ZEN Rang: Administrateur
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| Sujet: Ulysse Nardin - Interview de Rolf Schnyder et Pierre Gygax 27/3/2006, 19:58 | |
| Les interviews exclusives
Proposées par Joël JIDET
Ulysse Nardin renoue avec l’esprit « manufacture » Pour Ulysse Nardin, 2006 sera sans aucun doute plus que l’année de célébration de son 160ème anniversaire, celle d’un grand millésime horloger. La marque qui fascinait déjà par ses grandes complications dévoile enfin ce qu’elle préparait dans le plus grand secret au sein des ateliers de sa manufacture : Un calibre de base automatique conçu et développé en interne et résolument nouveau. Ce mouvement à double guichet ouvert sur une grande date à correction rapide double sens, petite seconde à entraînement direct et réserve de marche de 50 heures bénéficie d’un échappement exclusif à la marque dit « Dual Ulysse » qui élimine les frottements et ne demande aucune lubrification. Une vraie révolution dans l’univers de l’horlogerie, une performance réussie par Ulysse Nardin qui dans ce calibre majestueux appelé « Anniversary160 » réalise le rêve que les plus grands horlogers poursuivent depuis des siècles. Un tel évènement justifiait sans nul doute d’aller à la rencontre de Rolf SCHNYDER qui préside aux destinées de la maison Locloise à laquelle il a redonné vie, il y a maintenant 23 ans et de Pierre GYGAX qui au sein de cette sympathique manufacture a été le magicien qui a fait naître ce mouvement d’exception. Rolf Schnyder Président Directeur Général D'Ulysse Nardin Monsieur SCHNYDER merci doublement d’abord de répondre à ces quelques questions d’une part, et d’autre part de nous faire découvrir ce mouvement qui est certainement l’un des évènements majeurs de l’horlogerie en cette année 2006.
Le calibre 160 d'Ulysse Nardin
Qu’est-ce qui motive de la part d’Ulysse Nardin, cet engagement dans la voie de la création d’un nouveau calibre ? Vous avez été témoins des concentrations de l’industrie horlogère dont, par exemple, la verticalisation de Rolex avec toutes les capacités dans l’habillage, la multiplication des marques de Vendôme avec acquisition de capacités manufacturières également et l’ acquisition par Swatch Group de la dernière fabrique indépendante d’ébauches. Tout cela nous a fait réfléchir quant à la pérennité de notre indépendance dans ce contexte. En 1999, nous avons décidé de redevenir une manufacture avec la capacité de concevoir et fabriquer nos propres calibres.Quelle fut la durée de gestation de ce mouvement depuis le moment où la décision a été prise par vous-même de le mettre au point ? La durée d’un tel projet dépend de plusieurs facteurs : le temps nécessaire réellement en homme x mois, le temps de mise au point, la capacité interne dont nous disposons réellement, le nombre d’autres projets que nous poursuivons avec notre équipe de développement. Comme vous le savez, Ulysse Nardin développe un nombre surproportionnel de nouveautés en regard de sa taille. Ici, il en résulte que nous avons mis plus de 5 ½ ans. Ceci inclus le développement et la mise au point de notre propre oscillateur inertiel et de notre échappement.Pourquoi le choix d’un développement en interne quand d’autres ont recours à des sous-traitants ? Est-ce une logique de défi ou une volonté d’autonomie qui vous a guidé ? L’outsourcing des capacités de développement et l’achat de produits développés par des tiers sont toujours des options moins risquées et moins coûteuses à court terme. Nous avons toutefois des visées à long terme pour Ulysse Nardin. L’option de développement interne d’un calibre manufacture s’imposait donc même si le pay-back sera plus long à venir. Il faut ajouter que dans notre gamme très large de produits, nous continuons d’utiliser la sous-traitance.Le calibre 160 avec son rotor. Je crois savoir qu’au sein d’Ulysse Nardin, c’est Pierre GYGAX qui a conduit et développé ce projet. Peut-être si vous en êtes d’accord, pouvez-vous nous présenter celui vers lequel va notre admiration pour le travail qu’il a accompli ? Pierre Gygax est un ingénieur horloger compétent qui s’enthousiasme pour toutes les nouveautés techniques et qui a une solide expérience industrielle et de management dans d’autres domaines que l’horlogerie. Il fallait quelqu’un de cette rigueur pour conduire la ré-industrialisation