Les interviews exclusives des marques
Proposées par Joël JIDET
Les échanges entre les collectionneurs et les marques horlogères sont peux nombreux en langue Française.
Internet est un fantastique outil pour que tous les amoureux de l’horlogerie puissent partager et faire partager leur passion.
L’objet de cette rubrique est de nous faire rencontrer les marques sans intermédiaire et sans tabou pour des dialogues constructifs et au seul service de cette passion commune qui anime professionnels et non professionnels de tous horizons : « L’art horloger ».ULYSSE NARDIN
ROLF SCHNYDER depuis un peu plus de vingt ans à la tête d’ULYSSE NARDIN a bien voulu ouvrir les portes de la maison Locloise et répondre à quelques questions.- Rolf SCHNYDER, je tiens d’abord à vous exprimer toute ma reconnaissance et celle des lecteurs de Worldtempus pour accepter l’exercice de cette interview virtuelle et empreinte de la curiosité constamment éveillée des collectionneurs et amateurs de belle horlogerie.
Vous avez pris la Présidence d’Ulysse Nardin en 1983 à une période où toute l’horlogerie Suisse souffrait encore de l’irruption du quartz.
Qu’est-ce qui à l’époque, vous a motivé tout particulièrement en faveur de cette manufacture qui sans vous ne figurerait peut-être plus que dans les livres d’histoire de l’horlogerie et quel bilan tirez-vous de ces vingt années ? Toute ma vie je me suis engagé corps et âme dans l’industrie horlogère ; que ce soit dans le marketing à Genève ou dans la distribution de montres suisses en Asie, en passant par la production de cadrans, de mouvements quartz, de glaces saphir et de spiraux pour de nombreuses marques horlogères suisses de renom. Quoi de plus réjouissant que de réveiller une « Belle au Bois Dormant », non pas avec un baiser ou des millions, mais avec des garde-temps extraordinairement innovateurs ?
20 ans plus tard, Ulysse Nardin est de retour où elle appartient. C’est la marque la plus innovatrice de l’horlogerie mécanique, avec ses propres designs et constructions, ainsi que sa propre manufacture qui produit des montres faisant partie de l’Histoire, comme les chronomètres de marine l’étaient il y a plus d’un siècle et demi de cela.
-
Ulysse Nardin n’appartient pas à un groupe industriel ou à une holding du luxe et contrairement à d’autres marques, est une firme indépendante. L’année 2003 fut pour beaucoup de maisons une mauvaise année et d’une manière générale depuis la fin de l’année 2001, l’industrie du luxe a souffert d’une certaine récession. Votre production est aujourd’hui d’environ 10 000 pièces par an.
Quelles sont les pays qui pour vous sont actuellement les plus « porteurs » et vers lesquels vous souhaitez développer vos marchés ? Ulysse Nardin n’est pas une marque de « marketing ». De ce fait elle est moins exposée aux aléas des conditions économiques; c’est la capacité de production de mouvements d’exception qui détermine le taux de croissance. Les techniciens et maîtres horlogers capables de mener à bien de tels projets sont rares. Depuis 1998 Ulysse Nardin a enregistré une croissance de plus de 400%, alors que d’une manière générale les exportations de l’industrie horlogère étaient à la traîne.
Notre plus forte croissance a été enregistrée aux USA et en Russie, suivie de l’Asie du Sud-Est. Notre production actuelle est supérieure à 1000 pièces par mois, et la production totale de 2004 va probablement atteindre les 14000 pièces.
- Un certain nombres de marques ont profité de la foire de Bâle pour annoncer ou présenter en avant première des calibres nouveaux et exclusifs et revenir ainsi pour celles qui n’y étaient plus, dans le cercle fermé des « Manufactures » disposant de calibres « 100% maison ».
Quel regard portez-vous sur ce type de développements et avez-vous des projets en ce sens ? Je suis toujours sceptique lorsque j’entends quelqu’un dire « 100% maison ». Il est toujours possible d’avoir un nouveau calibre conçu par des spécialistes et de le produire à l’interne comme UN le fait. Mais lorsqu’il s’agit de faire des outils de précision pour fabriquer des composants délicats, même les meilleurs travaillent avec des sous-traitants spécialisés. Il s’agit avant tout d’atteindre le seuil de rentabilité.
