La prodigieuse histoire de la montre Breguet N°160 dite Marie-Antoinette
Breguet n° B1160 Marie-Antoinette Abraham Louis Breguet (1747-1823) est, en cette fin du 18ème siècle, l'horloger le plus réputé de la place de Paris. Pour le plus grand plaisir des puissants, il exerce ses talents dans les complications horlogères les plus complexes tels le quantième perpétuel ou les répétitions et la possession d'une Breguet est le signe d'un raffinement exceptionnel. Breguet maîtrise également le remontage automatique inventé par Sarton. L'horloger qui débute sa carrière a déjà renouvelé les lignes des montres et surtout allégé les cadrans en les déchargeant des inscriptions inutiles. Il fait souffler un véritable vent de modernité sur l'horlogerie. Le choix de Breguet n'est donc pas le fruit du hasard. C'est en 1783 qu'il reçoit une commande exceptionnelle de la part d'un officier des gardes de la reine. On ignore qui se dissimule derrière ce garde. La raison voudrait que ce fut le roi mais pourquoi tant de discrétion ? Un admirateur généreux serait sans doute plus plausible mais la thèse de l'amant est sans doute celle qui est la plus proche de la vérité historique. Certains ont avancé l'idée d'un complot pour apporter la démonstration de la folie dépensière de la reine mais cette thèse semble peu démontrable.
Toujours est-il que l'horloger est sollicité pour la fabrication spéciale d'une montre disposant de toutes les complications et de tous les perfectionnements connus à l’époque. Cela correspond à la quasi totalité des complications horlogères que nous connaissons toujours aujourd'hui. L'horloger va pouvoir laisser libre cours à son imagination car aucune limite ne lui est imposée. Le budget est libre ainsi que, et c'est plus surprenant, les délais de livraison. Parmi les contraintes fixées et c'est là plutôt une faveur, il lui est demandé de remplacer les métaux non nobles par de l'or ou mieux du platine.
Abraham Louis Breguet s'engage sans tarder dans la conception d'une montre en or avec des composants en métal précieux à remontage automatique. La montre va renfermer pratiquement toutes les complications possibles, à savoir les précisions astronomiques et calendaires : le jour, la date, le mois, le cycle des quatre ans, l’équation du temps… Breguet va réaliser en miniature une véritable horloge astronomique avec en plus les caractéristiques de remontage qu'on ne retrouvera dans les montres bracelets qu'à partir des années 1930.
Le résultat sera la fantastique montre n° 160, la montre dite Marie-Antoinette qui sera terminée en 1827. La reine évidemment ne la verra jamais puisque comme chacun le sait elle fut guillotinée en 1793. La fabrication de la montre subit de longues interruptions notamment pendant la Révolution française. Elle sera achevée sous la direction de Breguet fils. La pièce est dans les livres d'archives de Breguet, qualifiée de « montre d’or » ou de « Perpétuelle répétition-minutes équation du temps perpétuelle secondes d’un coup ». On aurait pu craindre que la Révolution la conduisit à la destruction mais par chance pendant que les ateliers sont saccagés, alors que Breguet s'est réfugié pas très loin du Locle en Suisse, elle est miraculeusement épargnée. Pour autant, la construction de la montre ne progresse plus et il faut attendre 1809 pour que Breguet se consacre à nouveau à mener à bien la réalisation de cette pièce unique. Il progressera sur plusieurs années en particulier de 1812 à 1814. Ces années sont celles de la fin de l'Empire napoléonien et la France est en guerre avec pratiquement tous ses voisins, les grandes maisons d'horlogerie ont vu leurs commandes baisser d'autant qu'il leur est impossible d'exporter. Pour Breguet, démontrer sa maîtrise de la technologie est un atout qui lui évite la stagnation générale.
En 1814, la montre est presque achevée mais elle connaît une nouvelle interruption dans sa fabrication. Elle sera à nouveau entre les mains des horlogers en août 1823. Breguet y travaille personnellement et fait travailler ses horlogers car il tient à terminer son chef-d’oeuvre. Il passera le dernier mois de sa vie à travailler à son achèvement et meurt en septembre. La montre n'est pas terminée et ce n'est que quatre ans plus tard en 1827, qu'elle sera achevée par les horlogers Breguet, sous la direction d’Antoine-Louis Breguet, en 1827.
Breguet n° B1160 Marie-Antoinette La Marie-Antoinette est une montre perpétuelle, à remontage automatique avec masse oscillante en platine dotée des fonctions et complications suivantes :
-Répétition des minutes
-Quantième perpétuel complet indiquant le jour
-La date et le mois
-L'équation du temps
-Réserve de marche
-Thermomètre métallique
-Grande seconde indépendante à volonté (qui fait de la montre le premier chronographe)
-Petite seconde trotteuse
-Echappement à ancre
-Spiral en or
-Double pare-chute (antichoc).
