Les beaux chronographes d'antan ...
En des temps immémoriaux, les grandes manufactures abandonnaient la mention de leur nom de marque sur les cadrans pour laisser aux distributeurs le soin d'inscrire leur propre patronyme. Parfois les deux noms coexistaient puis vint le temps où la marque, gage de qualité, occupa définitivement l'espace du cadran entre l'axe des aiguilles et midi. Sur ce Chronographe de 1905, le nom Omega est discrètement gravé sur le pont de balancier. Ces chronographes furent présentés au public en 1898. Omega présente alors son premier calibre de chronographe, un 19 lignes que le client pouvait choisir à saut demi-instantané ou instantané. Baptisé 19"' chro 15 Pou 16 P selon le nombre de rubis, ce mouvement pouvait selon le cas recevoir une trotteuse horaire ou ne pas en être équipé. La version Lépine plus répandue que la version savonnette était livrée en boite en acier noirci, nickel, métal blanc, argent, argent niellé ou or. La finition du mouvement variait avec soit la partie chrono non empierrée, soit avec un empierrement avec ou sans chatons. La raquette était pour certaines versions munie d’un col de cygne pour un réglage fin très précis. Le calibre a aussi reçu une raquette très spéciale équivalente aux mouvements Omega de qualité C et D avec un disque excentrique.
Omega 19 Chro créé en 1898 Savonnette
La production de ce mouvement cessa progressivement en 1906 quand Omega recourut à un calibre 18"' chro de 18 lignes qui remplaça la première version. Les calibres exploités ensuite furent ceux produits par Lémania. Il serait à ce sujet faux de considérer que la manufacture Omega a totalement abandonné la conception des mouvements de ses chronographes car elle a toujours été associée voire à l'initiative de ces conceptions nouvelles qu'elle fit exécuter par Lémania puis ETA.
Les versions savonnettes avaient chez Omega cette particularité sur le calibre 19 Chro d'avoir le poussoir de déclenchement du chrono au dessous de la carrure. Le sujet divisait à l'époque et si les forums sur internet avaient existé, il ne fait aucun doute que les discussions seraient allées bon train entre les partisans du poussoir au dessous, au dessus et sur le côté de la couronne. Une lettre adressée par un détaillant à une grande maison sollicitait ainsi de savoir s'il était possible d'avoir un chronographe pour un client particulier qui souhaitait un poussoir positionné différemment de ce que la marque proposait.
Longines calibre de chrono 19-73 N version savonnette
Omega a bien conçu certains de ses calibres en prévoyant une alternative au positionnement de la tige de remontoir et de mise à l'heure mais le déclenchement du chrono ne semble pas avoir eu de mobilité capable de satisfaire toutes les demandes. Le poussoir bas se déclenche avec le pouce alors que le poussoir haut se déclenche avec l'index. Il en va de même pour le poussoir qui serait situé à droite de la couronne plus accessible que celui qui se situerait à sa gauche. Les américains réglait ce "conflit" de la manière la plus simple en installant des calibre Lépine dans les savonnettes. Le poussoir indépendant ne servait plus alors qu'à débloquer le couvercle.
Omega fut précédé dans la mise en vente de ses chronographes par Longines notamment, LeCoultre et Valjoux qui inondait déjà le marché au travers de diverses marques avant de subir la concurrence de divers fabricants.
La création d'un calibre de chronographe demandait deux à trois ans, parfois cinq ans de développement. Zenith qui présenta son modèle in house en 1911 cogitait sur celui-ci depuis 1909. La conception de ces instruments se heurtait à plusieurs difficultés. Le coût de fabrication était important pour un volume de vente qui ne commença à devenir intéressant qu'à partir de 1909. Les demandes de l'aviation, du sport en général n'étaient pas encore d'un très grand volume et c'est l'essor de l'automobile qui fit connaître un bond en avant des commandes. Les armées trouvèrent dans le même temps, un intérêt certain dans l'utilisation des chronographes tout comme l'industrie qui voulait maîtriser le cadencement de la production.
Chrono Breitling 1942 pour l'US Navy
Très rare chronographe à rattrapante Heuer Breveté de 1887 Compétition sportive, armée, aviation, industrie vont ouvrir aux chronographes des perspectives qui rendront économiquement intéressant le déploiement d'outil et l'industrialisation de mouvements de chronographes de plus en plus diversifiés. La conception d'un chronographe est plus complexe que celle d'un tourbillon. Le moindre souci lors du déclenchement du chrono arrête la montre toute entière. La performance est donc de faire fonctionner sur un même mouvement deux fonctions simultanées de mesure du temps dont l'une doit pouvoir s'arrêter, repartir et pour les chronographes à rattrapante, en ayant deux mesures distinctes de temps courts.
Les manufactures vont travailler le sujet dans deux sens, soit en développant leurs propres calibres et en le perfectionnant, soit en abandonnant leur production interne et en allant chercher à l'extérieur des ébauches. Ulysse Nardin, Zenith ont par exemple commencé en achetant des calibres extérieurs avant de créer leur propres calibres. Longines a créé son calibre puis a fait évoluer ses propres ébauches. Omega a préféré le partenariat de Lémania dès 1906, Heuer a fini par acheter des calibres après en avoir conçu. Chaque maison a développé sur le sujet sa propre stratégie industrielle et commerciale. Les besoins du sport vont pousser les grandes maisons à proposer des mouvements à haute fréquence, au dixième de seconde (36 000 alternances). De 1880 à 1930, ce sont des centaines d'ébauches différentes qui vont équiper les montres proposées par les Suisses. Les Américains, les Anglais conservent une production mais elle n'est en rien comparable à l'offre suisse.
