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 Actu : Interview de Bernard Fornas Président de Cartier

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ZEN
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MessageSujet: Actu : Interview de Bernard Fornas Président de Cartier   Actu : Interview de Bernard Fornas Président de Cartier EmptyMer 14 Jan 2009, 06:29

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Bernard Fornas Président de Cartier

Actu : Interview de Bernard Fornas Président de Cartier Bernard-fornas
Bernard Fornas


A la présidence du numéro un mondial de la joaillerie et d'un chiffre d'affaires évalué à près de 2,9 milliards d'euros par les analystes, Bernard Fornas est à la fois un fin stratège et un homme de terrain. En voyage, 7 mois sur 12, il mène sa marque tambour battant. Sa passion : la conquête des nouveaux marchés, en particulier la Chine, où Cartier possèdera en 2009 pas moins de 30 magasins.

Comment résistez-vous à la crise ?
Pour mesurer l'impact réel de la crise, il faut attendre Noël. Là, ça passe, ou ça casse. Nous résistons d'ores et déjà mieux que d'autres. Pour prospérer dans les temps difficiles, il faut se préparer à l'éventualité de la crise quand tout va bien. La vie est un cycle permanent, il faut investir dans son entreprise pour la protéger, faire progresser son image, accélérer la création de pièces uniques, améliorer la performance des ateliers. Il importe non seulement d'offrir une créativité hors-pair mais il convient de la faire exploser au grand jour. Tout notre challenge, c'est d'avoir le produit juste, la quantité adaptée au bon moment et au bon endroit. Il faut savoir prendre les risques et anticiper. Faire remonter les infos du terrain. Nous possédons 300 magasins dans le monde, 2300 personnes se consacrent à la vente. Quand un client entre dans une boutique Cartier, il vient chercher du plaisir. A nous de savoir le rendre heureux. Nous ne pouvons le décevoir. Les bagues de fiançailles sont un sujet sensible pour un joaillier. Si une personne entre et que vous n'avez pas la bonne taille à disposition, vous perdez des ventes. Rien ne doit être laissé au hasard. Une entreprise de la taille de Cartier, c'est comme un avion ; elle est plus forte si elle fonctionne avec plusieurs réacteurs. Nous avons beaucoup investi ces dernières années en Chine, en CEI, au Moyen Orient et en Russie. Aujourd'hui, aux Etats-Unis et au Japon, on avance contre le vent. Le vieillissement. Notre activité est répartie géographiquement de façon équilibrée, nous sommes donc moins sujets que d'autres au ralentissement de l'économie américaine et japonaise. Ceux qui ne sont pas partis à la conquête des nouveaux marchés par le passé, auront du mal à rattraper leur retard. Celui-ci ne fera que s'accentuer avec la crise.

Vous semblez plutôt optimiste ?
Personne ne sait combien de temps cette crise va durer réellement. Quand on est une marque leader, comme Cartier, cette période incertaine représente aussi une opportunité qui peut nous permettre de prendre des parts de marché à prix bas. L'écart va se creuser entre ceux qui ont les moyens d'investir et ceux qui sont englués dans les problèmes de trésorerie. Il faut savoir se préparer au pire pour se développer. Cette crise sera salubre, elle marque un retour vers le vrai luxe. Certaines marques dont la créativité est mise à mal, vont être foudroyées.

Quels produits sont les plus touchés ?
Dans toute crise, c'est la haute joaillerie et les produits à très forte valeur ajoutée qui résistent le mieux. Ce qui souffre, ce sont les bijoux intermédiaires en dessous de 5000 ou 3000 euros ; eux subissent de plein fouet la baisse du pouvoir d'achat et la perte de confiance. Les uns et les autres ne savent pas ce qui va se passer. La confiance en berne, l'envie diminue, le trafic et le business font de même.