La boite de la montre est en or, son cadran en émail blanc ainsi qu'un cadran secondaire en cristal de roche. L'intégralité des frottements, les trous et les rouleaux sont en saphir. La superposition et la synchronisation des complications est en elle-même une prouesse qu'il faudra attendre des décennies pour retrouver par ailleurs.
Breguet aurait ainsi réussi à mener à bien le projet même si une partie de celui-ci fut posthume. La montre numéro 160 est la plus compliquée jamais fabriquée, caractéristique qui ne sera pas démentie avant la fin des années 1920 par Patek Philippe. Ainsi en 1827, la montre est totalement terminée.
Le prix de la montre est aussi astronomique que ses complications. Les coûts de main-d’œuvre se sont élevés à la somme de 17 000 francs-or.
Les archives de la maison Breguet ne suivent plus à partir de ce moment la trace de la montre sortie des ateliers. Lesdites archives ne mentionnent pas la vente, la montre quitte pourtant la maison Breguet et y revient en 1838. C'est le marquis de La Groye qui la confie pour une révision. Il semble en être alors le propriétaire sans que l'origine de sa propriété ne puisse être établie. L'absence de trace quant à la sortie de la montre via une vente pourrait laisser supposer qu'il lui ait été fait cadeau par la maison Breguet elle-même mais alors pourquoi cette négligence dans les livres ? Le Marquis de la Groye très âgé en 1838 fut page de la reine Marie-Antoinette dans sa jeunesse et a connu Abraham Louis Breguet sous l’Ancien Régime. Là où le mystère s'épaissit, c'est que le Marquis ne revint jamais chercher la montre chez Breguet. Il décède sans laisser d'héritier et, personne ne réclamant la "montre numéro 160", celle-ci réintègre le stock de la maison Breguet qui la conserve jusqu’en 1887. Elle est alors cédée à un collectionneur britannique, sir Spencer Brunton qui lui-même la cède à son frère. On suit sa trace ensuite jusqu'à M. Murray Mark qui en devient propriétaire. Ensuite, au début du 20ème siècle elle entre dans la collection de sir David Salomons.
En 1925, Salomons meurt et sa fille Vera Salomons devient héritière de cette montre jusqu'à ce qu'elle décide de fonder un musée d’art islamique en hommage à son ami Leo Mayer. Elle met à sa disposition en 1974 toutes les collections d’art islamique qu’elle possède et choisit d’y inclure aussi les collections d’horlogerie occidentale héritées de son père. Le musée présente des oeuvres de valeurs inégales et est très mal gardé et équipé en matière de sécurité.
Le samedi 16 avril 1983, le musée situé à Jérusalem, dont le nom officiel est L. A. Mayer Museum for Islamic Art, est vidé de ses collections d’horlogerie et la Marie-Antoinette disparait totalement sans laisser de trace. Interpol est sur les rangs pour retrouver la montre, on murmure même que Nicolas G Hayek aurait sollicité des détectives privés pour rechercher la montre mais rien n'y fait et la montre est considérée comme perdue. Le patron de Breguet aurait dit-on hésité à offrir une récompense internationale de 10 millions de francs à qui lui ramènerait ce bien prestigieux.
Nicolas G. Hayek, P.D.G. de la marque Breguet depuis 1999 s'est passionné pour cette maison à laquelle il a redonné ses titres de noblesse. Il a fait racheter pour le musée Breguet situé place Vendôme à Paris les plus belles pièces Breguet mises en vente par les plus prestigieuses maisons d'enchères. Il s'est assuré la collaboration d'Emmanuel Breguet, historien et directement descendant d'Abraham Louis. Il fait en 2005 étudier la faisabilité de reconstruire le chef-d’oeuvre d'après les quelques photos et documents disponibles. Une solide équipe technique est constituée et commence par rassembler toute la documentation disponible. Le projet avance à un rythme soutenu avec les moyens immenses déployés par Swatch Group et la présentation à la presse de la montre reconstituée a lieu au printemps 2008.
La montre est présentée à la faveur des conséquences de la tempête de décembre 1999, dans un écrin marqueté réalisé dans le bois du chêne favori de la reine. Contre toute attente, le 14 novembre 2007, une dépêche tombe : le butin du vol commis le 16 avril 1983 a été retrouvé. Elle est entre les mains d'un horloger de Tel Aviv. Il indique qu'il aurait acheté l'ensemble des pièces volées il y a 24 ans à un collectionneur britannique dont le nom ne semble pas être connu des autorités. L'histoire est à peine croyable, à l'image même de tout le passé de cette pièce, qualifiée par l'ensemble des experts comme la montre la plus chère du monde. La Marie-Antoinette, vingt-quatre ans après avoir été volée, peut reprendre sa place cette fois sous bonne garde.
La version originale de la Marie-Antoinette Jamais à ce jour les deux Marie-Antoinette, la version originale et la réplique, n'ont été réunies mais cette montre a sans doute l'histoire la plus tumultueuse de toutes les montres de l'histoire de l'horlogerie.