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 De la lecture "horlogère"

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PhJ
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Date d'inscription : 07/02/2007

De la lecture "horlogère" Empty
MessageSujet: De la lecture "horlogère"   De la lecture "horlogère" EmptySam 9 Nov - 6:39

Bonjour,
 
Un peu , beaucoup de lecture que les moins de 50 ans ne peuvent pas avoir lu !
 
« Penché sur les maquettes de publicité, M. Morateur sourit en pensant au songe qui l'avait si violemment mis aux prises avec son envahissant personnage.
 
Un coup d'oeil sur les dernières annonces de la concurrence dans les journaux et les magazines, un autre, de nouveau, sur la maquette du Chronoflex 2007. En un instant, l'univers bascula. Son rêve n'était pas stupide du tout : il n'avait fait que traduire, blanc sur noir, la révolte qui grondait dans l'inconscient de Ludovic. Elle éclatait maintenant devant l'absurdité, le grotesque, la puérilité de toutes ces montres électroniques, superétanches, super-shock proofed, supersoniques, à boîtier blindé, à verre armé, à mouvement flottant, maîtresses de l'espace et des mers, qui donnaient tout — le jour, le mois, l'année, les phases de la lune, la pression de l'eau, la température — sauf l'heure en clair, l'hora simplex, l'heure à peine déchiffrable dans l’enchevêtrement de ces trotteuses et rattrapantes. Des montres dont l’orgueil suprême était devenu — impensable.. — le pouvoir de plongée !
 
« Je plonge à 200 mètres ! »… « Je peux rester plusieurs jours sous l’eau »… avec un calendrier des jours et des mois, alors qu'il est impossible à un plongeur de rester sous l’eau plus de quelques heures. La belle affaire pour lui de savoir qu'il est en avril ou en mai! Et celle-ci qui, toute fière d’avoir été adoptée par les commandants de bord de jets transpolaires, se disait capable de plonger à un kilomètre de profondeur ! Quel effet sur le lecteur, éventuel client de cette ligne ! A lui en donner froid dans le dos.
 
Plonger, plonger, toujours plonger ! Fadaises, simplement. Fallait-il qu'il fût bêta pour s'être laissé gagner lui aussi par le vertige stupide de la plongée ! Et que ses collaborateurs, moutons progressistes, fussent assez bêtes pour ne pas saisir le ridicule d’un texte où l'on vante la superétanchéité d'une montre destinée à un secrétaire d'Etat au Foreign Office ou à une huile de Wall Street ! Il avait bonne mine, l’homme dans le ton, sortant d’une Rolls avec son Chronoflex 2007 waterproof! P.-D.G. ou grand commis, ça lui ferait une belle jambe de monter vers son petit sommet de 11 heures en sachant qu'il pouvait plonger tranquille à 300 mètres de profondeur ! Plonger ! Existait-il soudain une race d'hommes, d’hommes-grenouilles de l'élite démangés par le besoin de plonger avec une montre au poignet, et celui de savoir l'heure lorsqu'ils chassaient le requin bleu dans les Barbades ? Exceptés ces vacanciers argonautes qui mettaient un point d'honneur à sortir des ondes grecques ou siciliennes bardés de pieuvres et de murènes non comprises dans le forfait, quel subit besoin éprouvait le monde — ou lui faisait-on éprouver — de mettre ses montres-bracelets sous l'eau ? D'où venait cette envie de posséder des chronographes tachymétriques dont le boîtier avait été mis à l'épreuve dans une caisse à pression jusqu'à subir un léger écrasement par 700 mètres de fond, des montres de boxeurs dont le blindage avait été éprouvé au simulateur d'accident où il subissait des chocs d'une poussée de 300 kilos à une vitesse de 12 mètres-seconde ?
 
Foutaises. Fantaisies d’un univers délirant en proie au vertige de la technologie, des mass media et du planning, contaminé à son insu par le jargon des technocrates au point que le moindre aspirateur ou la plus petite bonne espagnole lui posaient des problèmes.
 
— Complètement cinglés, nous sommes devenus complètement cinglés ! se dit M. Morateur qui, sans même parler de cet univers de programmation, de démythification, de dynamisation, d'accélération à poussées tjrs irréversibles, s'insurgeait chaque fois qu'un de ses collaborateurs, pour « faire bien », écrivait d'une montre qu'elle s'avérait irréprochable alors que, en français, elle l'était.
 
Il balaya des deux bras les projets de publicité du Chronoflex 2007 et toutes les feuilles sélectionnées par ses adjoints, « pour mémoire », parmi les annonces les plus frappantes des maisons rivales, qui se servaient du Concorde, du bathyscaphe, d'un sous-marin nucléaire ou d'un passage en trombe aux 24 Heures du Mans pour mieux vanter la qualité champion de leurs produits : des montres qui n'ont peur de rien pour des hommes qui n'ont pas froid aux yeux, des montres qu'un Jojo forfaitaire, promu héros des cimes, brandissait au sommet de l’Everest (atteint, bien sûr, à 10 h 10), des montres de catcheurs dont le mouvement flottant était entouré d'un anneau amortisseur absorbant les chocs latéraux comme les poussées verticales, des montres de robots incabloc à bague de tension, glace armée, bracelet d'acier, et celle-ci qui trouvait le moyen de s'affirmer sans rire la montre la plus compliquée du monde.
 