Quelle est votre stratégie horlogère ?
Nous avons institué un think tank à la Chaux de fond pour réfléchir à la meilleure manière de réduire le "time to market". Un mouvement de montre, c'est comme un moteur automobile en plus miniaturisé. A la différence près que la durabilité de nos produits est exceptionnelle : elle atteint 25 ans quand l'espérance de vie d'une voiture est de 10 ans. Il nous a fallu un an et demi pour développer la montre cadran bleu.

En joaillerie, vous développez de plus en plus des pièces d'exception ?
Pour la joaillerie, dans nos ateliers parisiens, nous avons la capacité de réaliser de très belles pièces qui nécessitent de 1500 à 2000 heures de travail et plus de 200 jours. On a une capacité de création en or exceptionnelle, nous avons créé notre propre école de joaillerie, on forme nos sertisseurs. Nous n'avons pas assez de gens qualifiés. Les commandes spéciales se développent aussi bien pour la haute-joaillerie que pour l'horlogerie. C'est le luxe ultime, le luxe vrai, quasi personne est capable de répondre ainsi à ses attentes. Les personnes fortunées veulent exprimer leu différence par une pièce que personne ne pourra avoir. Il existe une clientèle avide de parures uniques. On la rencontre à la Biennale des antiquaires. Les pièces que nous avions réalisées cette année autour des chimères sont toutes parties très vite. Ceux qui sont arrivés ensuite ont fait leur propre commande en s'inspirant des pièces uniques existantes pour créer leur propre parure. On n'a pas besoin de promouvoir les commandes spéciales, la meilleure publicité, c'est le bouche-à-oreille. Je viens au dîner de gala, mais ensuite, je m'éclipse. Je dois aller sur le terrain.

Le dollar remonte...
Oui, il va dans le bon sens. Ces derniers mois, chaque matin, je me réveillais en ayant perdu des ventes par le simple fait des fluctuations monétaires, aujourd'hui c'est l'inverse. Ca fait plaisir. Mais, il faudrait que la remontée du dollar gagne encore quelques centimes d'euros, car une grande partie des achats se font en dollar. L'Europe résiste par les achats touristiques. Sur le marché français, 70 % des achats sont réalisés par des étrangers. Le Moyen Orient est un marché qui figure une croissance violente, on y consomme énormément. Nous sommes présents à Qatar, à Barhein, nous ouvrons à Dubaï dans le plus grand centre commercial au monde cet automne. On trouve dans cette région du monde des fortunes colossales, la classe moyenne progresse, mais cela n'a rien à voir avec le 1,3 milliard de chinois.
La Russie est un pays en forte progression également. Nous venons d'ouvrir au Goum à Moscou. Pour l'occasion, toute la facade du grand magasin portait les couleurs de Cartier sur la Place Rouge. C'était incroyable. J'avoue que j'étais assez fier. Jusqu'au dernier moment, on n'a pas su si, oui ou non, on pouvait ouvrir, c'était un suspens permanent, mais in fine, c'était extraordinaire. Dans la CEI, tous les Etats affichent des croissances insolentes. Nous avons commencé à nous y implanter à partir de 2002. Nous étions les premiers en Biélorussie, à Bakou, à Tachkent. A l'étranger, dans l'univers du luxe, la prime revient aux premiers. Et dans cette course aux pionniers, nous sommes en tête avec Louis Vuitton.

Vous semblez fasciné par la Chine ?
Le Japon est un marché mature. C'est notre première filiale à l'étranger. Mais, en 2011, la Chine sera devant. Nous avons ouvert une première fois à Pékin en 1992. Puis nous avons fermé et réouvert en 2001. A partir 2002 et 2003, le mouvement des ouvertures s'est accéléré avec des espaces de plus en plus grands (plus de 400 m2). Notre sixième magasin au Park Life de Pékin s'étend sur 700 m2. Dés que l'on ouvre, on parle ici en millions d'euros. Tout est démultiplié. Aujourd'hui, avec notre partenaire local, nous possédons 28 boutiques dans 18 villes. En 2009, nous passerons la barre des 30. Nous sommes à chaque fois situés dans de très beaux emplacements avec une grande superficie. C'est important pour affirmer notre puissance. En Chine, comme en Russie, la population aime à afficher sa réussite. La joaillerie, et en particulier les très belles pièces, sont très prisées. C'est à la fois une passion pour eux et un investissement.

