces mouvements, des pièces exceptionnelles dont la précision bluffante ne doit pas nous faire oublier qu’elles furent fabriquées à une époque où l’électronique ne pouvait apporter aucune forme d’aide à la fabrication des montres.
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