"Je suis morte pendant 6 minutes et 11 secondes"
C'est une femme qui parle de son expérience de la fin des années 1980. J'ai transcrit ici son témoignage recueilli quelques années avant sa mort, j'étais alors convaincu de faire un livre un jour sur ces expériences. Je ne l'ai pas fait car très peu de témoignages me semblaient crédibles et non influencés par d'autres manifestement trop romancés. Bref, c'est brut et cela a évidemment trait au temps, une fraction de temps ici très particulière.
"Je sais que ça peut paraître fou mais ça s'est passé comme ça. Vous savez je ne suis pas folle ni affabulatrice mais bon, ça s'est vraiment déroulé de cette manière. J'étais à la maison avec mon fils de 11 ans et ma fille de 16 ans. Je préparais le diner après avoir fait deux kilomètres à pied en plein froid. Depuis que mon mari est décédé en 1979, je n'ai pas repris de voiture. J'étais debout devant la cuisinière à gaz et j'ai eu l'impression de ne plus pouvoir respirer. J'ai eu un vertige puis je me suis effondrée en me cognant la tête sur le coin de la table. J'étais très mal et mon cœur s'est mis à battre irrégulièrement, je revois mon fils crier. Ma fille a appelé les pompiers qui sont arrivés quand j'étais encore consciente. Je répétais à ma fille de ne pas laisser tomber son frère et puis je me suis sentie faible, très faible et une sorte de bien-être m'a envahie. Les pompiers étaient là et je pouvais partir, ma fille s'occuperait de mon fils. Ensuite, j'ai perdu connaissance. Ma fille m'a raconté dans le détail ce qui s'est passé. Un médecin pompier a dit que mon cœur s'était arrêté. Les pompiers ont commencé un massage cardiaque et le médecin a demandé la machine. C'était le défibrilateur. Le médecin a dit qu'on n'allait pas me récupérer. Le SAMU est arrivé, le médecin du Samu a demandé depuis combien de temps j'avais perdu connaissance. Ca faisait 3 minutes et 40 secondes a dit un pompier qui avait un chrono. Le médecin du Samu a pris le défibrilateur et mon cœur n'est pas reparti. Il s'est tourné vers le médecin des pompiers et lui a dit "vous faites chier, j'en ai marre de récupérer ces conneries", il a mis un grand coup sur mon cœur et a réenclenché le défibrilateur. Je vais vous dire quelque chose, je les entendais et je voyais ce médecin comme si j'étais debout à ses côtés. C'est dingue hein ? Là, je me suis dit qu'il fallait que je rouvre les yeux, je me souviens de mon fils qui criait au loin et m'appelait et d'un effort immense. J'entendais ma fille qui pleurait et me suppliait de ne pas partir. J'ai pris comme une piqure violente dans le corps. Mon cœur est reparti. Ma fille pleurait, mon fils avait été emmené dans le couloir de l'entrée par une femme pompier ou une voisine, je ne sais plus.
Je revois cette image avec tout ce monde dans ma cuisine et la table poussée contre le mur et ma première réflexion a été de demander de couper la cuisinière sous la soupe. C'est ridicule mais voilà. J'avais un goût de sang dans la bouche et là ils ont dit qu'ils allaient me conditionner pour un transport en réanimation. J'ai refusé et tout le monde a ri. Pendant le transport dans l'ambulance, je leur ai dit que j'avais tout vu. Il m'ont dit que mon cœur avait cessé de battre presque pendant 6 minutes et 11 secondes mais le médecin pompier a dit qu'il pensait qu'il avait ralenti mais sans arrêt complet et que c'était pareil ou presque. Le constat fixait à 6 minutes et 11 secondes l'état de "léthargie totale" enfin, je crois que c'était le terme. Pendant ces 6 minutes et des poussières, je sais que je suis quasi morte, enfin morte mais c'était comme si j'étais encore présente. J'entendais mais je me rendais compte en même temps que j'étais sans vie. Ma fille m'a dit que pendant ces longues minutes, il y a eu une pesanteur dans la pièce mais ça c'est l'émotion. Les années ont passé et puis un détail m'est revenu. Un détail dont personne ne m'avait parlé et dont je n'aurais jamais dû pouvoir me souvenir. Quant ma voisine est venue, après les pompiers, son chat est entré dans la cuisine et a posé les pattes sur moi juste au moment où le médecin allait enclencher le défibrilateur. Le médecin a crié après les pompiers qui ne l'avait pas éloigné. Je me souvenais de cette scène et j'ai pu la décrire. Ca a toujours troublé tout le monde que je conserve ce souvenir et puisse le restituer plusieurs années plus tard.
Ces 6 minutes et 11 secondes chronométrées par un pompier sont une parenthèse ou j'étais morte mais tout de même encore là. Ca a transformé ma vie car j'ai réussi à faire cet effort pour mes enfants mais si j'avais été seule j'aurais basculé. Mon cerveau a pris le dessus. Bien sûr, il y avait le cœur que le médecin avait fait repartir mais ma tête a commandé le tout. Lorsque je mourrai, je veux qu'on écrive sur ma tombe le nombre de jours que j'ai vécu et "moins 6 minutes et 11 secondes" mais je sais que ça donne un côté original. Je ne suis pourtant pas une originale. La nuit, il m'arrive de rêver de ce moment..."
Voilà, je ne crois en rien, ignore tout de ces moments paradoxaux mais cette histoire touche au temps qui passe et comme je connaissais bien cette personne, je trouvais intéressant de vous livrer son expérience... Sur sa tombe, rien n'a été écrit.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).