Chaque jour chacun se demande ce qu'il ferait s'il devait gaspiller un milliard. Un milliard c'est 10 idées à 100 millions ou 1000 idées à 1 million ce qui ferait quelque chose comme 100 millions d'idées à 10 euros. Chez Kering, cela a fait 1 idée à 600 millions, Ulysse Nardin et une idée à ...faites le calcul pour Girard Perregaux.
Personne ne saurait discuter la valeur d'une maison mais 600 millions pour Ulysse Nardin, marque ô combien respectable, c'est une très belle vente. On ignore qui était en concurrence pour acheter la marque si cher mais LVMH a fait une bien meilleure affaire avec ses 83 millions déboursés pour Zenith en 2000. Evidemment, il faut ensuite rentabiliser la marque et donc vendre beaucoup de montres. Ca en fait des requins à avaler chez Ulysse Nardin. Mais c'est une superbe maison et tant mieux.
Girard Perregaux est aussi une superbe maison mais là, le prince charmant a intérêt à avoir un moral d'acier car la marque est si moribonde qu'à chaque fois qu'on en parle, on oublie son glorieux passé et on a l'impression d'une Start up qui démarre dans le métier. Que Kering soit fâché à l'égard d'Albert Bensoussan au point de le congédier avec effet immédiat est assez logique. C'est un peu comme lorsqu'on envoie un enfant acheter le pain et qu'il revient avec le rayon bonbons de la boulangerie. C'est que c'est drôlement difficile à vendre une Girard Perregaux. Les gens ont ces 25 dernières années oublié la marque qui a vivoté et la famille Macaluso a vendu bien cher, c'est à dire à un prix quasi affectif, la maison à Kering. Kering ne s'est pas fait arnaquer mais fut sans doute mal conseillé en croyant au devenir de Girard Perregaux.
Patrick Pruniaux, homme de l'art aux manettes d'Ulysse nardin et Girard Perregaux est un peu face à la quadrature du cercle. Mener le développement international d'Ulysse Nardin et réveiller Girard Perregaux qui est en coma profond. Les deux jobs sont des jobs à temps plein, pas des temps partagés même pour une bête de travail. Si Ulysse Nardin n'inspire pas d'inquiétude dans les services d'urgence, Girard Perregaux est proche de la mort clinique. La clientèle semble se méfier, les collections sont plan plan et l'expérience de la marque n'est plus lisible. Il suffit de solliciter un vendeur ou un détaillant pour constater que l'histoire pourtant riche de Girard Perregaux est passée aux oubliettes. La difficulté dans ce type de cas est de ne pas se mettre à raconter l'histoire de la marque comme un fond d'investissement américain le ferait en récupérant une marque en déshérence. La photo du fondateur et la présentation de 3 breloques n'est pas l'ombre du fondement historique de ce qui a pu construire une marque. Il est donc vain et inutile de bâtir une fresque sur le net et de multiplier des messages sur les réseaux sociaux qui ne font que contribuer à accessoiriser la marque. Non, il faut gagner en crédibilité et donc servir des anecdotes, des points d'histoire, bref, c'est un travail qui ne se bâcle pas.
Comme l'expliquait Bernard Tapie, il y a plusieurs manières de gérer un mauvais investissement, soit en lui faisant encore perdre de la valeur, soit en lui en redonnant et finalement en transformant l'essai et en créant la valeur qui n'existait pas lors de l'achat. Girard Perregaux peut encore, mais sans doute plus pour longtemps car la mémoire finit par oublier ce qu'elle efface, retrouver du crédit et finalement faire gagner de l'argent à son actionnaires. Cela induit travail et méthode avant même de créer des nouveautés qui tombent à plat pour une marque que le public a perdu de vue. On ne parlera pas des marques connexes qui elles sont totalement dissoutes. Jean Richard n'est plus que le commissaire Maigret.
Avec 1 milliard, qui aurait cru faire un bon investissement avec ces marques ? Sans doute celui qui aurait crû avoir la capacité de les animer voire de les réanimer mais la difficulté va plus loin que le pilotage du navire, il faut revoir la construction de la coque. La ligne de flottaison est sous les vagues et le pont tend à descendre. Quand on jette le capitaine à la mer, il y a intérêt à avoir un bon équipage et un capitaine de rechange surtout si on ne veut pas perdre son milliard investi dans le navire.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).