d’Ulysse Nardin et la renaissance de la manufacture mais aussi quelqu’un de cette curiosité intellectuelle pour transformer des idées totalement nouvelles (celles de Ludwig Oechslin et aussi celles des jeunes ingénieurs de notre équipe) en réalité, en produits que l’on fabrique et que l’on vend. Monsieur GYGAX, pouvez-vous nous expliquer pourquoi a été privilégié le développement d’un calibre automatique et non d’un calibre à remontage manuel ?La montre mécanique est en soi une merveille mais le porteur qui l’a acquise par passion et par goût ne doit pas avoir de souci de remontage, ce serait le souci d’un autre âge. On dit que la montre automatique est à énergie « gratuite » et c’est bien vrai. Une manufacture avec des vues à long terme se doit d’avoir son propre mouvement automatique.Platine avant du calibre 160 Ce mouvement est-il susceptible de connaître une version à remontage manuel ? Nous n’y voyons pas d’intérêt et n’avons pas de projet dans ce sens.Le premier choc visuel quand on regarde ce calibre est évidemment son esthétique fort réussie. Son échappement est aussi très particulier. Pouvez-vous le décrire et expliquer en quoi, il est technologiquement résolument nouveau ? Lorsque nous avons abordé le sujet de l’échappement, nous avons d’emblée décidé de chercher une autre voie que celle de l’apprentissage à faire tant bien que mal ce que Nivarox faisait si bien. L’échappement à ancre suisse est archi optimisé mais, comme tout échappement, il a des inconvénients. Ludwig Oechslin a trouvé une façon de transmettre l’énergie au balancier similaire à un engrènement. La force est tangentielle et donc sa direction est superposée à la direction du mouvement. On évite ainsi les frottements lors de l’impulsion. Une 2ème caractéristique résolument nouvelle est que nous avons pu réduire l’angle de levée des 50 degrés habituels à 30 degrés environ. Les spécialistes savent qu’un oscillateur freiné ou accéléré juste au point mort n’est pas perturbé alors que cette perturbation augmente lorsque le coup de frein ou l’accélération est donné plus loin du point mort. L’angle de levée (angle parcouru par le balancier alors qu’il est en contact avec l’échappement) doit donc être le plus faible possible. La réduction de 50 à 30 degrés n’est donc pas anodine.Les roues d'échappement en nickel phosphore. Le principe d’un échappement à double impulsion est particulièrement novateur. Le mouvement est plus précis et le frottement réduit voire éliminé et donc les contraintes de lubrification semblent disparaître. Faut-il pour autant en déduire que ce calibre n’aura pas besoin de révisions périodiques ? L’objectif poursuivi par toutes les manufactures est d’augmenter la durée sans révision, comme dans l’automobile d’ailleurs. En ce qui concerne la lubrification, elle est bien maîtrisée dans les pivotements où un axe tourne dans un palier lisse muni d’un huilier (réservoir d’huile), ici on peut penser à 15 ou 20 ans. Dans l’échappement classique, les plans inclinés sur lesquels frottent l’arrête des dents présentent un problème de durée de vis de la lubrification bien plus difficile, on parle de 4 ou 5 ans. C’est pourquoi chacun cherche des solutions à ce point particulier. Au-delà de la conception, le choix des matériaux semble avoir été un paramètre majeur dans la réussite de votre projet. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos choix et leur motivation ?Lorsque nous avons testé la première génération d’échappement dual (Dual Direct), nous avons été confrontés à une difficulté insurmontable avec les matériaux classiques. Nous devions impérativement réduire drastiquement le moment d’inertie des nos roues d’échappement. Alors que nous examinions le fonctionnement de notre prototype sous camera rapide au laboratoire de l’Ecole d’Ingénieur du Locle, Michel Vermot, en charge de ce centre de compétence m’a suggéré d’essayer le silicium (1999) . Le procédé de photolithographie sélective, base du gravage du Silicium permet de réaliser des formes ajourées et particulières que l’usinage classique ne permet pas. Cela nous a ouvert les yeux et nous avons cherché à utiliser cette technique avec nombre de nouveaux matériaux. Pour simplifier, on peut dire que toutes les applications suivantes fonctionnent bien : le Silicium, le plus léger et le plus fragile, le Nickel