Vous avez été en 2004-2005, la seule marque de joaillerie autoriser à importer de la joaillerie en or sur le sol chinois, comment avez-vous fait ?
Des années de lobbying et de relations publiques gigantesques. Il a fallu nous faire connaître, raconter notre histoire, expliquer... Nous avons organisé une grande rétrospective au Musée de Shanghaï, puis nous avons reproduit le magasin de la rue de la paix au Ice Festival d'Harbin en Mandchourie.

Vous vous êtes aussi très impliqué ?
Je me rends en Chine presque tous les mois. Depuis trois ans, avec l'état major de Cartier et les forces de vente locales, nous faisons en dix jours le tour de toutes les villes où nous sommes présents. On fait 20 000 kms en 10 jours, on dort très peu, mais on est au plus près, on comprend vraiment ce qui se passe sur place, on touche du doigt les problèmes. C'est là dans cette cohabitation permanente avec nos collaborateurs que l'on appréhende vraiment les difficultés quotidiennes qu'ils rencontrent. C'est important pour l'état major parisien de venir sur le terrain. La Chine, c'est une multiplicité de provinces. Entre Pékin et Cheng du, ce sont deux cultures différentes.

Vous apprenez le mandarin ?
Oui, j'ai commencé depuis trois ans. Et je ne parle toujours pas ! Les Chinois sont très sensibles à la parole, c'est là encore important de chercher à comprendre. En Chine, on le sait, il est primordial de ne pas faire perdre la face à son interlocuteur, si non, il vous en voudra toute la vie. On fait affaire avec des personnes très ambitieuses et très entreprenantes. C'est très compliqué.

Comment avez-vous vécu la préparation des Jeux Olympiques de Pékin et la polémique entre la France et la Chine ?
On a été clairement pénalisé, boycotté même. Quand les politiques s'expriment, cela se traduit immédiatement sur les ventes. C'est très difficile de se poser en donneur de leçons. Dix lignes sur un blog suffisent pour qu'immédiatement après on ne vende pas un produit pendant une semaine. J'étais à la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. Et c'est la chose la plus phénoménale que j'ai vu. Le spectacle avec les 15 000 figurants était somptueux. Je serai présent à l'inauguration de l'exposition universelle de Shanghaï.

Produisez-vous en Chine ?
Nous produisons à 99,99 % sur le marché européen. La haute-joaillerie et la joaillerie sont réalisées en France ; les bijoux en or sont faits à Paris, l'horlogerie est fabriquée en Suisse ainsi que nos briquets. Nos parfums sont faits en France, nos foulards sont made in Italy comme une partie de nos cuirs que nous réalisons entre la France et l'Espagne. Seuls nos écrins et nos emballages sont fabriqués en Asie en Thaïlandecar ce sont les plus compétents dans ce domaine. Je ne dis pas que dans 50 ans, la situation sera inchangée. Mais pour l'heure, nous n'avons aucun intérêt particulier à produire ailleurs. Nos métiers sont des métiers de très haut savoir faire. Si je produisais l'horlogerie en Chine 20 % moins cher, je perdrais en notoriété, donc je serais perdant sur le moyen et long terme. Par ailleurs, en internalisant toute la production, c'est une très bonne manière de gérer les stocks et de ne pas se faire déborder.

Redoutez-vous la contrefaçon ?
Nous sommes parmi les pionniers de la lutte anti-contrefaçon. Nous sommes réputés pour nos opérations de destruction avec des rouleaux compresseurs. Nous sommes toujours très en pointe dans cette lutte, nous ne voulons pas lézer notre clientèle. Et nous travaillons en networking avec la police chinoise. In fine, on souffre moins que les autres, car là encore, on a commencé plus tôt que les autres.

