William Ehrhardt fournisseur officiel de la Royal Navy
Les militaires et en particulier ceux de la Marine sont réputés être de fins connaisseurs en matière d'instruments de mesure du temps. Ce n'est donc pas un hasard si on retrouve parmi les instruments de bord des navires militaires, des plus grands aux plus légers, des chronomètres de marines et des chronomètres de bord qui comptent parmi les meilleurs. De grandes manufactures suisses, allemandes, américaines, françaises et anglaises furent parmi les principaux fournisseurs de ces accessoires essentiels et indispensables tant au calcul de la position des navires qu'à la coordination des actions militaires. Certains des horlogers les plus prospères dans la fabrication de chronomètres se sont égarés dans l'espace-temps parfois jusqu'à l'oubli. William Ehrhardt est l'un d'eux mais ses pièces sont restées pour témoigner de son savoir-faire. Un Allemand installé à BirminghamWilliam Ehrhardt (1831-1897) naquit en Allemagne, il exerça son activité d'horloger à Birmingham où son entreprise fut implantée à plusieurs adresses. Il installa d'abord en 1855 un atelier au 30, rue Paradise. En 1862, il ouvrit un deuxième atelier au 26, rue Augusta. Il exposa la même année des montres et des instruments à l'Exposition internationale de Londres. Il déménagea ensuite son entreprise en 1863 dans des locaux plus grands au 72, Great Hampton Street puis à Time Works, Barr Street. Cette dernière adresse demeura la plus stable. Le choix de Birmingham s'imposa car il était très éloigné des centres traditionnels de fabrication des montres en Angleterre. Ehrhardt voulut par cet éloignement se mettre à l'abri des revendications potentielles des ouvriers afin de maintenir de la main d'œuvre pour une fabrication manuelle des montres. La production industrielle n'était en effet pas encore installée en Grande-Bretagne et la tendance des ouvriers était de résister à leur remplacement par des machines et une automatisation de la fabrication.
En 1872, William Ehrhardt indique qu'il a réussi à construire grâce à des machines tout son mouvement. Il a par ailleurs fait enregistrer divers brevets liés à un remontage de la montre sans clé. Il a dès lors, mis au point un mode de fabrication fondé sur l'interchangeabilité des pièces. Cette thématique est déjà très porteuse et préoccupe depuis plusieurs années les firmes horlogères suisses qui en cela ont pris du retard sur les manufactures américaines. Ces dernières fabriquent en effet déjà d'énormes volumes de montres par des moyens très mécanisés. En 1874, la manufacture anglaise a déjà produit plus de 200 000 montres.
En 1880, l'entreprise très prospère fabrique plus de 500 montres par semaine avec un peu plus de 400 personnes. Certaines sont encore faites à la main mais déjà, la plupart sont fabriquées et assemblées avec des machines. William Erharhardt laisse malgré tout aux vieux ouvriers le choix de la méthode de fabrication. A sa mort son entreprise fut reprise par ses deux fils William et Gustave, qui furent des pionniers de la production industrielle de montres fabriquées sur le territoire anglais et perpétuèrent le savoir-faire horloger paternel. En 1900, la production atteint son point culminant avec en moyenne 600 à 700 montres produites chaque semaine par 250 salariés. la main d'œuvre est alors essentiellement féminine.
Un fournisseur attitré de la Royal Navy William Ehrhardt LTD était l'un des fournisseurs officiels de la Marine Royale anglaise notamment en ce qui concerne les montres de bord. Il est sans doute l'un des horlogers les plus injustement oubliés mais probablement aussi l'un de ceux qui présentent par la qualité de ses pièces, l'un des plus intéressants bilans. Le foisonnement de ses inventions lui permit de faire évoluer la fabrication des mouvements par l'apport de technologies avancées souvent objets de brevets exclusifs.
Une bonne partie des montres de bord fabriquées pour la Royal Navy britannique par la manufacture de William Ehrhardt relève de la production de ses fils. La firme ne se limitait pas à fabriquer des mouvements mais produisait aussi les boites notamment en argent qui les habillaient.
