C'est toujours comme cela que ça se passe. Les crises, les grandes crises créent un besoin d'éternité et celle du Covid sans doute encore plus que les autres. L'être humain a besoin de se rassurer et faute de connaitre son avenir, c'est l'ampleur de son passé et sa densité qui lui apportent la sérénité et l'envie de se projeter dans un avenir positif et donc de consommer.
Dans l'industrie, plusieurs entreprises travaillent sur la communication de demain, une communication qui a rendez-vous avec la nature, le bien être et l'histoire. L'histoire est une forme d'assurance quant à la pérennité des produits et de ceux qui les possèdent.
On voit ici et là, déjà, des messages divers sur les réseaux sociaux sur l'histoire des marques. Longines, Ulysse Nardin, Hamilton, Omega nourrissent ainsi par des messages courts, le culte de leur propre histoire. C'est habile et insuffisant mais c'est déjà un pas pour générer une sorte de valeur individuelle de l'image de la marque. Dans une société d'images, c'est sans nul doute intéressant mais je me souviens avoir dit il y a quelques années que la prochaine révolution internet serait celle des contenus.
Je reste convaincu de cela. Des contenus avec des images nouvelles, je parle de vraies images pas des selfies bâclés au poignet mais des images anciennes ou modernes un peu chiadées, un peu précises et des images qui peuvent être des références partagées.
Le problème est que pour raconter son histoire, il faut la connaître et la maitriser. Là c'est infiniment plus compliqué car l'historien scientifique n'est pas un as du marketing et l'as du marketing n'est pas un scientifique. En outre, le spécialiste scientifique n'est pas ou rarement un bon acheteur de pièces anciennes, il sait chercher dans les archives, parfois faire de la pédagogie mais il patauge s'il faut acheter des pièces, égaré dans leur valeur réelle et celle que lui estime ou la rareté réelle ou supposée. Il saura ensuite référencer sa pièce mais la mettre en perspective pour qu'elle profite à la communication de la marque est souvent inaccessible. A chacun son métier après tout.
Je vois, je pratique depuis de nombreuse années, les interlocuteurs que l'horlogerie peut offrir lorsque pour un article on fait des recherches et écrit ce qui va être une lecture de magazine, un contenu à la fois didactique et passionnel sans s'enliser dans la catégorie du style NAWCC c'est à dire l'article de toubib retraité passionné par la forme du balancier des pendules comtoises entre 1842 et 1897. C'est un reproche que je fais souvent à ces articles, on s'ennuie en les lisant sauf si on y recherche un fond scientifique mais là encore, ils ne l'ont pas car les auteurs aussi passionnés qu'ils soient ne maitrisent pas ou rarement l'ensemble du sujet et surtout, ils sont incapables de faire un texte qui fait envie …
L'histoire telle que les marques vont devoir la faire émerger est une histoire dynamique, avec des anecdotes, des images, des contenus diversifiés et une vérité indestructible. Il est bien fini le temps du patron visionnaire qui avait tout compris avant tout le monde et qui dirigeait son entreprise de main de maître en étant aimé des ouvriers tout en parcourant le monde.
Je pense que plus personne n'y croit. Les patrons du passé avaient les mêmes défauts et qualités que ceux d'aujourd'hui, les mêmes contraintes actionnariales et de gestion des charges avec en plus des temps de déplacements entre points du monde et l'obligation de dégager des dividendes. Les patrons de Longines qui gardaient un oeil sur les manufactures américaines en rêvant de construire le même modèle, le patron de Zenith qui n'a jamais regardé les étoiles car peu cultivé, il avait arrêté l'école très tôt, il pensait tout faire lui même, celui d'Ulysse Nardin mort quand son fils à 20 ans n'était qu'un gamin totalement tutellé par un proche de son père qui lui a tout appris.
Les manufactures reposaient non pas sur un homme mais sur des hommes, commerciaux, techniciens, ingénieurs, horlogers qui ont fait ces maisons avec un acteur principal dont l'histoire a gardé le seul nom mais les légendes ont vécu. Le public attend autre chose, la soif d'apprendre des choses vraies a supplanté les contes de fées industriels qui pour la plupart remontent aux années 1930...c'est à dire après la crise de 1929.
Aujourd'hui, une bêtise est reprise, disséquée sur les réseaux sociaux parfois par de vrais experts ou connaisseurs dont l'analyse est amplifiée par la meute des écorchés vifs de la précision qui passent de la recette traditionnelle du bœuf Bourguignon à l'économie capitaliste avec la même aisance qui fait passer un professeur de renommée internationale de l'utilisation d'une molécule aux expérimentations humaines d'une autre.
L'histoire nous attend dans la communication du futur et il nous faut savoir ce que nous en attendons. Longines, Ulysse Nardin ont choisi d'être factuels, un personnage, une montre, une date … Il faudra aller plus loin. Le public veut savoir pourquoi, comment et ce qu'il en est advenu. Il veut entrer dans les détails sans sombrer dans l'excès, juste ce qu'il faut pour avoir envie de porter une montre plutôt qu'un instrument connecté. Faire rêver et instruire dans le plaisir partagé sera la prochaine mission de l'histoire. Il va falloir la réécrire sans renier celle du passé.
Les années 2020 seront des années d'histoire pour l'industrie et pour l'horlogerie en particulier et il faudra éviter de ressortir du rayon le discours usé, éculé de l'ADN, du visionnaire, du grand créateur de manufacture. Ces gens n'avaient guère plus de 20 ans quand ils ont créé leurs maisons et des erreurs ils en ont faites mais sur le tas, ils ont appris à tirer profit de leurs propres expériences. Leur rendre hommage et ne pas travestir l'histoire, c'est ça aussi respecter les consommateurs. Les années qui viennent vont devoir être respectueuses du passé et nous ouvrir les yeux sur le futur. Les montres mesurent le temps et nous servent à le parcourir …
Ceux qui préparent la communication de demain devraient bien s'inspirer de ces quelques idées …
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).