Phosphore, le plus robuste et le plus facile à assembler, le Diamant, le meilleur, le plus durable et… le plus « impayable » (pour l’instant). Travailler sur des pièces d’échappement aussi légères ne présente-t-il pas des inconvénients de manipulation lors de l’assemblage des calibres et quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de leur mise au point ? Faire un échappement est déjà une gageure. Comme je l’ai souvent dit, s’y atteler rend modeste. Développer un nouvel échappement et, de surcroît avec des matériaux pas usités dans notre industrie, ça vous pose une foule de nouveaux problèmes auxquels il faut trouver de nouvelles solutions. C’est harassant, passionnant et dopant.Balancier complet et spiral du calibre 160 Le balancier est lui aussi d’une conception résolument nouvelle avec un pont traversant qui au lieu d’un coq de balancier en porte à faux offre une meilleure stabilité. Nous n’avons pas inventé la roue. Notre balancier est inertiel, c'est-à-dire que la fréquence de l’oscillateur est ajustée en modifiant l’inertie du balancier plutôt qu’en changeant la longueur active du spiral. Le design de notre balancier est nouveau dans le sens que les 4 vis de réglage sont « cachées » dans la serge qui fait office de carénage diminuant ainsi les turbulences de l’air. Ce qui est également nouveau pour nous, c’est que nous le fabriquons, un autre sujet de nuits blanches et de passion. Quant au coq traversant, il s’agit aussi d’un principe très ancien. Nous l’avons adopté dans cette construction pour privilégier la robustesse et la fiabilité de la précision au porté. La stabilité du pont de balancier est bien meilleure. Nous fabriquons aussi à l’interne toute l’ébauche de ce mouvement.Visiblement une grande attention a été portée à une utilisation potentielle de ce mouvement dans des montres à vocation sportive. Pourquoi ces choix pour un calibre quasiment « tous terrains » ? La ligne de produit Ulysse Nardin est « Haute Horlogerie à Complication Utile », nos produits sont destinés à être portés, pas mis dans une vitrine. Les collections « Marine », « Dual Time » et « Perpetual » en sont les exemples typiques. Nous développons dans la même ligne, nous ne cherchons pas ave ce calibre à faire des montres extra plates ni de la bijouterie.La masse oscillante bénéficie-t-elle aussi d’une technologie qui permet l’économie de lubrifications régulières ? Nous avons opté, après divers essais de produits sur le marché, pour un remontage à 1 sens. Le rotor (ou masse) est monté sur un roulement à billes céramique ne requerrant aucune lubrification, il en va de même de notre roue « 1 sens » munie elle aussi de billes céramique.Anniversary 160 Le nouveau modèle de la collection Ulysse Nardin Monsieur SCHNYDER, le calibre 160 anime aujourd’hui un modèle qui fait l’objet d’une édition limité à deux séries de 500 exemplaires chacune en or gris et en or rouge. Est-ce que le mouvement 160 sera réservé à des modèles en métaux précieux ou le retrouvera-t-on dans toute la collection, y compris pour des pièces en acier ?Notre modèle 160 est plus une pièce élégante qu’une montre sportive bien qu’elle soit relativement grande et corresponde ainsi au trend actuel. La série limitée « Anniversary 160 » se doit de représenter l’état de l’art au moment où elle a été conçue et fabriquée.Anniversary 160 Le fond transparent permet de découvrir le calibre Connaissant le dynamisme dont vous faites preuve pour diriger ULYSSE NARDIN, est-il raisonnable d’imaginer que parmi les développements futurs susceptibles de se greffer sur ce nouveau calibre, de grandes complications pourraient apparaître dans les mois qui viennent ? Toute décision sur ce point est encore prématurée. Bien entendu, toutes les précautions ont été prises au niveau de la conception de ce calibre pour lui permettre d’accueillir diverses complications de notre cru dans un avenir plus ou moins lointain. Faisons d’abord 1000 pièces fiables dans cette première version puis nous réfléchirons à d’autres challenges.Monsieur SCHNYDER et Monsieur GYGAX permettez-moi de vous remercier de cet entretien au nom des lecteurs de Forumamontres, de Worldtempus et de MSM.Forumamontres-Joel Jidet © mars 2006 _________________ Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).
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