- Votre collection présente des modèles emprunts de technologie et de magie qui je le suppose font la fierté de votre équipe d’horlogers.
Le modèle Freak à la fois Carrousel et Tourbillon démontre une originalité dans la conception, une anticipation de « la vogue » des Tourbillons dans les catalogues des marques et une audace de votre part dans la création de nouveautés.
Est-ce dans ce sens que vous envisagez de continuer à faire évoluer votre catalogue ? Ulysse Nardin travaille avec des fournisseurs spécialisés pour certains composants des calibre « 100% Manufacture » utilisés dans le Freak et la Sonata, alors que d’autres sont entièrement manufacturés à l’interne. Cela permet entre autres une certaine flexibilité et UN peut ainsi utiliser son parc de machines pour produire en urgence des composants pour d’autres calibres. Je ne vois toujours pas l’avantage de vouloir réinventer la roue : nous produisons nos propres échappements pour certains calibres, pour les autres, nous les faisons faire par des spécialistes.
Il existe de nos jours d’autres ébauches sur le marché que celles proposées par ETA. C’est un développement favorable puisqu’il offre différentes possibilités aux marques qui ne sont pas engagées dans le processus de manufacture. Certaines d’entre elles utiliseront la mention « 100% maison », mais sans spécifier quelle ou quelles « maison » a fait le travail.
- La Sonata présentée en 2003 a un design résolument nouveau et un style qui aujourd’hui par ses caractéristiques originales caractérise la gamme Ulysse Nardin. Globalement, le nombre de montres qui sortent de vos ateliers est plutôt limité pour une gamme assez large de produits.
Comment définiriez-vous le style de vos montres ? Ulysse Nardin continue d’être innovatrice et plusieurs projets sont à un stade avancé. Certains développements sont strictement fonctionnels, alors que d’autres sont basés sur des matériaux novateurs. Mais il n’est bien sûr pas possible de produire chaque année un garde-temps aussi révolutionnaire que le Freak ou la Sonata. Chacun de ces projets a pris plus de 6 ans depuis sa conception jusqu’à sa mise sur le marché.
- Dans la collection Ulysse Nardin, de nombreux modèles retiennent l’attention des collectionneurs. Des répétitions minutes aux Tourbillons en passant par les modèles qui combinent les deux complications, on trouve dans votre catalogue les concepts les plus poussés et aussi parfois les plus ancrés dans l’histoire de l’horlogerie. Je pense en particulier au chronographe mono poussoir.
Dans l’esprit de ses concepteurs est-ce une marque d’originalité ou de nostalgie ?Ulysse Nardin est une marque de niche suivie par de nombreux collectionneurs. Beaucoup achètent chaque nouvelle création. D’une manière générale, UN est « novatrice » ou « fonctionnelle », moins nostalgique. Tant le Freak que la Sonata sont des produits du 21ème siècle, pas seulement dans les fonctions de leur mécanisme mais aussi dans leur esthétique. Dans les siècles à venir, ils seront remémorés comme datant de notre période.
- Que pensez-vous de l’option actuellement suivie par plusieurs marques de rééditer des modèles des années 40, 50 ou 60 parfois avec des calibres d’époque. Est-ce une option que vous avez déjà envisagée pour Ulysse Nardin ? Certaines marques produisent des séries limitées inspirées des modèles du passé. Mais les passionnés de Ulysse Nardin attendent bien plus qu’un simple changement cosmétique.
- A titre personnel, quelle montre portez-vous et pourquoi ce choix ?Généralement, je porte les nouveaux prototypes que je teste. Je me plais également à porter un GMT Perpétuel ou une Sonata lorsque je voyage, ou même un Freak, objet de toutes les conversations lors de dîner entre amis.
- Comment voyez-vous le futur d’Ulysse Nardin ? Le futur est radieux pour Ulysse Nardin. Le pipeline est plein de nouvelles idées spécialement du Dr. Ludwig Oechslin, et nous regroupons à l’interne la passion et la technique pour réaliser ces rêves.