Quelques années avant la première guerre mondiale, soit vers 1905, les armées du monde entier se dotent de montres de bords considérées comme davantage mobiles que les chronomètres de marine à échappement à détente logés dans des coffrets en bois. Les départements de la Marine militaire française, allemande, anglaise et américaine notamment recherchent des chronomètres aussi précis que les chronomètres de marine et susceptibles d'être embarqués sur des navires rapides de type cuirassés ou torpilleurs. En effet les militaires ont besoin sur le pont des navires, de disposer d'une heure fiable pour coordonner les actions entre les différents bâtiments impliqués dans les actions militaires. Les chronomètres de marine nécessitent trop de soins en raison de leur fragilité pour correspondre à ce type d'utilisation qui implique de pouvoir avoir la montre à portée de main et d'œil. Les manufactures horlogères sont donc sollicitées pour proposer une alternative à ce type d'instruments de mesure du temps qui demeure malgré tout la référence sur les grands bâtiments.
Au début du 20ème siècle, l'Observatoire de Washington organise des concours où la manufacture Ulysse Nardin remporte de nombreux prix et acquiert la confiance de l'US Navy. Ce sera le cas notamment en 1906 et 1907 où les montres primées sont directement achetées par la marine américaine. En Angleterre, malgré des résultats particulièrement remarquables de la manufacture suisse aux concours successifs de l'Observatoire de Kew-Teddington, Ehrhardt présente l'avantage de fabriquer dans le pays et donc offre à la Marine la faculté de ne pas être dépendant d'un fabricant étranger ce qui ne l'empêchera pas quelques années plus tard de solliciter la manufacture Ulysse Nardin déjà présente dans les équipements de la Navy avec ses chronomètres de marine.
Un chronomètre de bord de haute performanceLe mouvement des chronomètres de bord Ehrhardt bénéficie d'un échappement à ancre, de type platine 3/4 qui est gravé de la Broad Arrow tout comme le cadran qui reproduit l'indication du numéro de fabrication du mouvement. Celui-ci est basé sur une ébauche anglaise partagée par plusieurs firmes dont certaines l'ont fait évoluer en chronographe sans totalisateur des minutes. Le cadran est en émail et les aiguilles en acier bleui. La montre mesure 55 mm de diamètre ce qui correspond à une exigence militaire. La manufacture anglaise livrera jusqu'à la fin de la guerre ses pièces à l'armée royale. Toutefois, les qualités supérieures des montres suisses et la capacité de livraison des manufactures helvétiques finiront par emporter la préférence des militaires. Privée de cette clientèle de prestige et manquant de réactivité face à l'apparition des montres bracelet, la manufacture anglaise voit rapidement son chiffre d'affaires baisser et les difficultés financières s'installer.
Une fin inexorablement inscrite dans une histoire courte À partir du début des années 1920, la société exploite le nom de marque «British Watch Company Ltd.». Ce nom n'apparait que sur une partie de la production, cela avec comme objectif de démarquer les produits des productions suisses et américaines qui envahissent le marché britannique. Ehrhardt ne résistera pas à la vague déferlante de la concurrence très active et n'attendra pas non plus la crise financière de 1929 pour disparaître malgré quelques tentatives de relance. A la fermeture de l'entreprise en 1926, la production totale de la manufacture était depuis sa création d'environ 700 000 mouvements dont beaucoup de montres de poche classiques très réputées pour leur fiabilité et leur précision mais déjà une page se tourne dans l'industrie horlogère et les montres vont passer de la poche au poignet. Ehrhardt n'a pas su tourner la page et le livre de son histoire s'est refermé faisant sombrer la marque dans l'oubli alors que 20 ans plus tôt elle était encore leader dans la difficile fabrication de chronomètres de haute qualité pour les militaires.
Il ne reste pour en témoigner que les montres qui traversent le temps bien au-delà des hommes qui les ont créées.
Droits réservés - Forumamontres - Mars 2018