Omega Chronographe 36 000 alternances rattrapante ( 1932)Ulysse Nardin haute fréquence 36 000 alternances. Les Américains seront plus économes d'inventions en ce domaine et plus frileux dans la commercialisation. Ils développent dans un premier temps des mouvements de chronos simples, sans totalisateurs. La vraie concurrence à l'égard des calibres suisses viendra tardivement pendant la seconde guerre mondiale avec Hamilton qui tentera de rattraper son retard après avoir enregistré des commandes massives de l'armée américaine.
Chronographes Waltham Chronographe anglais sans totalisateur (fin 19ème siècle) Chronographe de l'US Navy Hamilton 1942 Globalement, l'industrie suisse a varié son offre avec des concepts et des brevets intéressants. Ulysse Nardin en 1911 a ainsi mis au point un système qui simplifie le démarrage des chronographes mais chaque maison a apporté sa pierre à l'édifice du chronométrage. Les manufactures d'abord installées dans la création de complications et la mise en place de calibres complexes ont assez vite compris qu'il fallait aussi penser à la maintenance des mouvements et que de ce fait l'accès à des pièces telles que le barillet devait entrer en ligne de compte pour qualifier un bon mouvement. On trouve donc de superbes calibres comme le LeCoultre mais avec un inconvénient qui est celui du démontage nécessaire pour assurer la moindre intervention. Toute l'intelligence de maisons comme Valjoux, Le Phare, Omega, Longines et encore davantage Zenith va être de simplifier les mouvements en leur conservant les qualités des conceptions originelles.
Chronographe Le Phare Concevoir et fabriquer des chronographes fiables, précis qui ne dérivent pas lors du déclenchement et dont l'affichage de l'heure est insensible à la manipulation des commandes de chrono va donc être le défi industriel des fabricants aux cours des 2 dernières décennies du 19ème siècle et des trois premières décennies du 20ème siècle. Il restera, au moins jusqu'à la seconde guerre mondiale, difficile pour une maison d'amortir par ses seules ventes les investissements liés à la création de nouveaux mouvements. C'est donc plus un choix économique que technique pour les grandes maisons que d'opter pour des développements internes ou d'externaliser la création ou la fabrication de ces pièces. Omega et Longines sont sans doute parmi les maisons qui ont le plus investi dans la fabrication de chronographes. Ce sont aussi les rares dont cette seule activité était clairement rentable.
L'apparition des chronos bracelets avec des calibres de petit diamètre a évidemment fait évoluer le champ du possible pour les horlogers. Zenith attendra 1969 pour présenter son premier calibre de chrono bracelet soit 60 ans après son premier calibre de chrono de poche. La phase intermédiaire ne servira que des calibres externes Valjoux, Le Phare ou Excelsior Park. Breitling a conçu très peu de mouvements de chrono à 100%. Un seul sans doute. Les calibres Vénus ou Valjoux étant plus faciles à distribuer et intégrer. Heuer a finalement préféré Valjoux essentiellement. Les exemples sont nombreux de maisons qui malgré l'absence de fabrication de mouvements de chronographes en interne se sont fait une image de spécialistes du chronométrage. La réalité économique a imposé parfois d'autres choix que la production internalisée. Les maisons qui l'ont oublié ont souvent perdu pied. L'ambition technique ne peut se conjuguer qu'avec des débouchés sur les marchés. Cette vérité économique est restée vraie même si un chronographe aujourd'hui peut être bon marché avec un calibre produit en masse comme le 7750 ou à un tarif inaccessible s'il relève de productions en très petites quantités.
Les chronos de manufactures sont des pièces dont le prix n'est pas seulement dépendant du placement produits cher aux responsables du marketing, il est aussi le fruit d'un calcul de coût de fabrication. Il arrive que celui-ci soit si élevé que la commercialisation n'ait jamais lieu. Les grandes maisons ont dans leurs cartons des mouvements de chronographes qui n'ont jamais vu le jour mais comme la mémoire patrimoniale n'est pas la chose la mieux cultivée, beaucoup de ces inventions furent purement et simplement oubliées.
Parmi les inventions perdues, ce Lémania
Ainsi donc Lémania a en 1947 mis au point grâce à son calibriste Albert Piguet que l'on retrouve parmi les pères de la Speedmaster Omega, un calibre de chronographe bracelet à remontage automatique. Marco Richon avait soulevé ce sujet. Lémania, rappelons-le, maîtrisait déjà le 36 000 aternances depuis 1932 avec son chrono "Olympic" et s'intéressait de très près aux développements chronographiques pour la maison dont il était devenu partenaire depuis son rachat par la Société de microélectronique et d'horlogerie (SMH) dont Omega était déjà l'une des composantes (cette structure donnera lieu plus tard à la naissance de Swatch Group).
En attendant de découvrir d'autres chronographes, réjouissons nous de ces trésors qui ont vu le jour et sont d'authentiques merveilles technologiques. Les chronographes renferment une magie que nulle autre montre ne détient, ils ont cette interaction avec celui qui les manipule que peu de mouvements ont à ce degré ultime.
Droits réservés - Forumamontres - Mars 2018