Je dis toujours que les horlogers ne sont pas les seuls impliqués. Il s’agit d’un réel travail d’équipe entre constructeurs, techniciens, designers et autres ingénieurs d’une part et les horlogers de l’autre.
- Hors du catalogue Ulysse Nardin, y a-t-il une marque ou des modèles de montres que vous appréciez particulièrement ?J’observe la scène horlogère de près et j’apprécie particulièrement les développements techniques des autres marques : cette année en particulier le Gyro Tourbillon de Jaeger-Le-Coultre et la nouvelle Monaco V4 de Tag Heuer. J’apprécie également les produits futuristes de Richard Mille ou encore les spécialités de F.P. Journe
- Est-ce que pour vous, la distribution de vos montres soit par vous-même, soit par un réseau de revendeurs par internet est un concept qui est aujourd’hui concevable ou le maintien d’un réseau de distribution exclusif et classique vous semble-t-il seul acceptable ? Sur un grand marché comme les USA, il est certainement plus avantageux de travailler au travers de sa propre structure de distribution. Mais UN ne s’aventure pas dans la vente de détail, qui selon nous appartient aux seuls détaillants spécialisés, avec qui nous ne souhaitons pas entrer en concurrence. Dans d’autres marchés comme la Russie ou le Japon, il par contre préférable de s’administrer les services d’un distributeur bien établi.
- Vous arrive-t-il de lire les forums relatifs à l’Horlogerie et quelle que soit votre réponse, pourquoi ?
Je lis régulièrement les forums relatifs à l’horlogerie et Ulysse Nardin y participe de temps à autres directement ou indirectement. Je rencontre personnellement les membres de la communauté des « Purists » à travers le monde entier.
- Souvent les marchés Nord-américains, Asiatiques, des pays du Golfe, Européens etc.… sont considérés comme très différents par les marques du luxe pour des raisons de culture bien sûr et de goûts. Avez-vous ce sentiment au travers des relations que vous avez pu développer dans les nombreux pays où vous êtes présent et en tirez-vous concrètement des conclusions, par exemple, en ciblant d’avantage la distribution de certains produits sur des zones géographiques déterminées ?On ne peut être le héros de tout le monde. Avec notre gamme de produits nous avons plus de succès dans les environnements qui privilégient le côté technique, plutôt qu’au Moyen Orient où les pièces joaillerie sont bien plus appréciées.
- Les collectionneurs en particulier, ont-ils des aspirations différentes selon leur continent de rattachement ?Le Freak a plus de succès aux USA, en Asie et en Russie, alors que la Sonata est plus appréciée en Europe. Naturellement, ces préférences ne signifient pas forcément que la personne aura les moyens d’acquérir un garde-temps précieux. Les montres en or sont également plus répandues dans ces pays, alors que l’Europe favorise plus l’acier pour les modèles masculin ; d’une manière générale, les femmes préfèrent les montres en or, tout particulièrement lorsqu’elles sont serties de diamants.
- Avez-vous une nouveauté, un scoop qu’en avant-première vous pouvez ici annoncer aux internautes collectionneurs et amateurs qui vont vous lire ? Chez Ulysse Nardin, nous n’avons pas pour habitude de dévoiler les nouveaux produits avant que ceux-ci ne soient prêts à être lancés. Je trouve contre-productif de vendre le futur ; l’attractivité des nouveautés est d’autant plus réduite lorsque les collectionneurs doivent attendre des années pour un produit dont ils ont entendu parler trop tôt.
- Quel message enfin souhaiteriez-vous délivrer aux collectionneurs francophones auxquels cette interview s’adresse plus particulièrement ?Les montres mécaniques d’exception sont des formes d’art appréciées de manière croissante dans le monde entier. Les nombreuses enchères spécialisées qui se tiennent dans les principales villes du monde tendent à prouver que ces garde-temps mécaniques sont des objets de collections dotés d’une valeur durable qui survivront leur propriétaire.
Tous droits réservés Joël JIDET ®
(Octobre 2004)