Cette histoire touchante s'est déroulée en novembre 1987, à côté de Lille. Victoire est quasiment au terme de sa grossesse. Dans le petit appartement qu'elle habite avec son conjoint, la chaudière vient de tomber en panne et Didier, son mari est en déplacement à Paris. Il devrait rentrer vers minuit mais la chaudière ne tourne plus depuis le matin et la température n'est plus que de 17 degrés dans la salle de séjour. Il y a bien un système pour la faire repartir, "il faut débrancher le fil bleu et attendre 30 secondes puis le rebrancher et relancer en appuyant sur le bouton du haut et si le gaz n'arrive pas assez vite il suffit de dévisser le tuyau et d'accélérer ainsi le débit. mais il faut rebrancher après en s'assurant qu'il n'y a pas de fuite ..." malgré les conseils à distance prodigués par son mari, Victoire a renoncé et elle ne se sent pas très bien.
Sa meilleure copine est partie 4 jours à Londres et sa sœur est à l'hôpital après un accident de voiture qui lui a cassé une vertèbre. Il y aurait bien la maman de Victoire mais elle habite à Strasbourg. Quant aux parents de Didier, ils sont en vacances aux Caraïbes. Victoire prend subitement conscience de sa solitude. Sur le palier, il y a du bruit. C'est le voisin qui vient de rentrer de la promenade avec son chien qui ne sait pas ne pas aboyer chaque soir lors du retour.
Le voisin est sympa, c'est un jeune étudiant qui fait des petits boulots pour gagner le montant de son loyer. Victoire est de plus en plus mal. Elle tente d'appeler une collègue de travail mais celle-ci n'est pas chez elle. Elle s'endort presque dans le canapé quand elle est réveillée par l'humidité dans laquelle elle se retrouve. Elle croit d'abord avoir fait pipi en dormant mais elle ressent des contractions... Elle veut appeler l'hôpital, les pompiers mais est paralysée par la peur alors elle n'arrive pas à faire le numéro. Elle panique, pleure et tente de se reprendre mais elle ne sait plus si elle peut bouger ou pas... La porte du voisin vient de claquer, sans doute ressort-il comme d'habitude pour aller retrouver sa petite amie.
"Au secours" hurle-t-elle, "Au secours". Le voisin l'entend ... Il se place près de la porte "Victoire ? C'est vous qui appelez ?" "Oui, j'ai besoin d'aide je ne peux plus bouger et j'accouche ! Enfin , je crois ..." "J'arrive !" A peine a-t-il prononcé ces mots que Gérald, c'est son prénom, se demande pourquoi il les a dits. Il tente de défoncer la porte comme il l'a déjà vu faire dans un film mais ça ne marche pas et il se fait un mal de chien à l'épaule. Il adopte une autre technique vu dans "Starsky et Hutch", il se dresse et lance un grand coup de pied. Il tombe en arrière et cette fois s'est fait une entorse. La porte n'a pas bougé. Il rentre chez lui et saisit un gros tournevis. Il attaque la serrure et force tant qu'il peut jusqu'à ouvrir enfin la porte.
Victoire est là dans son canapé détrempé et sa robe lui colle à la peau. "Le numéro de l'hôpital est là, vous pouvez les appeler ?" Le jeune homme tente d'appeler mais le numéro est occupé... Il appelle les pompiers qui annoncent une quinzaine de minutes avant d'arriver et lui conseillent d'amener "sa femme" en voiture. Gérald répond favorablement mais Victoire n'est pas sa femme et il n'a pas de voiture... Il rappelle donc mais la jeune femme souffle de plus en plus fort et sent les contractions se rapprocher. Au téléphone, le pompier annonce envoyer une ambulance mais il propose à Gérald de l'aider...
"Vous avez un chrono ou une montre ? "
-oui ...
-Prenez le et comptez le temps entre deux contractions ...
-Euh 35, 40 secondes ...
Gérald avec son chrono Breitling mesure le temps entre chaque contraction et la durée de celles-ci … Dommage qu'il ne possède pas une rattrapante !
-Bon, ne paniquez pas. Installez votre conjointe en position allongée et libérez là de toute contrainte, culotte, collant s'il y en a....
-Euh, Victoire, le pompier me demande de retirer votre culotte ...
La jeune femme s'exécute. La peur lui ferait faire n'importe quoi et Gérald risque bien de gérer son accouchement. Le jeune homme étudiant en histoire n'est pas au bout de ses peines.
-Qu'est-ce que vous voyez ? demande le pompier...
-Euh, Victoire n'est pas ma conjointe …
-Ce n'est pas la question, que voyez-vous ?
-Ben, euh, je vois ce qu'on voit quand une femme n'a pas de culotte ...
Le pompier rit ...Autour de lui, d'autres pompiers ne peuvent retenir un fou-rire.
-Est-ce que vous voyez la tête du bébé, le haut de son crane ...
-Euh ...
-He bien , regardez !
Victoire hurle de douleur ...
-Ecartez ses jambes et pressez sur le ventre du haut vers le bas comme pour aider le bébé à sortir.
Gérald a du mal à s'y mettre mais finalement il fait le job...
-Continuer à chronométrer !
Gérald continue ses mesures avec son chronographe Breitling.
-Ca ne sort pas !
-il faut que j'écarte plus les jambes... Je vais me mettre en travers. Mettez le coussin du fauteuil sur le carrelage pour retenir le bébé ...
Victoire pousse tout ce qu'elle peut vidant son intestin au passage. Gérald ne sait plus où il est ... Victoire s'excuse mais la tête commence à sortir.
-La tète sort ! Je tire dessus ?
-Non, laissez venir et continuez sur le ventre ...
-Il sort, je vois les épaules !
-Tentez de l'attraper !
-Je l'ai, je l'ai !
-Il ne pleure pas hurle Victoire ...
-Tenez le par les pieds et tapotez le dos du bébé !
-Ca marche ! Il pleure
-C'est un garçon ou une fille ?
-Je ne sais pas ...
-Comment ça vous ne savez pas? rit le pompier .
A la porte, l'équipe médicale fait son entrée. Gérald a fait un super travail. Victoire ne sait comment s'excuser et est très gËnée de s'être donnée en spectacle.
-Merci Gérald, vous m'avez sauvée et avez sauvé mon bébé !
-Je suis très fier ! Maintenant, on va se tutoyer, non ?
-Oui avec plaisir.
Gérald est devenu un ami de la famille ... Quel ami ! Jamais ils n'ont fait allusion aux conditions de l'accouchement, jetant un voile pudique sur cet instant d'intimité partagé. C'est mieux.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).