C'est juste un souvenir comme ça en passant …
Cette histoire se passe en 1965, 66 peut-être... On est dans l'Aisne et un horloger-bijoutier détient une minuscule boutique au parquet un peu défoncé. La porte vitrée sur sa partie haute ressemble davantage à une porte de maison qu'à une porte de commerce. Un rideau en dentelles grisâtre occulte partiellement la lumière. A l'intérieur de la boutique un comptoir en bois ancien sépare les clients de la patronne du magasin et d'une vitrine non éclairée, dans laquelle sont alignés des montres et des réveils, ainsi que des couverts pour bébé et des bijoux. Un chronomètre de vitrine Zenith donne l'heure précise. La vitrine extérieure est fermée par l'arrière par une porte coulissante en deux parties. Ladite porte est tapissée côté extérieur avec un papier peint qui reproduit un mur avec du lierre. 5 coucous sont pendus au mur et une horloge en marche donne l'heure.
Dans l'arrière boutique, un horloger est perché sur un tabouret. C'est le patron ... Son chat dort à ses pieds et ronfle très fort. Lorsqu'on entre dans la boutique, il faut un peu forcer la porte qui frotte sur le sol marqué par son passage. Des clochettes attachées en haut de celle-ci signalent bruyamment l'ouverture. On est presque étonné d'avoir osé entrer... La patronne, une vieille dame avec un chignon, avec un air très occupé vous demande ce que vous désirez. Il n'y a aucun temps mort. Le client doit être réactif.
Je donne ce jour-là la main à ma mère qui sort de son sac à main, sa montre dont la boucle en or à ardillon du bracelet est cassée. "C'est pas réparable ! " dit la vieille dame. Le verdict est tombé. "Je peux vous en commander une mais il faudra me laisser celle-là". Ma mère refuse de laisser sa boucle. Elle a raison. Certains bijoutiers les récupèrent et les fondent et ce n'est pas à l'époque une légende. Finalement, elle change le bracelet et opte pour une boucle plaquée or. La commerçante insiste sur la moindre résistance. L'horloger pose le bracelet en tenant du coin des lèvres sa Gauloise maïs. Son atelier est enfumé par ses cigarettes.
Je m'approche d'un coucou. ""Il ne faut pas y toucher, ce ne sont pas des jouets" braille la commerçante. Je n'en avais pas l'intention. Elle s'approche pour faire sonner un autre coucou. Je me retourne et pars vers ma mère. "Il est vexé" dit-elle. Non, en fait, elle sent mauvais comme du linge mal séché à l'intérieur. "Ca vous fait 30 francs". Ma mère paie et on repart. Elle me dit en sortant que ces trente francs qu'elle n'a pas osé refuser de payer, c'est ce qu'il lui restait pour faire les courses et qu'elle va s'arranger avec les pommes de terre dans la cave pour faire un hachis parmentier". Je déteste ces hachis mais c'est ça ou rien.
Ce petit commerce n'existe plus. L'immeuble a été détruit. Il y avait sur la vitrine une publicité pour Omega. En fait non, avoir sa marque sur la vitrine de ce magasin n'était pas très positif. Ca ne faisait pas de publicité à Omega. Quand j'y repense, je ne suis pas certain que cela m'ait donné envie d'aimer les montres. Ma mère aurait eu 90 ans aujourd'hui… C'est sans doute pour ça que j'y pense. C'est mieux que les anniversaires rappelés automatiquement sur Facebook.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).