Dés le lendemain de la Biennale, j'étais à Bakou. Il faut ouvrir les yeux, les choses vont très vite, et ce n'est que sur place que l'on peut vraiment appréhender un marché. Qui connaît Bakou ? Où cela se situe sur la carte. Bon, au mieux, on vous dira, c'est une république avec du gaz, du pétrole, des pipe-line, des gens qui se sont enrichis de façon phénoménale. Oui, mais voilà, ces personnes eux-mêmes génèrent de la richesse. Il y a un afflux de richesse qui est palpable dans les rues de Bakou, les facades ont été rénovées, on trouve plein de nouveaux restaurants, des magasins de déco, des tas de belles voitures et des grands hôtels. En deux ans et demi, le pays a totalement changé. Il nous faut trouver un partenaire pour s'implanter. Et pour prendre les bonnes décisions, il faut rencontrer l'intelligentsia, les représentants politiques, faire du networking, pour être sur de partir avec les bonnes personnes. C'est beaucoup de travail, mais in fine on devrait ouvrir en 2009.

Et en Inde ?
C'est un pays formidable. On vient d'organise une course de voitures anciennes des maharajahs à Mumbai. Un jour, cela ouvrira, il faut préparer l'avenir. Mais pour l'heure, les taxes très élevées demeurent un frein. De même, il y a un vrai problème d'emplacements. Autant la Chine s'est modernisée très vite et a créé très rapidement des réseaux de distribution puissants, autant l'Inde demeure en retard. Il y a des millions d'habitants à Mumbai, mais je ne sais où implanter Cartier. Dans le lobby d'un hôtel ? Et dans deux ans, quand celui-ci sera démodé, que ferons nous ? L'Inde est un pays formidable, avec une vraie culture joaillière, il faut y entrer par la grande porte, on prend notre temps pour y arriver avec noblesse. Nous avons racheté beaucoup de pièces à des maharajahs. Nulle part au monde, on ne revêt ainsi sa dot en joaillerie. Les mariages princiers ont éblouissants.

Et quels sont les autres pays qui se développent bien ?
Le Mexique qui profite de la manne pétrolière où nous sommes en position de leader. Nous enregistrons aussi une très grosse activité dans les Caraïbes. Au Brésil, nous avons une très belle clientèle, mais les taxes étant très élevées, la clientèle fait ses emplettes ailleurs que dans le pays.

Combien de mois voyagez-vous par an ?
7 mois. J'aime comprendre le monde tel qu'il est. C'est fascinant de voir à quelle vitesse tout change. La Chine en est l'exemple éclatant. Prenez une ville comme Chong Qin 37 millions d'habitants, et Cheng Du 28 millions d'habitants. Ces deux villes représentent la population de la France, cela fait réfléchir, non ? Seuls les voyages permettent de comprendre ce qui se passe sur place. Dans nos filiales lointaines, nous développons un management bi-culturel que ce soit franco-chinois ou européen-chinois. C'est important de s'imprégner de la culture locale et d'apprendre à travailler ensemble. Etre arrogants avec les Chinois, ce n'est pas la meilleure méthode. Il faut arrêter de snober toute notre vie le reste du monde. C'est vrai que je ne croise pas beaucoup de grands patrons français dans les aéroports, exception faite d'Yves Carcelle, le pdg de Louis Vuitton. Pourtant, l'avenir est là. Le monde change très vite, les opportunités sont là. Si j'avais un conseil, ce serait d'être incollable en géographie. Prenez Ulan Bator par exemple, mais qui le sait ? Ca bouge beaucoup en Mongolie. On devrait bientôt ouvrir.



Isabelle Lefort

http://www.latribune.fr/tribune-moi/interview/20081127trib000315056/bernard-fornas-president-de-cartier.html

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