C'était à se taper le derrière par terre, autant que possible contre un chronographe blindé. Ce fin du fin dans la complication fut sans doute ce qui déclencha chez M. Morateur sa crise de simplicité. S'il y avait des cinglés pour acheter le Chronoflex 2007 à calendrier perpétuel, garanti waterproof et antimagnétique, tant mieux ou tant pis, on en vendrait toujours assez. Mais Rex A. Publiman allait payer cher, très cher, son incapacité à n'avoir pu, simplement, lui donner l'heure. Ce simili-Secrétaire d'Etat au Foreign Office partant régler le sort de l'Europe avec sa mallette plate sur le coup de 10 h 10, c'était complètement farfelu d'en faire un seamaster, un speedmaster, un atomic submariner. Et puis 10 h 10 ça n'est pas une heure pour un sommet. Un vrai sommet, puisque sommet l'on veut à tous les étages, ça se règle à 10 heures, ou à 11. Il serait donc 10 heures, dût la loi de symétrie être tournée.
L'homme dans le ton la donnerait à sa façon : discrète. Puisqu'il fallait plonger, on allait plonger dans la pureté des lignes.
 
Ladoga Simplex.… Ladogacropolis.… M. Morteur hésitait encore sur le nom de baptême de cette nouvelle reine, déjà conçue, dessinée, fabriquée, mais dont l’annonce, reléguée sous les maquettes publicitaires du Chronoflex 2007, n'avait été placée sur la table du patron que pour mémoire. Souveraine discrète, elle était prête à s'effacer devant le roi des chronographes à calendrier perpétuel...
 
— C'est pourtant ça ! se dit tout haut M. Morateur. C'est ça, la vérité !
 
Jamais baptême n'aurait eu lieu avec moins d'éclat. Jamais Pas de nom propre n'aurait été célébré, de nuit, en plus stricte intimité.
 
Entre son siècle et Elle, M. Morateur avait choisi.
 
Ce serait Ladoga Mark One, puisqu'il fallait un chiffre et de l'anglais, mais Ladoga Simplex, le dernier cri de la simplicité dans le tumulte présomptueux du XXè siècle.
 
C'était une montre ronde, plate, cerclée de un millimètre et quart d’or lapidé —un cercle parfait nullement brisé par le remontoir incorporé à la lunette. Ses douze heures, frappées en chiffres arabes pendus, se détachaient, telle de l'italique demigrasse, sur le fond sable du cadran ; ses seules aiguilles, deux bâtons bleu noir à bouts effilés, étaient celles des heures et des minutes ; son bracelet, une boucle déployante en cuir de Russie dont le fermoir d'or jaune ne comportait aucune attache visible.
 
La Ladoga Mark One n'était pas une montre de cosmonaute. Son boîtier n'avait pas subi l'épreuve d'une caisse à pression. Il n'était pas superblindé. Elle n'avait pas l'étanchéité absolue du bathyscaphe ou du sous-marin. Elle n’était pas super shock proof. Elle ne possédait pas de calendrier perpétuel, pas de trotteuse inversée pour compte à rebours, pas de lunette tournante pour le calcul des paliers de décompression, pas de compteur à rattrapante, pas même la petite aiguille de secondes qualifiée par un annonceur de trotteuse primesautière. Elle n'était pas faite pour aller sous l’eau, elle n'était pas faite pour aller sur la Lune, elle n'était pas faite pour absorber des chocs latéraux ou des poussées verticales.
 
Elle était faite — à peine croyable ! — pour donner l'heure.
 
Mais quelle heure ! dirait la publicité : l’heure de Phidias, l'heure de Virgile,
l'heure de Voltaire — l'heure éternelle, toute simple, toute bête. L'heure par laquelle les hommes, depuis cinq millénaires, avaient décidé de partager le temps.
 
En un éclair, M. Morateur avait trouvé le symbole publicitaire — label ne lui
venait pas aux lèvres — et le thème presque entièrement négatif, qui
accompagneraient le lancement de cette reine née de l'Antiquité trois mille ans après
elle :
 
L'ACROPOLE AU POIGNET
 
Avec Ladoga Mark One
Tu ne plongeras pas
Tn ne cogneras pas
Tu n'iras pas dans la Lune
Tu ne piloteras pas le Concorde
Tu ne connaîtras pas la pression atmosphérique
Tu sauras l'Heure
… mieux que personne. »


Pierre Daninos : Ludovic Morateur ou le plus que parfait
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corsaire75
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corsaire75


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Age : 61
Localisation : Paris
Date d'inscription : 10/10/2005

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MessageSujet: Re: De la lecture "horlogère"   De la lecture "horlogère" EmptySam 9 Nov - 8:38

Sympa, merci.
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caput
Membre référent
caput


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Localisation : Ile de France
Date d'inscription : 26/08/2008

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MessageSujet: Re: De la lecture "horlogère"   De la lecture "horlogère" EmptySam 9 Nov - 9:10

thumright
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